Sélectionné pour le Man Booker Prize for Fiction en 2005 avec son roman Un long long chemin lauréat du prix James Tait Black Prize for fiction et du Prix Costa en 2008 avec Le Testament caché, Sebastian Barry est un auteur irlandais qui pèse de plus en plus lourd sur la scène des lettres internationales. Le voila qui revient aux affaires avec Des jours sans fin publié chez Joëlle Losfeld. Le bandeau placé sur le livre et présentant fièrement une phrase encensant l’ouvrage par Kazuo Ishiguro, prix Nobel de littérature 2017, suffit à placer la barre des attentes assez haut. Qu’en est-il après lecture de ce livre ? Lettres it be vous dit tout !
# La bande-annonce
Chassé de son pays d’origine par la Grande Famine, Thomas McNulty, un jeune émigré irlandais, vient tenter sa chance en Amérique. Sa destinée se liera à celle de John Cole, l’ami et amour de sa vie.
Dans le récit de Thomas, la violence de l’Histoire se fait profondément ressentir dans le corps humain, livré à la faim, au froid et parfois à une peur abjecte. Tour à tour Thomas et John combattent les Indiens des grandes plaines de l’Ouest, se travestissent en femmes pour des spectacles, et s’engagent du côté de l’Union dans la guerre de Sécession.
Malgré la violence de ces fresques se dessine cependant le portrait d’une famille aussi étrange que touchante, composée de ce couple inséparable, de Winona leur fille adoptive sioux bien-aimée et du vieux poète noir McSweny comme grand-père. Sebastian Barry offre dans ce roman une réflexion sur ce qui vaut la peine d’être vécu dans une existence souvent âpre et quelquefois entrecoupée d’un bonheur qui donne l’impression que le jour sera sans fin.
# L’avis de Lettres it be
Le début de lecture était pourtant mitigé. La crainte sûrement d’une histoire façon Seules les femmes sont éternelles de Frédéric Lenormand où sont racontés les périples à travers la Grande Guerre d’un homme qui doit bientôt affronter le monde des femmes par le travestissement. Une lecture qui nous avait laissé un bien mauvais souvenir chez Lettres it be. Sebastian Barry nous embarque en effet dans les pas de Thomas McNulty, un jeune de 13 ans fuyant la famine irlandaise jusqu’au USA, au beau milieu du XIXème, où il rencontrera très vite l’amour sous le nom de John Cole. Tous deux vont d’abord danser en femme dans les cabarets avant de valser sur les champs de bataille, au rythme des balles et au côté des tuniques bleues de l’Union. La première centaine de pages séduit difficilement, on trime pour avancer dans l’histoire/l’Histoire. Mais c’est bien là qu'apparaît ce que l’on nomme couramment « le calme avant la tempête » …
L’acte de revêtir un uniforme change la vie d’un homme, irrémédiablement. Ici, le passage à l’arme change le cours d’une lecture, d’un livre tout entier. On met progressivement le pied sur les champs de bataille avec Thomas et John et à l’aide d’une plume qui se durcit page après page, n’hésite bientôt plus à décrire la noirceur des âmes et des flaques de sang séché qui jonchent les champs de bataille. De la chaleur cotonneuse des cabarets où les deux compères se travestissaient en femme, on passe maintenant sur le terrain de jeu préféré de la Mort où tentent de courir le plus vite possible à leur perte respective Indiens, Union et Confédération. La guerre de Sécession fait rage et emporte avec elle, plein les bagages, autant de destins incertains.
"On voyait leurs visages fondre et on sentait l'odeur de leur chair en train de rôtir. Les cadavres se tortillaient étrangement dans la chaleur, ils tombaient puis roulaient sur l'herbe brûlée, libérés par l'effondrement des parois." (page 42)
Difficile de se remémorer une telle qualité dans l’écriture que celle que l’on retrouve dans Des jours sans fin de Sebastian Barry. La montée en rythme est parfaite, les sentiments et pensées qui traversent cette lecture n’ont que trop rarement été ainsi maîtrisés. Les personnages qui peuplent le roman, finalement peu nombreux, incarnent un monde et tant de réflexions sensées pour chacun d’eux. Et Winona, l’étincelle, l’espoir déchiré entre les Hommes …
Le cœur se serre durant ces passages où l’auteur dublinois franchit allègrement la frontière du bienséant. La merde, le sang, la crasse, le froid et la faim trouvent ici des lettres de noblesse. On ne croyait plus ça possible dans une littérature contemporaine qui, lorsqu’elle ne ressasse pas le passé, peine à évoquer la fange qui s’étale sous nos pieds. Alors quand cela est fait avec un tel brio, il ne reste plus qu’à s’incliner.
Impossible non plus de ne pas penser à l’écriture d’un Louis-Ferdinand Céline à la lecture de ce livre. Certaines phrases, certaines pages, certaines intonations suffisent à repenser même brièvement au Voyage tant les points de ressemblance s’accumulent. Mais ce qui pourrait très vite tourner à la pâle copie s’avère être un hommage appuyé et savamment maîtrisé de la part d’un auteur à qui l’on souhaite (et on l’envisage même sérieusement) un succès similaire. Quand un auteur d’aujourd’hui parvient à regarder droit dans les yeux ses brillants aînés d’hier, là encore, c’est la génuflexion obligatoire.
"Voilà comment ça a commencé." (page 34)
Sebastian Barry (re)fait son entrée dans la cour des grands avec un roman-phare à ne surtout pas manquer au cœur de cette rentrée littéraire de janvier 2018. Un coup d’éclat, un final ahurissant. Remarquable !
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