Bonjour Emmanuel Brault et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Emmanuel Brault ? Que faisiez-vous avant d’écrire ce premier roman Les Peaux rouges publié chez Grasset ?
J’ai été juriste, informaticien, formateur, directeur. J’ai voyagé un peu. Je me souviens de lady-boys thaïlandaises qui m’ont alpagué dans les rues de Bangkok. Elles étaient belles. J’ai été troublé. J’ai bu trop de vin et parfois, pas assez. Je fume le cigare parce que j’aime être noyé dans des nuages de fumée. Je suis au milieu de ma vie, et je crois qu’enfin, je tiens ma danseuse. « Tu racontes des histoires » dit-on pour dire à quelqu’un qu’il ment. Mon métier est de mentir avec le consentement du lecteur. C’est incroyable comme occupation ! Créer des réalités virtuelles à l’ancienne, sans casque ni lunettes 3D.
Pourquoi avoir choisi un thème on ne peut plus dérangeant, celui du racisme, pour votre premier ouvrage ?
Le thème du racisme intéresse, interpelle, énerve. Il ne laisse pas indifférent. Nous créons des codes, des distances, des pudeurs. Et lorsque je dis nous, je m’inclus dans ce nous. Tant qu’il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir, dit la maxime. Je crois que pour un roman, c’est l’inverse : je tenais là un excellent matériau pour écrire une histoire. Je ne voulais pas d’un roman politique qui n’aurait rien apporté. C’est bien, ce n’est pas bien... la littérature, ce n’est pas cela. La littérature sort de l’opinion, du jugement.
Vous avez opté pour le registre comique voire burlesque pour aborder ce thème. Ne craignez-vous pas le retour de bâton d’une critique ahurie par ces thématiques et qui s’interdit tout second degré à ce sujet, comme nous l’avons vu pour un film comme « A bras ouverts » par exemple ?
Il est vrai que j’ai voulu en rire. Sur ce point, j’ai réussi : je me suis bien amusé ! Lorsque j’écris, je ne m’intéresse pas à ce que le lecteur, et à fortiori les critiques, penseront du livre. Je m’en préoccupe après avoir mis le point final à mon roman. Je reviens alors dans le monde les yeux ahuris et j’essais de faire face. Cela dit, l’accueil du roman est, pour l’instant, très bon !
Jean des Esseintes, Ferdinand Bardamu, Marc Marronnier chez Beigbeder … Plusieurs personnages de papier s’invitent dans notre esprit à la lecture de votre ouvrage. Des personnages qui se rapprochent, sur certains points, à Amédée Gourd, l’antihéros par excellence. Un hasard ?
Je n’écris jamais en pensant à tel auteur ou tel personnage. Mais ils s’incrustent dans mes romans à mon corps défendant ! Céline est sans doute l’auteur qui m’a le plus marqué. Il m’a pris et il m’a recraché sous une forme qui n’a plus jamais été la même.
Restons sur le personnage d’Amédée Gourd. Vous le représentez comme esseulé, vivant chez sa « Mémé », puceau, peu avenant. Est-ce un choix qui s’est imposé à votre plume ou une véritable volonté de représentation ?
Ce roman est une farce. Je ne voulais pas d’un drame social, devenu un genre tarte à la crème dans un grand nombre de cas. Je n’ai pas pris le plus petit renseignement pour bâtir ce roman. J’ai été paresseux à dessein. Chaque chapitre était une surprise, une fête dans laquelle je m’invitais. Amédée Gourd a pris corps, avec ses vices de forme, ses tics de langage, sa maladresse, sa candeur, sa haine, et puis, très rapidement, sa Mémé est apparue. Elle est l’autre face d’Amédée, son origine et sa fin. L’un ne va pas sans l’autre.
A l’image du personnage de des Esseintes de Huysmans, classeriez-vous votre livre dans la lignée du courant « décadentiste », ce courant qui refusait le naturalisme à la Zola et se décrivait comme une « désespérance teintée d'humour et volontiers provocatrice » ?
Je me méfie des théories littéraires, souvent le fait de journalistes ou de critiques en mal de sensations. Je fais mes livres sans me préoccuper d’une lignée. J’ai mes auteurs préférés de Flaubert jusqu’à Céline en passant par Selby et Houellebecq. Cela dit, je n’échappe pas à mon époque. Et notre époque a un arrière-goût de décadence. C’est peut-être en cela que vous pourriez me qualifier de décadentiste. Cela a du bon la décadence. On en profite sans se préoccuper d’avenir ou de progrès, qui annoncent très souvent de grandes catastrophes. Dès qu’on me parle de décadence, j’imagine des romains avachis sur leur siège à bouffer du raisin en rotant. J’ai trop lu Astérix sans doute.
Par moment, on croit lire dans votre roman une adaptation terriblement moderne du Rhinocéros d’Ionesco. Est-ce un ouvrage qui vous a inspiré pour Les Peaux rouges ?
Non, je ne l’ai pas lu !
Votre ouvrage regorge de moments épiques, comme lorsque Amédée et ses compagnons de cure poussent la chansonnette pour chasser le mal qui les ronge. Etait-ce pour vous un moyen, non pas de dénoncer, mais de railler un peu cette tendance actuelle à l’édulcoration et la « psychologisation » des esprits ?
Oui notre époque est remplie de cette novlangue faite de slogans publicitaires qui tiennent lieu de pensée. Elle envahit tout, jusqu’aux causes les plus nobles, voyez les publicités racoleuses contre le racisme ou pour les associations humanitaires. Nous raisonnons en termes de mantras répétés avec le sourire, en croyant qu’ils fonctionneront. Et dans une certaine mesure, cela marche puisque nous y croyons ! Nous aimons trop les raccourcis, les idées simples, positives, nous privilégions la performance, l’individu, tout ce qui constitue un bon slogan publicitaire. Amédée Gourd est pris dans cette logique perverse et n’a pas les armes pour s’en dépêtrer. Son racisme représente une manière idiote, un peu adolescente, de dire merde.
(ALERTE SPOILER) Malgré la cure de « désintox’ » que Amédée va suivre, malgré la rencontre de l’amour, malgré tout ça, le racisme lui reste dans la peau, au sens propre comme au sens figuré. Pensez-vous qu’une telle tare soit incorrigible dans nos sociétés, qu’on le veuille ou non ?
La seule solution pour éradiquer la haine serait de lobotomiser les gens : relire 1984, qui montre qu’on peut obtenir ce qu’on veut des hommes à l’aide de tortures toutes plus savantes les unes que les autres. C’est possible, nous avons quelques exemples frappants dans notre histoire récente. Est-ce souhaitable ?
Et puis, imaginez un monde peuplé de gens tolérants et gentils ! En d’autres termes, un monde de pantins, invivable au sens propre ! Ce genre de monde engendrerait instantanément son antidote : des fous, des kamikazes, des psychopathes resurgiraient sur terre pour nous bouffer tout crus.
Questions bonus
- Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
Dix petits nègres d’Agatha Christie si j’ai envie de me faire peur. Un Sagan si j’ai envie de flotter. Madame Bovary parce que ce roman est inépuisable.
- Le livre que vous aimez en secret ?
Aucun je crois. Lorsque j’aime, je le fais savoir.
- L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
JG Ballard parce que je suis en train de le lire et que lorsque j’aime un livre que je lis, je voudrais discuter avec l’auteur. Je lis Crash, son livre adapté plus tard par Cronenberg, une poésie urbaine de métal, de chair et de sang.
- L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?
Pour ceux que j’aime, aucun ! La seule chose que je regrette lorsque je lis un roman, c’est de ne pouvoir le lire en langue originale : lire Selby en américain, Umberto Eco en italien, Boulgakov en russe.
- Un livre dont vous ne comprenez pas l’impopularité ?
Je ne suis pas un découvreur, j’aime les classiques que je lis et relis. Fitzgerald, peut-être, parce qu’il n’a plus connu le succès immense de ses premiers livres. J’ai du mal à comprendre la raison d’un tel désamour avec un roman comme Tendre est la nuit, un des plus beaux que j’ai pu lire jusqu’ici.
- Votre passion un peu honteuse ?
Citons la BD de Manara pour son humour (et ses belles fesses !).
- Le livre que vous offririez à un inconnu ?
Le dernier que j’ai aimé et que je viens de finir. Je l’ai dans la main, une jolie passante croise mon regard, je lui offre le livre à défaut d’un café. Le livre Crash donc.
- La première mesure du Président Brault ?
Supprimer les taxes sur les clopes, l’alcool et toutes les drogues en général. Je pourrais entamer mon long règne de dictateur en toute quiétude, ils seront trop bourrés pour protester. J’obligerais les gens à acheter un livre par mois, il en resterait toujours quelque chose. Je les inciterais à se laver une seule fois par semaine pour les odeurs, la poésie renaîtrait grâce aux odeurs. J’interdirais les petits chiens, la chirurgie esthétique et les Macdo. Je prendrais aux riches parce qu’ils ont de l’argent. Et aux pauvres, parce qu’il faut toujours prendre aux pauvres. J’abattrais tous les pavillons de banlieue, une insulte pour mes yeux chastes. J’envahirais la Suisse pour qu’un joueur français gagne enfin un grand chelem. Et le Luxembourg. Je déclarerais toujours une guerre que je serais sûr de gagner (Machiavel). J’instaurerais des jours sans télé, ni téléphone, ni ordi. Je rétablirais l’ennui comme valeur cardinale, sans ennui nous ne sommes que des robots torchés par nos smartphones.
- Ecrire : tard la nuit ou tôt le matin ?
Tôt le matin. La journée laisse des traces indélébiles que seule la nuit efface. J’aime la virginité des matins.
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