Deux frères qui se retrouvent en cellule pour le pire et pour le pire, deux psychologues face à face pour tenter de mettre en pratique des méthodes opposées sur ces cobayes faux volontaires … Encore un énième livre sur le milieu carcéral allez-vous dire, encore un livre empreint d’un sentimentalisme abscons ? Oh, on vous entend déjà râler au sujet de Se trahir, le troisième livre de Camille Espedite qui, oui c’est vrai, prend place dans les cellules d’une prison aux méthodes semble-t-il novatrices. Et pourtant, les quelques pages de ce roman ont beaucoup à vous surprendre … Lettres it be vous convie à ce voyage derrière les barreaux.
# La bande-annonce
Un soir, sur le parking de la gare, le jeune Vallad poignarde un passant à la faveur d’une embrouille contre les étrangers du quartier, dont lui et ses comparses sont coutumiers. Incarcéré, il se retrouve dans la même cellule que son frère jumeau, Domingo, lui-même accusé d’agression sexuelle. Tous deux sont suivis par Hermiane, une psychologue prise en étau entre la bienveillance avec laquelle elle tente de les accompagner et la répulsion que lui inspire la violence de leurs comportements.
Mais ce difficile équilibre est un jour remis en cause par l’arrivée de Carise, une éducatrice spécialement missionnée par l’administration pénitentiaire pour imposer des méthodes radicales de rééducation, techniques 3.0 qui ne font, pour la psychologue, qu’amplifier les déviances de ceux qu’elle entend réinsérer.
Face à Carise, Hermiane tente de défendre son honneur et la dignité de ses patients pour ne pas se trahir. C’est pourtant dans la trahison à ce qu’ils pensaient être que chacun des personnages trouvera la possibilité de fuir ce huis-clos infernal.
# L’avis de Lettres it be
Se trahir, publié chez Le Passage (un merci en passant) est le troisième livre de Camille Espedite, après Palabres co-écrit avec Bérengère Cournut et publié en 2011, et Les aliénés publié en 2015 chez Christophe Lucquin éditeur. L’occasion de retrouver un style sur le fil du rasoir, une plume taillée à la serpe et affûtée comme jaja, et qui revient montrer toute sa justesse dans l’ombre. Et franchement, belle claque bien autoritaire derrière la nuque offerte par ce livre aux quelques 128 pages.
Ce roman est définitivement dual. Deux frères enfermés ensemble, deux psychologues confrontées ensemble, deux mondes qui tentent de se pénétrer, deux sociétés qui peinent à fusionner. Camille Espedite fait le pari de la dualité pour poser les fondations de son dernier roman. Chaque personnage est un petit monde en ébullition qui retient l’attention du lecteur, une voix qui résonne dans notre cathédrale interne. Vallad, Domingo, Hermiane, Carise … Des prénoms méconnus, autant de nouvelles planètes dans un système solaire parfaitement aligné et qui né sous la plume d’Espedite. Bien que l’histoire soit finalement simple avec cette immersion derrière les barreaux et cette critique acerbe de la psychologisation des « déviants », Camille Espedite transforme toute cette matière brute pour en livrer un résultat saisissant.
Et puis l’écriture, il faut en dire un mot. C’est des vagues de lave qui prennent doucement possession des pages de ce livre, c’est des charbons ardents qui consument petit à petit ce qui restait d’imagination en chaque parcelle d’esprit du lecteur. L’écriture de Camille Espedite est rythmée, elle sonne juste même quand tout va faux.
Morceaux choisis :
« Il a la consistance d'une poignée de pétales chahutés par le vent, fragile filet de semoule desséchée avant qu'elle ne soit saisie par l'eau bouillonnante. »
« Son sexe, énorme, est le totem de ces orgies commercialisées. Il se voit en obélisque de la place de la Concorde, en diamant pur léchant les microsillons d'un vinyle de gangsta rap, il est le roi du beat, DJ select d'une porn-party d'un club d'anti-hipsters désoeuvrés. »
« Mais voilà les tympans du délinquant se sont fermés à la manière des branchies d'un poisson mort. Il garde la bouche ouverte comme si on venait de lui retirer un hameçon au fond de la gorge et qu'il continuait de pérorer dans des hoquets inintelligibles. Il me regarde avec des yeux de noyé, je suis à la surface, lui, gît au fond de l'eau. »
Vous l’aurez compris, c’est brillant, ça tape juste, ça enivre de bout en bout. Un troisième roman qui est celui de la confirmation pour Camille Espedite, un auteur à suivre. Définitivement.
Écrire commentaire