
Sur les ondes de France Inter, sur le plateau de C Politique… Difficile de passer à côté de Yascha Mounk, politique allemand naturalisé américain et maître de conférences à l’université Harvard à Boston, l’auteur de l’essai Le peuple contre la démocratie traduit en français par Jean-Marie Souzeau et publié aux Editions de l’Observatoire. Mais que se cache-t-il derrière ce titre un brin tapageur ? Une réflexion originale sur la réalité du nationalisme à travers le monde ? Lettres it be vous dit tout !
Quatrième de couverture :
« Si vous n’avez pas encore entendu parler de Yascha Mounk, cela ne va pas tarder. » Francis Fukuyama
Traduit dans le monde entier et enfin publié en France, le nouveau livre du jeune politologue Yascha Mounk, professeur à Harvard, explique avec clarté pourquoi le libéralisme et la démocratie sont aujourd’hui en plein divorce.
Se basant sur de nombreux sondages, reportages et recherches inédites, il nous propose un nouveau modèle pour éclairer et appréhender la période politique complexe que nous traversons, pointant la nécessité d’un nationalisme contrôlé et de réformes radicales. Une contribution essentielle pour comprendre pourquoi notre liberté est en danger et comment la sauver.
# L’avis de Lettres it be
C’est l’un des essais les plus remarqués de cette rentrée littéraire 2018. Celui d’un jeune allemand naturalisé américain, désormais professeur reconnu de l’autre côté de l’Atlantique et qui a entrepris, dans son premier ouvrage, d’analyser et de décortiquer la réalité du nationalisme en Europe, aux Etats-Unis et dans le reste du monde. Rien que cela…
Tout commence par un découpage bienvenu entre « libéralisme » et « démocratie ». En quelques phrases, quelques paragraphes, Yascha Mounk pose les bases de sa réflexion. Une réflexion qui s’annonce pointue et riche, et qui se voudrait définitive. Une réflexion qui, aussi, va très vite se nourrir de l’actualité politique récente : la montée des « populismes » en Europe, l’arrivée de Trump au pouvoir du côté du pays de l’Oncle Sam… A ce moment-là, alors que quelques dizaines de pages seulement ont été tournées, la question se pose de savoir ce qui est entendu par « populisme ». Et le bât commence à blesser, doucement.

« C’est pourquoi la seule manière de comprendre ces nouveaux mouvements est de distinguer entre leur nature et leurs effets probables. Afin de percevoir la nature du populisme, il faut admettre qu’il est à la fois antidémocratique et antilibéral – qu’il cherche à la fois à exprimer les frustrations du peuple et à miner le fonctionnement des institutions libérales. Et pour saisir ses effets probables, il convient de garder à l’esprit que les institutions en question sont nécessaires à la survie de la démocratie à long terme : une fois que les dirigeants populistes en auront fini avec les obstacles qui s’opposent à l’expression de la volonté populaire, il leur deviendra facile d’ignorer le peuple le jour où ses préférences entreront en conflit avec les leurs. »
Les partis populistes, ou désignés comme tels sans que ce terme ne désigne quelque chose de bien précis malgré les apports de Yascha Mounk pour tenter de clarifier cela, ne visent donc rien d’autre qu’accéder au pouvoir, mettre à mal les institutions démocratiques et les aligner avec leurs diverses volontés, puis ignorer le peuple dès que les premières contrariétés arrivent. Une véritable tare, selon l’auteur, disputée par les partis populistes… et par les autres. Malheureusement, et dès les premières réflexions de l’ouvrage, Yascha Mounk semble s’enliser dans sa volonté de mettre à mal le populisme, de dénoncer et critique ses raisons d’être et ses envies de devenir. Mais l’apparente complexité du texte ne parvient pas à masquer les manquements de la réflexion : si l’on prend l’extrait précédent, est reproché aux partis populistes ce que malheureusement tous les partis politiques s’attèlent à faire. Il suffit d’en juger par la composition du gouvernement Macron en ce qui nous concerne dans l’Hexagone… Cible ratée, au moins ici.

On avance dans la lecture, intéressé quoi que déjà songeur. Comment la montée des populismes a-t-elle été rendue possible ? Vaste question à laquelle on attend une réponse avec ce travail : là est sa visée principale tout de même de lever la plus grande partie des doutes et interrogations au sujet du populisme. Et parmi les tentatives d’identification de la stabilité passée d’une démocratie encore vierge de cette « lèpre populiste », Yascha Mounk avance le point suivant : « […] la domination des médias de masse limitait la diffusion des opinions extrêmes, contribuait à l’établissement d’un ensemble partagé de faits et de valeurs, et ralentissait la dissémination des fausses informations. Mais la montée d’Internet et des réseaux sociaux a affaibli les garde-fous traditionnels au profit de mouvements et d’hommes politiques jusque-là marginaux. » Une candeur qui surprend : les médias de masse, dernière barrière ayant cédé face à la montée des populismes 2.0 ?
Et tout le texte de s’enchaîner de cette manière, non sans de profondes qualités qui suscitent tout notre intérêt au cours de la lecture. « Le populisme c’est pas bien », « Trump attise la haine et n’est arrivé au pouvoir que grâce à celle de ses électeurs » … La première partie du livre est bien convenue, voire hâtive. Autre considération de principe faite par l’auteur dans son essai qui montre cela : de facto, la Russie est décrite comme une dictature (sur le schéma de la page 54), et ce sans explication supplémentaire dans tout le livre. Yascha Mounk se paie le luxe de l’absence de clarification à ce sujet, et c’est regrettable : peut-on aujourd’hui, avec toute l’honnêteté intellectuelle possible, qualifié un pays de « dictature » sans forger les éléments qui pourraient l’attester et défendre cette idée ?
La seconde partie du livre vient relever peut-être le tout avec l’idée d’un « nationalisme inclusif », l’idée que les nations ne doivent pas laisser leur pleine défense à des partis politiques virulents et tapageurs. Mais passé ce moment… Difficile de conserver une appréciation positive de ce premier essai de Yascha Mounk. L’idéologie politique de l’auteur, inévitable de toute évidence, est assurément trop marquée, les considérations à l’encontre des partis populistes et de leurs électeurs ne laissent que peu de place à la considération et l’ouverture démocratique. Regrettable pour un ouvrage auquel on prêtait l’intention de donner à comprendre, à penser le populisme. Pas d’enfoncer les portes déjà trop ouvertes. Et Yascha Mounk de conclure, tout en mesure : « Peut-être que la montée du populisme ne constituera qu’un bref moment, dont on se souviendra avec un mélange d’étonnement et de curiosité dans un siècle. Ou peut-être qu’elle donnera lieu à un changement d’époque, inaugurant un ordre du monde dans lequel les libertés individuelles seront bafouées en toute occasion et l’autogouvernement effacé de la surface de la terre.
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