C’est un retour pour Joff Winterhart, dessinateur britannique avec qui nous avions fait la connaissance en 2013 avec L’Eté des Bagnold publié aux Editions çà et là. Courtes distances est le deuxième roman graphique de l’auteur, paru au même endroit, et qui s’intéresse une fois encore à une relation improbable, intenable. Après la relation mère-fils croquée avec talent dans son premier ouvrage, Winterhart se penche sur une relation plus éloignée mais tout aussi complexe : la relation entre un « adulescent » en mal de vivre et un quinquagénaire banal comme la pluie. Lettres it be a découvert ces Courtes distances et vous en livre quelques mots.
# La bande-annonce
Sam, jeune anglais désœuvré de 27 ans, se remet d’une dépression chez sa mère quand, par un curieux concours de circonstances, il se retrouve engagé comme assistant d’un certain Keith Nutt. Quinquagénaire bedonnant que la mère de Sam ne laisse pas indifférent, Keith a une mini entreprise, KLN Ltd, spécialisée dans « la distribution et le transport », mais son travail semble consister uniquement à faire la tournée de petites entreprises des zones d’activité économique locales pour faire signer des papiers à des interlocuteurs que Sam ne voit jamais. Coincé dans la voiture de Keith la plus grande partie de la journée, Sam s’attarde sur les petits détails du quotidien de la ville et des habitants qu’il croise chaque jour. Dans un premier temps très distante, la relation de Sam et Keith évolue progressivement et les problèmes de communication cèdent le pas à une certaine forme de connivence.
Talentueux portraitiste, Joff Winterhart s’attarde avec tendresse sur les détail des corps et des visages pour brosser le portrait de ces deux âmes esseulées. Poignant, drôle et brillamment dialogué, Courtes Distances confirme la singularité du travail de cet auteur.
# L'avis de Lettres it be
D’un côté du ring, Sam, jeune de 27 ans en quête de lui-même, abruti par l’ennui. De l’autre côté, Keith Nutt, VRP plutôt moyen, bedonnant et grisonnant de tous ses 40 ans. Un match impossible, improbable, inattendu. Mais de cette rencontre surprenante, le dessinateur britannique va retirer une histoire captivante, surprenante et qui évite une empathie banale et convenue. Une histoire d’ailleurs récompensée du prix du Meilleur roman graphique en 2017 par The Guardian, rien que ça !
Pour accompagner nos deux antihéros dans leurs (més)aventures et au fil de leur rencontre, Winterhart n’hésite pas à proposer toute une galerie de personnages tous plus farfelus les uns que les autres. Mention spéciale aux dames de la boulangerie, succulentes autant que leurs friands. Et au-delà de ces différents choix narratif extrêmement bien sentis et posés, Joff Winterhart déroule le fil de son roman graphique alors que les deux personnages s’apprivoisent bon gré mal gré. C’est un petit choc des générations qui nous est proposé en arrière-fond entre cet entrepreneur bien rangé et trop lucide et ce jeune homme sans repères, envers et contre tout.
Le fond est captivant, et que dire de la forme ! D’un trait bleu sur fond blanc, jouant avec les différentes nuances de la teinte choisie, le dessinateur et illustrateur britannique offre quelque chose en toute simplicité, en toute modestie mais d’une puissance et d’un intérêt rarement égalé. L’expressivité des visages est bluffante, les moindres mimiques sont croquées à la perfection rendant les personnages encore plus profonds dans leur caractère respectif. Fort !
Sous les traits de Joff Winterhart, c’est un film de Ken Loach qui prend vie dans un coin d’Angleterre sous le coup de l’oubli. Exit le misérabilisme social déguisé, ce roman graphique s’attarde plutôt sur l’improbable rencontre de deux âmes esseulées, solitaires de gré ou de force. Une douce comédie de mœurs servi par un trait fascinant de simplicité et d’expressivité. Pour sa deuxième parution en France, Joff Winterhart offre une parenthèse inattendue, une bulle d’air pur de fiction à cheval entre deux époques et deux générations.
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