Il est de ces plumes qui ne s’expliquent que difficilement, de ces livres qui ne font parler d’eux qu’avec la modestie des grands. Vous savez, ces livres dont on sort avec une agréable impression, sans vraiment trop savoir pourquoi ? Comme le ressenti inexplicable de la pleine satisfaction ? Ces œuvres impossibles à déclamer là, tout de suite, maintenant, ces œuvres impossibles qui restent pourtant gravées bien longtemps en nous. Il semblerait qu’Audrée Wilhelmy soit la mère de l’une de ces œuvres impossibles.
D’Oss au Corps des bêtes : un parcours initiatique
C’est en 2011 que la littérature d’Audrée Wilhelmy fait son entrée dans les libraires québécoises, sous l’étendard de la maison Leméac. Une entrée donc, dans les librairies, cette espèce de Panthéon des lettres où tout accédant reçoit l’assurance d’un minimum de reconnaissance, bonne ou mauvaise. La nouvelle accédante n’est pas franchement commode, pas comme les autres. C’est donc en 2011 avec Oss que Wilhelmy débarque avec ni plus ni moins qu’une histoire étrange, onirique, nuageuse, l’histoire de Noé, « la Petite » enfante trouvée qui quitte bien vite son village de pêcheurs revêches en quête d’un ailleurs qu’elle ne trouvera sans doute … jamais. Un coup d’essai partiellement maîtrisé et qui augure de bien d’autres choses.
2013, retour aux affaires avec Les Sangs, toujours chez Leméac puis en France chez Grasset (en 2015). Finaliste du Prix littéraire France-Québec, Prix Sade, Finaliste du Prix Marie Claire du roman féminin … Les Sangs fait mal, tape juste et relate l’amour de la chair d’un homme, un Barbe Bleue priapique, un Ogre à vide de tout. Un homme confronté tour à tour à 7 femmes, bientôt 7 macchabées, qui laisseront un récit derrière elles. Un récit mélancolique, abrupte, comme au bord du précipice. La langue a maturé, elle se fait plus trébuchante, moins onirique que dans Oss. Appréciable, mais ce n’est pas fini.
2017 : Le Corps des bêtes, Leméac for ever. Une fois n’est pas coutume, le territoire est hostile, rugueux, aride. Un rocher comme habitat, une famille-puzzle ou l’oncle se refuse charnellement à la nièce, où le frère engrosse la sœur … Audrée Wilhelmy s’affranchit des bonnes morales qui n’ont aujourd’hui que trop voix au chapitre. Un petit couronnement d’une œuvre triptyque qui, on l’espère, ne s’éteindra pas sur ce bout de caillou familial.
Un talent difforme
Cette petite et trop courte rétrospective augure d’un talent difforme, immanent, indéchiffrable. D'aucuns diraient trop onirique, mais laissons le temps à cette plume de se muscler à la lueur de l'expérience. Toute une œuvre saupoudrée momentanément de nouvelles bien senties, que Lettres it be vous invite évidemment à découvrir sans attendre.
Audrée Wilhelmy n’a pas le temps pour les courbettes de l’esprit, les politesses de l’âme. Chaque livre est un coup de poing dans le foie donné avec une main gantée de satin brillant, un coup de poignard dans la foi du moralisme omniprésent. Le Québec abrite discrètement un talent pur, une pierre à polir. Impatient de découvrir ce talent brutal ? Jetez-vous sur les ouvrages d’Audrée Wilhelmy avant qu’il ne soit trop tard …
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Bärbel (lundi, 27 novembre 2017 21:15)
"un ogre à vide de tout"
Très belle perle!
Pour Le corps des bêtes : quel frère à engrossé une soeur? On y retrouve Noé de Oss, toujours aussi libre, elle couche avec deux frères et on ne sait pas pour les 2 derniers enfants qui des deux est le père. Mais aucun inceste dans ce livre, si on fait abstraction de l'inceste fantasmé de la nièce. L'écriture d'Audrée Wilhelmy est exigeante, mais pas au point de passer à côté de cette trame narrative.