C’est annoncé comme l’un des événements-phares de la rentrée littéraire de janvier 2018 du côté de chez Stock. La parution du premier roman (?) de Constance Debré, Play boy. La digne (?) héritière de la lignée Debré croit beaucoup en ce roman, il suffit d’en juger par l’écumage des différentes presses et l’affrontement tout de même courageux du duo Moix-Angot sur le plateau d’On n’est pas couché, en ayant même obtenu l’adhésion de l’une mais pas de l’un. Lettres it be est aussi parti à la découverte de ce Play boy et vous en dit quelques mots.
# La bande-annonce
"J'ai même pas osé mettre la langue la première fois que j'ai embrassé une fille. C'était après Laurent. Avant je savais mais c'était théorique. J'ai fait un effort pour la deuxième. Je lui ai roulé une vraie pelle. Ça m'avait flattée comme un mec qu'elle soit mannequin. On progressait. J'avais toujours peur, mais moins. Sauf qu'à chaque fois on en était restées là. Ou plutôt elles en étaient restées là avec moi.
Des hétéros qui se posaient vaguement la question et qui avaient calé. Des filles plus jeunes que moi, mais des filles comme moi".
# L'avis de Lettres it be
« L’huissier est beau, il est pédé, en plus il est arabe. Ça change des cotorep habituels. Il me fait passer avant les autres. Je plaide. Trafic de shit. Faut voir les dealers. Faut voir le trafic. Je plaide doucement. Je m’approche encore. Je ne plaide pas je raconte. Je raconte ce qu’ils veulent entendre. Le bon garçon. Le bon lycée. La bonne famille. Même la proc ne demande que du sursis. Ça mouille pour la bourgeoisie, un juge. C’est comme ça que j’ai connu Agnès. En défendant son fils. Bien sûr il est sorti. Un bourgeois, ça ne fait pas de taule. »
Il suffit de quelques pages à peine pour tomber sur les mots ci-dessus, ces mêmes mots qui ouvriraient presque le roman. Le ton est donné. Les 190 pages qui arrivent seront le lieu idéal pour retrouver une langue hachée, forte, casse-gueule. Dans tous les sens du terme. Pourquoi pas, après tout. Mais le problème s’impose très vite au lecteur : il s’agit là de l’argument principal d’un livre. Tout le reste n’est que tout-à-l’égo, règlement de compte familial qui n’intéresse que rarement au-delà de cette même cellule, réflexions hasardeuses sur la sexualité etc. Immersion.
Comme bien des aspirants écrivains, Constance Debré se sent l’absolue nécessité de raconter son « moi », de faire l’étalage sur papier de tout son être, dans les grandes largeurs. Parce que, comprenez, tout devient motif à cela : une réorientation sexuelle, la filiation d’avec une famille célèbre dans l’Histoire de l’Hexagone, l’envie de parler de soi, de cracher dans la soupe qu’on ravalera tiède plus tard … Vous ne saviez même pas que cela vous intéressait, mais en fait si. Tout le monde aspire à percer les mystères de la difficile existence d’une fille, petite-fille, arrière petite-fille Debré. Debré ou force, comme on dit.
Constance Debré arrive armée de l’argument du roman et brocardée de la volonté de vider un bidon d’acide sur sa lignée. Ici, l’aspect romancé ne sert bientôt plus qu’à masquer le refus de l’assumé, juste histoire de laisser planer sur ses pages le doute de la fiction et de l’invention. Ce serait bête de trop se mouiller.
Ici, la découverte de l’homosexualité de l’auteure est prétexte à un récit de ses pulsions masculines, trop masculines. En se découvrant à nouveau lesbienne après un premier passage rencontré dans l’enfance, le personnage principal-Constance Debré narre son rapport au nouvel objet de son appétit sexuel. Appétit qui devient celui, forcément exagéré et primaire, d’un homme.
Morceaux choisis.
« Un corps de femme c’est fait pour y mettre la main, la bouche, une femme c’est fait pour être baisée. Des seins c’est fait pour être touchés, un cul c’est pour venir s’y caler, une chatte pour y plonger la gueule, pour en sentir l’odeur, y glisser la langue, les doigts, en sucer le goût, ce putain de goût si doux. Il n’y a pas un homme qui puisse rivaliser avec ça. Je comprends ceux qui vont aux putes. Je comprends même les violeurs. »
« Que voudrait-elle exactement ? Ma langue dans son cul ? Que je lui pince les seins ? Je lui parle du ciel. »
Si cela était encore nécessaire, Constance Debré démontre qu’il ne suffit pas d’écrire jusqu’à plus soif les mots « bite », « chatte » et « cul » pour écrire bien. Le stupre, même par vague entière, n’est que trop souvent de l’épate-bourgeois(e), surtout lorsqu’il s’agit du seul et unique argument sur lequel repose un livre tout entier. Arrêtons-nous quand même sur cette phrase qui clôt le paragraphe évoqué : « Je comprends même les violeurs », et imaginons cela sous la plume d’un auteur masculin et/ou de n’importe quel(le) auteur(e) non-doué d’un tel patronyme. Juste imaginez cela.
A noter que Constance Debré a publié Un peu là beaucoup ailleurs aux Editions du Rocher en 2004 mais aussi Manuel pratique de l'idéal. Abécédaire de survie en 2007, toujours aux mêmes éditions. Que nenni ! Play boy est son premier roman selon son nouvel éditeur, et d’après l’intéressée. Comprenez bien : après deux tentatives dûment ratées, il devient nécessaire d’effacer l’ardoise et recommencer.
Constance Debré ou l’auteure aux 3 premiers romans.
Interlude. Pour le plaisir, l’expression d’une considération sociétale et l’explication des rouages d’une lutte des classes moderne par Constance Debré.
« Je suis riche et elle est pauvre. C’est pour ça que je vais gagner. C’est obligatoire. Les riches gagnent toujours. Et les pauvres crèvent toujours. Ce n’est pas ma faute. Ce n’est pas ma faute si ce sont les riches qui gagnent. Ce n’est pas ma faute si je suis riche. Je suis née comme ça. C’est dans mon ADN tellement c’est ancien. »
Quand le mal-écrire devient prétexte à un roman-choc, on ne sait plus où donner de l’esprit : sommes-nous dans un hebdomadaire farci d’images visant à susciter l’émoi au risque de la perte d’intérêt, ou bien dans un premier roman ayant pour ambition d’insérer son auteure dans un avenir de plume assuré ?
La bo-bourgeoisie assumée et le dandysme brillamment pédant d’un Beigbeder dans sa bonne période, des phrases brèves et taillées au couteau façon Céline, un langage bien au-dessous de la ceinture à la Bukowski, la gêne qui s’empare du lecteur à chaque lecture d’un coït comme chez Nabokov, la ferme volonté de renvoyer tous les pendants d’une société dos à dos à la manière d’un Bret Easton Ellis … Constance Debré propose un bréviaire de tout ce qui a pu se faire de (très) bien avant elle et réussit même le pari d’offrir une bien pâle parodie de tout cela. C’est un piètre footballeur qui jouerait avec les chaussures de Zidane, c’est un atroce violoniste qui souhaiterait user d’un Stradivarius.
Alors non, disons-le pour clore cette critique : il ne suffit pas d’écrire mal pour écrire bien. Il ne suffit pas de mimer le langage vulgaire, violent et acide pour entrer tout de go dans la belle, mais fermée, famille des auteurs du genre. A regret, cette (longue) chronique Lettres it be est aussi une complainte contre l’opportunisme des patronymes. Faut-il un « nom » pour se voir ouvrir une toute première fois les portes de l’édition, quand bien même le talent ne serait pas du voyage ? Non pas que Constance Debré doive envisager n’importe quel autre destin que l’écriture. Ici, le livre est raté. Mais la plume de l’avocate saurait s’avérer meilleure dans d’autres récits, d’autres contextes, là où son imagination la porterait ailleurs que où la garde, boulet au pied, son égotique vécu. De toute évidence. Mais là, c’est un cuisant échec, opportuniste, sans valeur ajoutée.
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Littérature & culture (jeudi, 08 mars 2018 11:47)
"Play boy" est un ouvrage moyen qui s’oubliera vite.
Christine (mardi, 27 mars 2018 14:48)
Merci de cette longue analyse, fine et pertinente. La culture (musique, cinéma, théâtre, littérature...) se résume beaucoup trop actuellement aux fils et filles de... Les lecteurs ont aussi une responsabilité dans cet état de fait, ils doivent réclamer plus de respect et ne pas se précipiter comme ils le font sur les livres "publicités".