Journaliste française indépendante, grande spécialiste de l’Europe de l’Est et de l’ex-URSS, déjà récompensée par plusieurs prix, voilà que Prune Antoine débarque en librairie du côté des romans. Cette fois, la native d’Epinal nous embarque avec L’heure d’été du côté de Berlin où l’auteure a posé ses valises dans la vraie. Une histoire d’amour banale, une rencontre pas franchement trépidante. Et pourtant : attention, bijou littéraire !
# La bande-annonce
« Violette avait franchi la barre des trente-cinq ans : le début des problèmes. Le moment de la grande question de la vie : môme ou pas môme ? Dans de rares moments d'enthousiasme, elle devait reconnaître qu'elle appartenait à cette génération de femmes à disposer d'un tel choix dans la décision d'enfanter. Normal qu'elle se tâte. »
Après avoir rencontré Mir, un photographe indépendant, lors d'un reportage à Kiev, Violette décide de quitter Paris pour le rejoindre et s'installer à Berlin. Dans cette ville-monde en transition, ils vont se chercher, s'aimer, se quitter, se retrouver jusqu'à ce que la réalité et la vie les rattrapent.
Alors que l'Europe s'enlise dans la crise économique, la crise des populismes, la crise des réfugiés, nous suivons la vie (presque privée) de Violette et Mir qui n'ont qu'un mot d'ordre : liberté ! Pas d'attaches, pas de sentiment, semble être leur mantra. Mais avec l'âge, les questions existentielles se décalent...
À un rythme effréné, les scènes s'enchaînent, étincelantes de vie, et Prune Antoine déploie son art de l'observation et des dialogues pour saisir son époque et dresser un portrait sans concession de la génération Xennials - celle née entre 1977 et 1983 -, de Berlin et de l'Europe d'aujourd'hui.
# L'avis de Lettres it be
Avec une présence dans la liste des 5 nominés pour le Goncourt 2019 du premier roman, il était difficile de ne pas entendre parler de L’heure d’été, premier roman de Prune Antoine publié aux Editions Anne Carrière. En tentant l’aventure, la première chose qui retient l’attention est bien la quatrième de couverture : Berlin, une rencontre amoureuse sur fond d’Europe qui se délite… Rien de bien neuf, à première vue, sous le soleil. Mais, parfois, tourner ne serait-ce que la première page d’un livre permet d’ouvrir bien des merveilles. Et fermer bien des a priori…
« Ses écrivaines favorites, Marguerite Duras, François Sagan ou Virginie Despentes s’étaient à peu près tues sur le sujet. Création ou procréation ? Même Annie Ernaux ne parlait guère de sa maternité, préférant raconter son IVG. Et la papesse des féministes, cette bonne vieille Simone de Beauvoir, n’en avait pas eu : pourquoi ? Ne voulait-elle pas ou ne pouvait-elle pas ? Le mystère restait entier. Violette se demandait sérieusement si le Castor aurait accepté de se retrouver les quatre fers en l’air sur un siège rouge sang, pendant que l’existentialiste Jean-Paul s’astiquerait sur un porno de camionneur… Soumise à des injonctions contraires, Violette cherchait des réponses, au moins des indices. Comment ou pourquoi s’étaient-ils retrouvés là ? »
Dès les premières mots, dès les premières phrases, Prune Antoine mord et prend à la gorge. La langue est posée, naturellement mais avec vigueur. On sait que l’on va rire, on sait que l’on va passer un bon et agréable moment de lecture en compagnie d’une auteure qui nous fait face et ne s’efface pas derrière les facilités et les convenances. On sent d’emblée une véritable ambition littéraire : apposer un style, une vraie plume sur une histoire somme toute banale. Nous suivrons donc tout au long de ces 270 pages les décrépitudes de Violette et Mir, les deux personnages du roman, leurs amours contrariés etc. Comme dit, rien de bien exceptionnel. Et pourtant, le pari littéraire de Prune Antoine marche à merveille et donne envie de vivre tout cela de la première à la dernière page. On en a pour son talent !
« Devant la haute colonne dorée symbolisant l’indépendance de 1991, quelques mendiants éclusaient leur vodka trafiquée. Des nuées de wannabe working girls juchées sur des talons aiguilles se pressaient vers la bouche de métro. Si le paysage était resté le même, la longueur des jupes avait définitivement rallongé, témoignant d’une augmentation incontestable du PIB. »
Par simplicité, on pourrait dire qu’il y a du Houellebecq ou du Despentes chez Prune Antoine. Par facilité, on pourrait se contenter de saluer les saillies verbales, les acidités et les réflexions bien senties. Par concision, on pourrait féliciter l’auteure pour sa verve et son humour. Mais il y a tout cela à la fois, d’une façon si bien dosée et construite qu’il est impossible de ne pas tomber en admiration. Et si le véritable hommage pour traduire ce plaisir de lecture était de reconnaître qu’il y a, tout simplement, du Prune Antoine dans ce livre ?
« En orthographe, le masculin continuait de l’emporter sur le féminin. La liberté ne se conjuguait-elle qu’avec des couilles ? Et les femmes avaient-elles vraiment envie d’être libres ? Durant un stage dans un magazine féminin, elle avait réalisé que l’oppression ne venait pas forcément des hommes. Entre elles, les filles étaient impitoyables, comme des hyènes : les mères, les sœurs, les copines s’évaluaient, se jaugeaient, se critiquaient en permanence, transmettant de génération en génération les règles de la soumission. Un exemple ? Comment ces vieilles biques de rédactrices en chef botoxées pouvaient-elles décemment revendiquer une ligne éditoriale « féministe », en proposant une mode pour anorexique et des conseils ‘’Garder votre homme avec la sodomie’’ ? »
C’est un premier roman comme on les aime : un vrai pari d’écriture, un univers qui saute à la gorge dès les premières lignes, un vrai ton, une plume assumée aussi drôle qu’acide… Prune Antoine fait du Prune Antoine et c’est très fort : s’impose comme cela dès un premier écrit, cela relève de l’exploit et du véritable tour de force. Bravo !
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