La sortie d’un nouveau livre de Philippe Claudel est, à chaque fois, un événement. Cette fois, l’auteur né à Dombasle-sur-Meurthe reparaît du côté de chez Stock dès le 14 mars avec L’Archipel du chien, un conte noir insulaire qui pourrait bien rompre avec la tradition des précédents ouvrages de l’auteur. Lettres it be est allé découvrir cet Archipel du chien et vous en livre quelques mots.
# La bande-annonce
"Le dimanche qui suivit, différents signes annoncèrent que quelque chose allait se produire. Ce fut déjà et cela dès l'aube une chaleur oppressante, sans brise aucune. L'air semblait s'être solidifié autour de l'île, dans une transparence compacte et gélatineuse qui déformait ça et là l'horizon quand il ne l'effaçait pas : l'île flottait au milieu de nulle part. Le Brau luisait de reflets de meringue.
Les laves noires à nu en haut des vignes et des vergers frémissaient comme si soudain elles redevenaient liquides. Les maisons très vite se trouvèrent gorgées d'une haleine éreintante qui épuisa les corps comme les esprits. On ne pouvait y jouir d'aucune fraîcheur. Puis il y eut une odeur, presque imperceptible au début, à propos de laquelle on aurait pu se dire qu'on l'avait rêvée, ou qu'elle émanait des êtres, de leur peau, de leur bouche, de leurs vêtements ou de leurs intérieurs.
Mais d'heure en heure l'odeur s'affirma. Elle s'installa d'une façon discrète, pour tout dire clandestine".
# L'avis de Lettres it be
Tout est dans le titre, peut-on dire souvent à l’envolée, qu’importe le sujet. Mais dans la bibliographie de Philippe Claudel, l’adage est souvent faussaire. Après Le lieu essentiel, Inhumaines ou encore L’arbre du pays Toraja, L’Archipel du chien vient compléter une œuvre déjà bien touffue et qui s’est confrontée à nombre de sujets. Mais l’inventivité est là, cette volonté d’user encore et toujours de la fiction pour éclairer notre réel quotidien aussi. Et rien que pour cela, la découverte d’un nouveau Claudel peut valoir le détour.
Dès les premières pages, un constat s’impose : Philippe Claudel semble revenir à certaines de ses premières amours et, en premier lieu, le recours à des personnages nommés par leur fonction directe dans le récit. On croise alors « Le Professeur », « Le Policier » et tant d’autres, comme ce fut déjà le cas dans certains des précédents écrits de l’auteur. De quoi poser le cadre d’un roman qui sait discrètement se faire pièce de théâtre et où une île somme toute imaginaire servira de scène tout au long du récit (malgré quelques malheureuses excursions maritimes). De ce cadre, l’auteur lorrain tirera une intrigue à la croisée des chemins entre le thriller tout à fait classique et le roman de mœurs, voire le conte mythologique par instant. Les caractères présents se posent très vite, les écueils de chacun également, de sorte à laisser le lecteur dans l’indignation et l’effroi face aux actes commis et aux réactions de chaque personnage en présence.
C’est un conte noir, mystérieux, habillé d’un sombre lyrisme que livre ici Philippe Claudel avec L’Archipel du chien. Un brin trop moral dans ses métaphores, ce livre se laisse tout de même lire avec une intéressante facilité, multipliant les niveaux de lecture et donnant à chaque lecteur, aguerri ou pas, attentif ou pas assez, de quoi se repaître l’esprit. Bien dans l’ère du temps, impossible de ne pas penser à la figure du migrant qui devient aujourd’hui autant héros de roman que symbole des tourments. Mais Claudel reste en surface et ne sombre que rarement dans le lieu commun pratique pour servir son récit. En somme, un récit un poil convenu mais qui laisse ouvertes des portes de réflexion intéressantes que l’on retrouve avec joie, et comme souvent, dans les livres de Philippe Claudel.
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