Après le succès rencontré avec Retour à Whitechapel, l'un de ses premiers thrillers, Michel Moatti revient en librairie avec Les Retournants publié chez HC Editions. Lettres it be en a profité pour lui poser quelques questions et en apprendre davantage sur l'homme et l'auteur.
Bonjour et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Michel Moatti ? Que faisiez-vous avant de vous lancer dans l’écriture ?
J’ai été journaliste professionnel pendant seize ans. J’ai changé de vie au début des années 2000 : je suis retourné à l’université, où j’ai soutenu une thèse de doctorat en sociologie, sur Internet, le deep web et les communautés virtuelles. Et je suis devenu universitaire.
Vous avez d’abord publié des essais, dont La Vie cachée d’Internet dès 2002 aux Editions Imago. Pourquoi et comment vous êtes-vous ensuite tourné vers le roman ?
Mon premier roman, Retour à Whitechapel, est un peu un « accident » : au départ, j’avais en tête d’écrire un ouvrage plus « sérieux », sur la sociologie de Londres au XIXème siècle, le travail des femmes et des jeunes filles dans les usines de l’East End, l’immigration industrielle et toute la violence qui régnait dans les mauvais quartiers de Londres, les faits divers, dont bien sûr, l’affaire de Jack l’Éventreur. C’est mon éditrice, Isabelle Chopin, qui m’a incité à fictionnaliser ce travail, à en enlever la dimension trop historique, à couper les (trop nombreux) extraits de presse de l’époque. Bref, d’écrire un roman plutôt qu’un travail d’historien ou de sociologue des médias. Et je l’ai écouté, bien sûr. J’ai inventé un personnage, Amelia Pritlowe, qui est l’héroïne et la narratrice de Retour à Whitechapel. Ce personnage imaginaire est le seul élément inventé du roman. Le reste est très-très proche de ce qui s’est passé à la fin de cette année 1888, où Jack l’Éventreur apparaît...
On vous connaît également comme maître de conférences en sociologie où vous travaillez sur les thèmes de l’opinion publique, des médias et de la violence sur Internet. Est-ce que, à ce titre, le roman et la fiction sont une échappatoire pour vous ou alors un moyen de prolonger vos travaux sous différentes formes ?
Ce n’est pas un refuge ni une fuite vis-à-vis de mes travaux universitaires. Les deux cohabitent assez bien. Mes étudiants m’interrogent souvent sur cet aspect moins universitaire de ma vie et de mon travail, et ça les intéresse… Sans doute parce que les deux sont complémentaires et s’imbriquent finalement assez bien. Par exemple, je parle beaucoup en cours d’un sociologue anglais, Charles Booth, qui a enquêté sur la misère à Whitechapel à la fin du XIXème siècle. Son travail a aussi nourri mon premier roman. Et pour Tu n’auras pas peur, qui est à première vue un thriller à dimension policière (il a d’ailleurs eu le Prix du meilleur roman francophone à Cognac en 2017) , je parle beaucoup des réseaux sociaux, du darknet, des rumeurs et des infos sur le Net… Ce sont des parties de mon cours à la fac. Non, je crois que les deux parties de ma vie se nourrissent l’une l’autre.
C’est avec votre premier roman, Retour à Whitechapel publié en 2013 chez HC Editions, que vous rencontrez un franc succès et que vous commencez à vous faire un nom dans l’esprit des lecteurs. Votre livre est même nommé parmi les finalistes du Prix Historia et du Prix Sang d’encre l’année de sa sortie. Comment avez-vous vécu cette reconnaissance et cette entrée réussie dans la littérature ?
Avec beaucoup de joie et d’émotion. C’est vrai que pour un premier roman, je ne m’attendais pas à être reçu dans des émissions de radio immédiatement, à lire des critiques dans la presse, etc. Oui, très ému et très flatté… Par exemple, lors du lancement de Retour à Whitechapel, début 2013, ma maison d’édition a organisé un voyage de presse à Londres, au cours duquel je devais faire visiter les quartiers évoqués dans le roman. Et je me suis retrouvé dans l’Eurostar, puis dans Whitechapel et d’autres quartiers de Londres avec mon éditrice et Julie Malaure, la journaliste littéraire du Point, dont je lisais les critiques régulièrement, et je me suis dit « M… Tu es à Londres, en tant qu’auteur, et tu fais visiter les lieux de ton roman à Julie Malaure… ». Je n’y croyais qu’à peine. Et j’ai été invité à peu près à la même époque à une conférence-débat avec Michel Gueorguieff, un des deux ou trois dont la voix compte en France sur le roman noir et le polar, et qui se met à dire en ouverture du débat tout le bien qu’il pense de mon livre… J’étais cloué, de joie et de fierté bien sûr, mais aussi d’incrédulité.
Est-ce une pression supplémentaire à l’approche de la parution d’un nouveau livre ?
Oui. Indiscutablement, ça met une barre. On compare forcément les réactions des lecteurs et des médias. Mais en même temps, non, au sens où ça ne m’incite pas à appliquer une recette. Tous mes livres, et parfois, ça peut devenir une sorte de reproche, sont différents, et dans l’époque, et dans le style de narration ou de genre. J’ai des récits très contemporains, d’autres beaucoup plus historiques, c’est-à-dire ancré dans le passé ; des approches très romanesques avec plusieurs personnages, des récits alternés et vifs, aux chapitres très courts, comme Tu n’auras pas peur, et d’autres plus intimes, comme Alice change d’adresse ou Les Retournants, qui visitent avant tout la psychologie de quelques personnages, et où ce sont les altérations progressives de cette psychologie qui font avancer le récit, y compris dans ses « coups de théâtre »…
Vous revenez donc en librairie avec Les Retournants. Quelques mots peut-être pour le présenter aux lecteurs qui n’auraient pas encore eu la chance de le découvrir ?
C’est un roman qui est à la fois un récit de guerre (celle de 1914-1918), un road movie où deux personnages en fuite traversent situations et contextes, en chamboulant tout sur leur passage, mais aussi un récit aux limites du fantastique, un livre de fantômes, avec des personnages qui flirtent avec le surnaturel. Et peut-être, aussi, un roman d’amour impossible…
Une fois encore, vous plongez dans une page bien connue de l’Histoire de France et qui pourtant recèle, elle aussi, son lot de zones d’ombre. Dans Les Retournants, vous abordez le cas de ces soldats qui ont fuit le front pour éviter une mort certaine. Pourquoi ce choix de cette période historique si particulière ? Qu’est-ce qui a pu vous intéresser dans la figure de ces déserteurs, ces hommes éloignés des stéréotypes du héros guerrier et vaillant pourtant bien plus mis en avant dans l’intellect collectif ?
J’avais envie depuis longtemps d’écrire sur la Première Guerre mondiale… c’est une des grandes images de notre mémoire collective, encore fraîche même s’il n’y a plus aujourd’hui de témoins vivants. J’avais différentes idées de récits. Mais comme je l’explique dans les notes à la suite du roman, c’est surtout mon arrière-grand père, que j’ai connu longtemps (il est mort quand j’avais quatorze ans) qui est sans doute l’instigateur secret de ce roman : quand j’étais gamin, il venait me raconter, chaque soir, au lit, des histoires qu’il appelait ses « contes », composés à partir de ses souvenirs de soldat de l’armée française, sur le front de l’est et de la Somme… J’ai voulu me servir de ces souvenirs pour créer un long récit, avec des personnages un peu inspiré des siens… Des soldats, des femmes, des fantômes : il y avait déjà tout ça dans ses histoires.
Inévitablement, on pense au cours de la lecture de votre livre à Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre. Un pur hasard ?
Oui. Je ne l’ai pas lu, ni vu l’adaptation. Je dirais, (avec beaucoup de modestie) que s’il faut chercher des références à ce roman, ceux qui m’ont inspiré sont bien sûr Maurice Genevoix, avec Ceux de 14, Roland Dorgelès et Les Croix de Bois, ou Henri Barbusse avec Le Feu… Les grands livre de la Grande Guerre… Même si dans Les Retournants, je choisis de ne pas raconter l’épopée de héros, mais de déserteurs, qui refusent de mourir pour la Patrie… Et j’ajouterai les Carnets de Louis Barthas, qui est un prodigieux document sur l’époque et la vie au front.
Aussi, et plutôt concernant le duo tout en décalage formé par vos personnages Vasseur et Jansen, on ne peut s’empêcher d’imaginer des liens avec d’autres duos majeurs en littérature : George Milton et Lennie Small dans Des souris et des hommes de Retour à Whitechapel, l’inénarrable paire Sancho Panza – Don Quichotte… Comment avez-vous construit votre duo à vous ? Quelles ont été vos inspirations dans ce travail d’écriture ?
J’avais vraiment envie de construire ce couple de personnages, proches par le hasard et les circonstances, mais terriblement différents sur le plan des valeurs et des sentiments. Les contingences de la guerre les rapprochent, je dirais même, les obligent à cohabiter. Et tout le récit va se bâtir sur cet étrange équipage. Vasseur est un monstre, impatient, impétueux, d’une violence absolue. Mais il est fin et habile, intelligent dans sa folie, méticuleux. Jansen est au départ, un idéaliste déçu, socialisant, humaniste, que la guerre a rendu froid et distant. On le croit capable de résister aux fureurs de Vasseur. On attend la confrontation, qui aura lieu et dont l’issue précipite le roman vers d’autres perspectives… Pour comparer avec les duos que vous citez, il y a une grande différence : entre Quichotte et Sancho, entre Lennie et George, il y a de la complicité et de l’affection. Entre Jansen et Vasseur, il n’y a que de la nécessité… Encore un détail : les deux personnages sont courageux, malgré leur fuite. Ils n’ont pas peur de mourir, ils ont peur de mourir pour rien…
Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Michel Moatti l’homme et Michel Moatti l’auteur :
Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
La totalité des Aventures de Sherlock Holmes, de Conan Doyle
Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?
Les Seigneur des Anneaux – La Trilogie, de Peter Jackson
Le livre que vous aimez en secret ?
Malpertuis, de Jean Ray (en secret, parce que je ne connais qu’une personne qui l’ait lu aussi…)
L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
Patrick Modiano, mais je ne suis pas sûr qu’il boive des bières…
L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?
Howard Philip Lovecraft
Vous ne devez écouter plus qu’une seule musique. Laquelle ?
Je triche, deux réponses : Subculture de New Order, et le Stabat Mater, de Giovanni Battista Pergolese.
Votre passion un peu honteuse ?
Acheter des paires de chaussures, sans fin…
Le livre que vous auriez aimé écrire ?
Les années, d’Annie Ernaux
Le livre que vous offririez à une inconnue ?
Ghosts, d’Edith Wharton
La première mesure du Président Moatti ?
Une grande loi, efficace et rapidement applicable sur la souffrance animale, dans toutes ses dimensions.
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Kandly Spense (lundi, 14 mai 2018 20:39)
Je vous adore les garçons!
Laurent Vranjes (mardi, 15 mai 2018 15:50)
Nous aussiiiiiiii on s'aimeuuuuuuuuuuuuu!!!!!!!!
Et on t'adoooooore pareil, ma Kandly Spense.
Un spencien enthousiaste. ;)