Après l’incontournable Chanson douce récemment adapté au cinéma, après Sexe et mensonges : la vie sexuelle au Maroc, un essai pas franchement convaincant, Leïla Slimani revient avec Le pays des autres. Premier volet d’une trilogie, ce roman marque le grand retour de l’auteure partie sur les traces de l’Histoire, de son histoire. Ça valait le coup ?
# La bande-annonce
En 1944, Mathilde, une jeune Alsacienne, s’éprend d’Amine Belhaj, un Marocain combattant dans l’armée française. Après la Libération, le couple s’installe au Maroc à Meknès, ville de garnison et de colons. Tandis qu’Amine tente de mettre en valeur un domaine constitué de terres rocailleuses et ingrates, Mathilde se sent vite étouffée par le climat rigoriste du Maroc. Seule et isolée à la ferme avec ses deux enfants, elle souffre de la méfiance qu’elle inspire en tant qu’étrangère et du manque d’argent. Le travail acharné du couple portera-t-il ses fruits ? Les dix années que couvre le roman sont aussi celles d’une montée inéluctable des tensions et des violences qui aboutiront en 1956 à l’indépendance de l’ancien protectorat.
Tous les personnages de ce roman vivent dans « le pays des autres » : les colons comme les indigènes, les soldats comme les paysans ou les exilés. Les femmes, surtout, vivent dans le pays des hommes et doivent sans cesse lutter pour leur émancipation. Après deux romans au style clinique et acéré, Leïla Slimani, dans cette grande fresque, fait revivre une époque et ses acteurs avec humanité, justesse, et un sens très subtil de la narration.
# L'avis de Lettres it be
C’est le premier élément qui frappe, avant même d’avoir tourné la première page de ce nouveau livre de Leïla Slimani. Une trilogie annoncée, une histoire construite dans les décombres du siècle dernier, un souffle romanesque… À l’image d’une Elena Ferrante ou d’un Pierre Lemaitre, Leïla Slimani fait ces différents choix-là pour apporter une nouvelle pierre à sa bibliographie. De toute évidence, à l’heure de Netflix et consorts, à l’heure de la « sérification » de la littérature, c’est de bon aloi. Nul doute que ce n’est pas là la seule raison d’exister de ce livre et des deux prochains. Mais soulignons-le quand même.
Mathilde, l’Alsacienne personnage principal de ce roman, son mari Amine pour qui elle a décidé de franchir la Méditerranée, la famille d’Amine, bientôt les enfants du couple dont la petite Aïcha… Le pays des autres est un roman large où se croisent et se recroisent de nombreux personnages. Faisant le pas de côté qui la sépare du roman choral, Leïla Slimani fait le choix ici du passé et d’un narrateur externe. De quoi ralentir un tantinet le déroulé de son histoire mais rien de bien grave.
Il est question d’opposition dans Le pays des autres. Une opposition entre la France et le Maroc, entre ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui, entre les colons et les colonisés, etc. Le roman se construit essentiellement sur ces oppositions permanentes. Mais il manque là une opposition qui n’a pas été mentionnée… Respectant le vœu de l’époque, cette opposition cristallise l’attention de l’auteure et du lecteur : l’opposition entre les femmes et les hommes.
Comme dans ses précédents romans, la langue de Leïla Slimani retrouve cette touche charnelle et crue, ce rapport frontal au corps. Mais cette fois, c’est une curieuse impression qui prend le pas… Par le combat qu’elle mène dans et en-dehors de la littérature, Leïla Slimani semble s’emparer de cette opposition avec ferveur. Trop ?
En tout cas, l’auteure apparaît comme trahie par sa langue, ou alors il s’agit d’une volonté marquée. Dans ce livre, l’homme a le visage qui ressemble « étrangement à celui de ses chiens » (page 54), il a l’air « d’un dément » avec des yeux « exorbités et injectés de sang » (page 88), l’homme est ce « jeune berger aux mollets rongés par la gale » (page 92), il est « laid et ridicule » (page 192), « abrutis par l’alcool » (page 195), il a une « pâleur de spectre » (page 244). Au-delà de l’aspect physique, l’homme est celui qui ressent un « plaisir pervers à effrayer ces oisillons » (page 141), etc. À l’inverse, les qualificatifs utilisés pour les personnages féminins changent du tout au tout, se font moins radicaux, moins brutaux. À vrai dire, le seul personnage féminin qui donne à ressentir une certaine antipathie serait cette vendeuse dédaignant Amine venu acheter un costume de Père Noël. Ce n’est peut-être là que le mirage d’un féminisme littéraire galopant, ce n’est peut-être là qu’une impression de lecteur, mais c’est là.
C’est l’histoire d’une greffe qui ne prend pas, l’histoire de forces contraires qui s’attirent pour mieux se rejeter. Avec Le pays des autres, Leïla Slimani change de ton et de registre, pour le pire et pour le meilleur. Son talent de conteuse est toujours bien présent, cette volonté de remonter le fil de l’Histoire et des racines aussi. Il en ressort un roman attachant, plaisant mais quoi, pour l’instant, ne brille pas par ses aspirations littéraires.
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