Par bien des abords la figure de Louis-Ferdinand Céline avait déjà été évoquée en librairie. Mais du côté du Neuvième Art, encore rares étaient les initiatives jusqu’à présent. Jean Dufaux et Jacques Terpant corrigent la donne avec Le chien de Dieu publié chez Futuropolis. Bien plus que le récit dessiné de la fin de vie de l’auteur du Voyage au bout de la nuit, c’est un véritable miroir de toute une époque qui vous attend dans ces quelques planches. Lettres it be vous convie au voyage.
# La bande-annonce
1960. À Meudon, dans son pavillon, Céline est au travail. Sous le regard de Toto, son perroquet, Céline est concentré sur son prochain livre, Rigodon, celui qui clôturera sa dernière trilogie. À l’étage, dans la salle de danse, Lucette fait répéter ses élèves.
Alors que le soir tombe, l’orage éclate. Le tonnerre claque comme un coup de canon. À travers la fenêtre, à la lumière de l’éclair, Céline voit la silhouette d’un cavalier, le maréchal des logis Louis-Ferdinand Destouches, du 12e cuirassier, qui semble l’attendre au bout du jardin.
Et Céline se replonge dans son passé : la boucherie de 14, la rencontre avec Élisabeth Craig, l’écriture du Voyage au bout de la nuit, son quotidien de médecin, les dérives de la seconde guerre, la fuite à Siegmaringen, l’objet de ce dernier livre, Rigodon. Et bien sur, Lucette, sa compagne, présente dans les pires moments, qui fait répéter ses élèves à l’étage.
# L’avis de Lettres it be
Un scénariste de BD belge comptant à son actif une œuvre-fleuve (plus de 200 ouvrages différents à ce jour !) s’étalant des thèmes les plus noirs aux univers les plus complexes et qui revient, à travers cet ouvrage, sur son amour originel pour la littérature. Un dessinateur drômois qui illustre tout cela avec un trait criant de réalisme et débordant d’humanité, malgré tout. C’est, en quelques mots, le cocktail détonnant qui donne la genèse d’un ouvrage remarquable du début à la fin. Difficile de contenir son enthousiasme lorsque, au travers des mêmes pages, peuvent se réunir amoureux de Littérature et admirateurs des phylactères.
En effet, Le chien de Dieu surprend par son abord du destin, du moins de la fin de la destinée, de Céline, l’immense auteur français, cette météorite qui depuis le XXème siècle ne cesse de questionner et renvoyer dos à dos les admirateurs de son génie et les détracteurs de ses agissements hors-œuvre. Un sujet brûlant, si l’on en croit l’actualité récente, mais qui ici ne tombe jamais dans l’hagiographie subjective ou l’ouvrage désintéressé. Dans le ton, la mesure permanente employée suffit à limoger les différentes objections. On redécouvre donc un auteur que l’on pensait (trop/pas assez) connaître, on le redécouvre d’une manière fraîche et originelle. Le découpage est classique et incorpore quelques « flashbacks » bien sentis, la colorimétrie changeante selon les époques est tantôt claire mais plus généralement sombre, comme un ensemble de gravures anciennes. Les tons bronze, noir et gris qui dominent dans l’album captivent l’œil de la première à la dernière planche, sans jamais faire trop austère. Au contraire. Sur le fond, comme sur la forme, c’est un plaisir dessiné. De toute évidence.
Des chaussons de danse qui s’usent aux pieds des élèves de Lucette en passant par toute une collection des plus belles phrases de Céline, de son passage sur les champs de bataille aux renvois vers ses plus sombres moments, tout y est. On se plaît à reprendre le fil d’une existence qui n’a pas fini de questionner encore aujourd’hui, un questionnement qui s’accompagne d’un dessin réaliste au possible où chaque planche peut devenir un élément à part entière, un tableau individuellement remarquable. De l’insondable Céline qui ne donna comme certitude sur ses pensées réelles que celle de ne plus jamais savoir vraiment, jusqu’au Céline artisan du génie littéraire que l’on goûte dans Voyage ou Mort à crédit et d’autres, Jacques Terpant et Jean Dufaux réussissent leur pari haut la main. C’est le portrait d’un homme mais aussi de toute une époque qui se découvre dans ces planches : le portrait d’une Humanité tout un siècle durant à l’ombre du chaos. Un chaos multiforme toujours aussi menaçant ?
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