C'est un premier roman passé à la trappe d'une rentrée littéraire 2017 peut-être trop occupée à regarder derrière elle : Faux départ de Marion Messina publié chez Le Dilettante et depuis peu en format poche chez J'ai Lu. Un texte fort, une plume déjà très mûre et souvent comparée à nul autre que Michel Houellebecq... Lettres it be est allé poser quelques questions à Marion Messina pour en savoir un peu plus sur sa jeune carrière d'auteure qui a déjà tout d'une grande.
Bonjour et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Marion Messina ? Que faisiez-vous avant de vous lancer dans l’écriture ?
Je suis une jeune femme de vingt-huit ans qui vit entre Grenoble et Paris. J’ai la chance de vivre pour l’instant de mon écriture. Avant Faux Départ j’écrivais déjà, j’ai travaillé de nombreuses années en tant que pigiste et rédactrice indépendante. J’ai aussi étudié la science politique au Québec, j’ai validé un BTS agricole dans l’optique d’un retour à la terre, j’ai occupé plusieurs dizaines de postes dans des domaines très variés, mais toujours les basses fonctions. Je n’ai jamais eu de plan de carrière sérieux car la seule chose qui m’importe c’est d’écrire. Si je dois devenir carrossière auto pour payer mon loyer, je le ferai.
J’ai passé mon enfance à lire, j’étais une petite fille mutique qui dévorait les livres ; naturellement j’ai commencé à écrire des nouvelles à l’adolescence. L’idée d’écrire des romans ne m’a jamais quittée, mais j’ai été happée dans les premières de l’âge adulte par les voyages, les apprentissages fondamentaux, les études, les changements de trajectoire…
Faux départ est votre premier roman sorti il y a un tout petit peu plus d’un an maintenant. Quel bilan faites-vous sur la réception de votre livre ?
Faux Départ a reçu un excellent accueil, aussi bien des médias que du public. Néanmoins mon cas est l’illustration du peu d’influence qu’exerce la presse sur les ventes de livres. Je crois avoir été recensée dans tous les hebdomadaires et les suppléments des quotidiens (Le Figaro Magazine, Le Monde des Livres, etc) et je suis loin d’être un best-seller. Cela n’était pas mon objectif et Faux Départ n’a pas le profil pour. Aujourd’hui, le marché du livre est comme le marché du textile : il y a des saisons, des modes dans les saisons… Ce qui me réjouit le plus est de recevoir encore des courriers de lecteurs qui me font part de leur émotion, et surtout de leur joie de trouver un livre qui les sort de la solitude. Et ce n’est pas anecdotique : Faux Départ a été publié en poche un an après sa sortie en grand format, ce qui est très rare. Il y a une reconnaissance du milieu même si le roman n’est pas aussi visible que les publications des mastodontes.
Votre livre comporte finalement peu de personnages, et pourtant chacun dispose d’une dimension propre, d’une construction solide et parlante pour tous les lecteurs. Comment avez-vous construit ces personnages ? Certains sont-ils inspirés de vos connaissances personnelles ?
Mes personnages sont volontairement archétypaux au premier abord. Ma volonté était de pouvoir dépeindre plusieurs générations, plusieurs classes sociales à travers des traits de caractère souvent communs, sans pour autant tomber dans l’essentialisation. Les nuances arrivent au fil des chapitres, jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’ils sont tous exceptionnels. Je pense qu’ils sont tous inspirés de mes connaissances personnelles. J’ai eu la chance d’évoluer dans plusieurs mondes sans quitter la France car notre pays est régi par un apartheid social invisible. Un jeune ouvrier peut cohabiter dans son quartier avec des ouvriers originaires d’autres continents, mais il ne croisera sans doute jamais de sa vie des français d’autres catégories sociales. Il en va de même pour l’enfant de la haute bourgeoisie qui poursuivra ses études et sa carrière à l’autre bout du monde, rencontrant ainsi des gens qui lui sont semblables par l’argent mais pas par la nationalité. La diversité des profils que j’ai rencontrés m’a nourrie pour Faux Départ.
Au fil de la lecture, on ose parfois faire des parallèles entre la vie d’Aurélie et votre vie personnelle. Un hasard ?
Aurélie et moi sommes issues du même milieu, nous venons de la même ville. Mais j’ai des parents atypiques, un parcours assez hors norme et une vie particulière. Le but de Faux Départ était d’écrire une histoire universelle, donc il n’y a rien d’autobiographique dans le roman. Et puis, franchement, écrire ma vie n’aurait présenté aucun intérêt pour moi. Tout créer ex nihilo est l’excitation intellectuelle suprême.
Beaucoup de personnes ont fait la comparaison entre vous et Michel Houellebecq, entre Faux départ et Extension du domaine de la lutte. Comment vivez-vous ce comparatif ?
Très bien ! Le Houellebecq des débuts est celui que je préfère. Et il est vrai que la comparaison est assez évidente entre ces deux romans. Tout cela fait plaisir mais ne doit pas bloquer l’audace et la liberté ; je ne veux pas écrire pour être une « Houellebecq à couettes » toute ma vie. Si pour le prochain roman la comparaison n’est pas établie, je ne le vivrai pas comme une régression.
Vous parvenez dans votre livre à parler d’une réalité française, de notre réalité, sans condescendance aucune ni préjugé hâtif comme cela peut parfois être le cas chez d’autres auteurs. Votre réalisme amer n’épargne pourtant rien, mais vous gardez toujours une certaine bienveillance au fil des pages. Comment êtes-vous parvenue à construire ce style, ce ton ? Quels ont été les livres qui ont pu vous inspirer en la matière ?
J’écris de manière très instinctive, je n’intellectualise pas mon style. Il doit correspondre avec beaucoup d’honnêteté à ma nature profonde : je suis très lucide sur le monde qui m’entoure, je suis parfois implacable, mais toujours bienveillante avec les gens qui sont autant prisonniers que moi. Par conséquent, je ne saurais dire quels auteurs m’ont influencée en particulier pour Faux Départ. Je sais que les livres que j’ai aimés continuent de grandir en moi et m’accompagneront jusqu’à ma mort. Il y a donc dans ma psyché des résidus de Céline, Gide, Aragon, Cortazar, Caballero, Morrison, London, Grossman, Camus, Gary, Woolf, Mann, Joyce, Calaferte…
Dans le même ordre d’idée, vous compilez les formulations fortes et extrêmement bien senties (« […] son troisième enfant avait été conçu pour optimiser les prestations familiales et surtout pour tenir compagnie aux deux grands. », « Citoyen du monde, c’était le caprice ultime du peuple repu qui se déplace sans risquer sa vie. » et d’autres). Ne craigniez-vous pas une réception difficile du côté de publics adeptes d’une certaine pudeur de gazelle ?
Ces publics sont surreprésentés et les plus choyés par les maisons d’édition mais ils ne sont pas les seuls à lire. J’ai écrit ce roman comme on lance une bouteille à la mer, sans même me soucier de l’accueil, je pensais bien ne pas faire l’unanimité. Plus, je pense que faire l’unanimité dans une société pasteurisée est mauvais signe.
Peut-on imaginer retrouver un jour le personnage d’Aurélie dans l’un de vos livres ou souhaitez-vous vous en détacher pour de bon ?
Elle pourrait revenir. Je ne calcule rien et ne m’interdis rien. Écrire est la plus grande liberté de ma vie.
Déjà une idée pour votre prochain livre ?
Oui, je suis en train de l’écrire. Mais je n’en parle pas ouvertement. Pour moi, parler de quelque chose en cours de construction, c’est défier la vie.
Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Marion Messina la femme et Marion Messina l’auteure :
Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
Vie et Destin de Vassili Grossman
Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?
Fight Club de David Fincher
Le livre que vous aimez en secret ?
Aucun ! J’assume tout, il n’y a aucun secret.
L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
Houellebecq, justement.
L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?
Christine Angot. Un truc similaire.
Vous ne devez écouter plus qu’une seule musique. Laquelle ?
La symphonie n°5 de Mahler.
Votre passion un peu honteuse ?
Je n’en ai pas.
Le livre que vous auriez aimé écrire ?
Voyage au bout de la nuit de Céline.
Le livre que vous offririez à une inconnue ?
Le Maître et Marguerite de Boulgakov.
La première mesure de la Présidente Messina ?
Aider l’installation des jeunes paysans et lutter contre la déprise agricole qui menace nos écosystèmes, notre sécurité alimentaire et notre identité… pour le peu qu’il en reste.
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