Fabrice Pliskin. Son nom ne vous dit peut-être rien (pour l’instant) mais, désormais, retenez-le. Avec Une histoire trop française, l’ancien rédacteur du côté de l’Obs revêt définitivement les habits du romancier social. Une fois de plus, la thématique n’est pas aisée : Pliskin envisage ici de raconter, de l’intérieur, le scandale du PIP. Tout le monde se souvient de cette affaire qui secoua la France et l’étranger, ces prothèses mammaires commercialisées par la société PIP et qui devenaient aussitôt de vraies bombes à retardement implantées dans le corps des femmes. Un fait judiciaire devient, à grands coups de plume, un immense roman. Pourquoi ? Comment ? Lettres it be vous en dit plus, juste quelques lignes en-dessous.
# La bande-annonce
PDG d’une entreprise exemplaire où les employés sont heureux, Jean Jodelle est un patron prospère et offensif. Un million de femmes dans le monde porte les implants mammaires que fabrique sa société. Critique littéraire au chômage, Louis Glomot est assez pessimiste quant à son avenir professionnel. Louis et Jean se sont bien connus au lycée. Ils partageaient un même amour de la littérature que Jean cultive en envoyant chaque matin à ses cent vingt salariés un poème de La Fontaine ou de Rimbaud. Lorsque les deux anciens condisciples se recroisent par hasard au Jardin des Plantes, Louis ne peut s’empêcher d’y voir une opportunité inespérée. Louis se retrouve à travailler pour Jean. Mais qu’est-ce qu’un ex-critique littéraire pourrait bien faire dans une entreprise qui produit cent mille implants mammaires par an ? Sinon découvrir derrière la façade humaniste – hauts salaires, horaires souples, congé maternité de 28 semaines et crèche d’entreprise… – une réalité sordide qui va déclencher le scandale mondial des prothèses Jodelle.
// " - « Il y a un problème avec le pommeau de la douche de la baignoire, ça fuit de partout, dit-elle. Je compte sur toi pour faire l’homme. »
Comme l’Europe, Eudoxie a des exigences essentielles." //
# L’avis de Lettres it be
Le scandale des prothèses fabriquées par la société PIP, l’implication du PDG de cette entreprise, le bien trop célèbre désormais Jean-Claude Mas et ses mensonges à répétition … « Une histoire trop française » baigne dans ce fait divers qui défraya la chronique française il y a 7 années maintenant. Une fois n’est pas coutume, Fabrice Pliskin nourrit ses ouvrages avec les maux de notre société. Après L’agent dormant qui raillait la « gauche caviar » et les bonnes mœurs à géométrie variable, après Toboggan qui mettait en lumière la valeur de l’accusation dans une affaire d’inceste, après Impasse des bébés gris qui moquait l’art contemporain et ses errances monnayables, Une histoire trop française s’empare à bras-le-corps d’un épisode juridique qui trahit bien les errances actuelles.
L’écriture, le récit, les personnages, les pensées … Tout s’imbrique ici (presque) parfaitement. Aucun mot ne supplante l’autre, aucune idée ne vient noyer le roman, aucune baisse de tension ne vient trahir le plaisir de lire. Tout semble être rondement mené dans cette histoire qui n’imagine rien d’autres que l’épopée de la société Jodelle (le pendant romanesque de la société PIP) et son emblématique PDG, Jean Jodelle. Amouraché de la belle Eudoxie, pimpante nymphette qui accède à peine au statut accompli de femme, Jodelle se retrouve bien vite enfermé dans un triptyque avec elle et aussi Louis Glomotz, un vieil ami lettré en quête d’une bonne opportunité professionnelle qu’il trouvera chez Jodelle. Au-delà de cette petite intrigue, le roman fuse, explose, s’enivre page après page, pendant que la société Jodelle coule silencieusement, sans même le savoir.
L’histoire n’est finalement qu’un détail. L’intrigue est finalement connue, de par le lien qu’elle conserve d’avec le réel. La véritable grande force de Fabrice Pliskin ici, ce sont ces petites allégations, ces petites phrases qui peuplent le roman et s’arriment à votre esprit jusqu’à la dernière page. Une plume lourde, puissante, qui régale sans cesse. Morceaux choisis.
// "Maintenant, Louis et Eudoxie forment une famille nombreuse, avec deux enfants (une semaine sur deux) et deux génocides de compagnie. A la maison, le génocide juif et le génocide rwandais vivent en bon concubinage. Couchés en rond, le nez entre les pattes, sur le canapé, comme deux gros chats qui auraient forcé sur les croquettes, les deux génocides chahutent, miaulent à l’unisson, se font des politesses, des lècheries. Passez-moi la rhubarbe, je vous passe le charnier. D’origine lituanienne, le grand-père de Louis a été assassiné dans une chambre à gaz à Auschwitz. Il n’échappe pas au petit-fils que ce génocide modèle, génocide de gala, parangon du genre, commence à lasser le public. C’est un millésime prestigieux, que l’on cite sans cesse en exemple, pour le médailler ou le blasphémer. De quoi bouchonner la sympathie universelle. Auschwitz, mon unique certificat de judaïsme, aime à se répéter l’irréligieux Louis, né dans une famille communiste, où une bar-mitsva ne semblait pas moins exotique qu’un voyage dans la lune, chez les Sélénites de Méliès." //
Vous l’aurez compris, c’est vif, brillant et le lecteur est emmené dans une spirale qui, finalement, se trouve être créée autant par l’intrigue du livre que par l’écriture. Et puis, l’hommage appuyé à Louis-Ferdinand Céline, ces points de suspension qui habitent les pages par-ci par-là est extrêmement bienvenu et met en lumière une inspiration que l’on imagine salvatrice.
// "C’était son cadeau de Noël … Six mois après la pose, elle commence à éprouver des douleurs articulaires aux pieds … D’abord on lui dit que c’est dans la tête … Puis qu’elle porte trop de talons … " //
En somme, un roman élégant, brillant, qui donne terriblement envie d’en savoir plus sur Fabrice Pliskin et le reste de son œuvre. On aime !
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