Julia Gfrörer. Un nom encore méconnu dans le vaste monde de la bande dessinée et qui vient tout juste de s’inscrire au catalogue de l’Atrabile. Alors que Lettres it be vous parlait il y a peu du roman graphique de Victor Lejeune, Premiers pas, paru au même endroit, c’est un véritable changement de décor qui nous a été offert ici avec Dévasté, le premier album de Julia Gfrörer. Une fois encore, l’Atrabile fait preuve de flair pour aller dénicher une jeune auteure américaine et mettre en avant sa première parution. Dévasté, c’est bien le mot …
# La bande-annonce
Dans un village ravagé par la maladie règne une ambiance de fin du monde; comme dans une procession morbide, les habitants défilent, brûlant les cadavres de leurs proches, de leurs parents, de leurs enfants. On croise parfois l’ombre d’un médecin masqué et tout de noir vêtu, dont l’apparition fugace ne peut être porteuse de bonnes nouvelles. Violent, torturé, mais pas dénué d’espoir, Dévasté est une plongée sans concession dans une terre ravagée par la maladie et la mort, durant un Moyen Age obscur où l’homme n’entrevoit le salut quand dans les bras d’un dieu qui semble l’avoir abandonné.
Julia Gfrörer y suit plus particulièrement les pas d’Agnès, jeune veuve miraculée et prête malgré tout à entretenir une lueur d’espoir et d’amour dans un monde à l’agonie – comme si le réconfort, l’oubli, voire le salut, se cachait dans une étreinte passionnée, qui pourrait être la dernière.
# L'avis de Lettres it be
L’album s’ouvre sur des planches saisissantes, surprenantes. D’emblée, on pense aux gravures et peintures du XV-XVIème siècle qui ornent les musées dédiés. Le ton est donné : une sombre rêverie aux relents d’infanticide, un trait noir et haché sur un fond d’un blanc maculé, des détails laissés à leur minimum, un aspect eschatologique assumé dès le départ… Julia Gfrörer tape et oriente résolument son album vers un univers gothique, plutôt moyenâgeux, dans un contexte où semble régner ce que l’on croit être la grande peste du XVIème. En somme, il est très clairement difficile de trouver la moindre touche d’espoir. Et en effet, l’espoir est denrée rare sous les crayons de la jeune auteure américaine.
Mort, maladie, abandon… Rien n’est épargné dans ce Dévasté. Ce conte noir distille les maux les plus sombres et fait se confronter les différents personnages à ce que la vie peut avoir de pire. Cela pour donner à l’histoire une tournure métaphorique plutôt intéressante. Difficile en effet de ne pas entrapercevoir dans ces planches de nombreux rappels aux temps qui courent. L’interprétation reste libre, mais l’image du désespoir quand tout s’acharne est bien présente. A partir de là, de quel côté faut-il sombrer ? Celui des disparus ou des vivants en passe de l’être ? Un questionnement parmi tant d’autres soulevés dans ce livre. D’ailleurs, la libre interprétation évoquée précédemment fait véritablement partie intégrante de cette bande dessinée : le cadre n’est jamais fixé, on pourrait être au cœur du Royaume de France ou ailleurs, l’époque non plus. Le doute est omniprésent, sur le fond et sur la forme.
C’est sombre, c’est brutal, c’est sans espoir : pour sa toute première publication Julia Gfrörer envoie du très lourd et ose un parti pris extrêmement original et grave. Autant dire que le sourire ne pointera pas sur vos lèvres à la lecture de cette courte bande dessinée mais force est de constater que le style très sec du dessin et le ton morbide de l’histoire sont autant d’éléments qui vous saisissent l’esprit planche après planche. Une lecture qui marque la tête et le cœur, de toute évidence, et c’est déjà énorme !
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