Arabe, c’est le titre du nouveau roman de Hadia Decharriere publié chez JC Lattès. Après Grande section publié il y a deux ans, l’auteure revient avec un texte où il est question d’identité qui change, de ce « moi » qui fluctue radicalement. Du jour au lendemain. Lettres it be vous en dit plus dans cette critique !
# La bande-annonce
Maya est une jeune femme française de vingt-huit ans, fille unique de pharmaciens à Cannes. Un matin sans en saisir la cause, Maya se réveille en parlant et comprenant parfaitement l’arabe. Une découverte qui va bouleverser sa vie, celle de son entourage et la pousser à réfléchir sur son identité, ses origines, ses goûts, ce qu’elle est et croit être.
En attendant les résultats médicaux qui doivent éclaircir ce mystère, Maya s’interroge sur ce don et sur l’identité nouvelle qu’il lui confère. Chacune de ses rencontres lui permet de s’immerger dans ce nouveau monde, de définir ce qu’elle est dans le regard de l’autre, le vrai arabe.
Elle rencontre d’abord Naïma, une jeune femme d’origine marocaine mais qui ne parle pas arabe. Puis Roger, le patron d'un restaurant libanais où elle a ses habitudes mais qu’elle semble redécouvrir aujourd’hui. Alors qu’à son oreille tous les mots qu’elle lit s’éveillent de H qui s’aspirent et de R qui se roulent, sa bouche émet une commande dans un arabe si parfait que Roger jurerait entendre une enfant de Damas. Elle s’attable à un café et, indiscrète, écoute une discussion entre un grand-père algérien et son petit-fils né français. « Tu dois parler l’arabe » lui assène-t-il. Alors que son rendez-vous à l’hôpital approche, Maya emprunte un taxi dont le chauffeur égyptien semble tout droit sorti du roman de Khaled Al Khamissi. Il lui expliquera le rouge, le vert, le Caire qu’il a dû quitter mais qui ne le quitte pas.
C’est une arabité inattendue qui est révélée à Maya qui en cherchant ce qu’elle n’est pas, découvre un peu mieux qui elle est.
# L'avis de Lettres it be
Que ferions-nous si nous nous réveillions un jour avec une identité qui n’est pas la nôtre ? Que ferions-nous si nous étions, du jour au lendemain, de cœur et de langue portugaise, suédoise, camerounaise… arabe ? C’est le point de départ du nouveau roman de Hadia Decharriere, Arabe, publié chez JC Lattès. Enfin, c’est précisément ce qui survient dans la vie bien rangée de Maya, personnage central de ce livre. Après Grande section publié en 2017, Arabe est l’occasion de (re)découvrir la plume de cette auteure née de parents syriens dans un texte… surprenant.
« Qui sera-t-elle désormais, aux yeux des autres ? Une victime de ses origines ? Être arabe dans un pays qui ne l’est pas doit-il s’accompagner de cette honte qui pousse à occulter ce que l’on est, oublier sa langue et ses coutumes pour ne pas gêner les Français ? Ne pourra-t-elle pas simplement arborer ravissement et fierté ? Qui sont-ils, ces Arabes qui n’ont pas honte de l’être ? Des esprits dominants qui ne veulent plus être dominés, des croyants fervents aux ambitions démesurées ? Des pur-sang chassant le mécréant, des fanatiques, des extrémistes ? Des fous de Dieu terrorisant l’Occident ? Maya peut-elle espérer, au sein de la société qu’elle a connue jusqu’alors, la société française et ses vieux démons, être aux yeux de l’autre, à l’état brut et sans aucune épithète humiliante, tout simplement, arabe ? »
Inévitablement, même si le registre est un brin différent, on pense à Agathe Cléry, le film d’Etienne Chatiliez lui-même adapté d’un film des années 70, Watermelon Man de Melvin Van Peebles. Mais là où Arabe se distingue par rapport à ces films qui faisaient du racisme leur fil rouge humoristique, c’est bien dans ce rapport très contemporain à la question de l’identité, un rapport articulé autour des rapports de domination, autour des différences élevées au rang d’insignes à défendre coûte que coûte. Forcément, en toile de fond on retrouve les thématiques du rejet de l’autre, de l’exclusion et du racisme (quoi que discret ici). Mais toutes ces réflexions, nécessaires s’il en est, en viennent parfois à des légèretés surprenantes, qui tranchent cruellement avec le reste du récit. En témoigne ce passage où Maya, l’héroïne du livre soudainement devenue « arabe », entre dans un sex-shop, endroit choisi par l’auteure pour délivrer toute une flopée de réflexions sur la condition de la Femme occidentale versus la condition de la Femme orientale, faisant ainsi du godemiché tour à tour un dominé et un dominateur. Aïe…
Entre autres réflexions plus ou moins hautes, Hadia Decharriere ne s’épargne pas quelques formules à l’emporte-pièce, du style « Comme une bourgeoise pressée, elle appelle un taxi. » (page 124). Globalement, et c’est même le titre de l’ouvrage, on est plutôt ravi d’apprendre que le terme « arabe » suffise à caractériser toutes ces femmes, tous ces hommes venus de pays divers, de régions particulières, de cultures affirmées. Arabe, c’est le relativisme facile.
Il y a du Kafka dans ce livre, autant qu’il y a du Yassine Belattar. Hadia Decharriere alterne les envolées plutôt bienvenues sur le « Moi social » et ses origines et les considérations hâtives façon « victimisation à pas cher » qui font ainsi perdre au roman toute sa bonne teneur initiale. Le point de départ est intelligent, et parfois traité avec maîtrise. Mais il en résulte un texte inégal, qui se prend les pieds dans le tapis d’une thématique abordée, peut-être, avec trop de pincettes et de bonne volonté.
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