Après Au revoir là-haut et Couleurs de l’incendie, Pierre Lemaitre arrive avec son nouveau livre pour clore une trilogie entamée en 2013. Avec Miroir de nos peines, toujours publié chez Albin Michel, Pierre Lemaitre nous propose de repartir au cœur de l’Histoire à la recherche du point final de cette trilogie. Un dernier volet à la hauteur des deux précédents ?
# La bande-annonce
Avril 1940. Louise, trente ans, court, nue, sur le boulevard du Montparnasse. Pour comprendre la scène tragique qu’elle vient de vivre, elle devra plonger dans la folie d’une période sans équivalent dans l’histoire où la France toute entière, saisie par la panique, sombre dans le chaos, faisant émerger les héros et les salauds, les menteurs et les lâches... Et quelques hommes de bonne volonté.
Il fallait toute la verve et la générosité d’un chroniqueur hors pair des passions françaises pour saisir la grandeur et la décadence d’un peuple broyé par les circonstances.
Secret de famille, grands personnages, puissance du récit, rebondissements, burlesque et tragique… Le talent de Pierre Lemaitre, prix Goncourt pour Au revoir là-haut, est ici à son sommet.
# L'avis de Lettres it be
C’est avec une tête connue que s’ouvre ce nouveau livre signé Pierre Lemaitre. Louise, que nous avions rencontrée auprès d’Édouard Péricourt dans Au revoir là-haut alors qu’elle n’avait que 10 ans, est désormais l’actrice principal de l’histoire. C’est un euphémisme de dire que nous la retrouvons dans une situation délicate : nue, dans la rue, cachée par un manteau ensanglanté… Dès les premières pages, Pierre Lemaitre capte toute l’attention. Toutes les qualités de l’auteur sont au rendez-vous : la plume est alerte, le rythme haletant, les descriptions prenantes, etc. Ce devrait être une habitude, mais difficile de ne pas souligner toute la maestria de Pierre Lemaitre, grand conteur du temps de retour aux affaires à son meilleur niveau.
La vidéo du moment
Chapitre après chapitre, alors que s’alternent les situations et les personnages, le contexte prend de l’ampleur, devient de plus en plus pesant. La guerre s’annonce à l’horizon, personne ne veut vraiment y croire. Les trajectoires individuelles des différents personnages de Miroir de nos peines s’imbriquent, une fois encore, à merveille pour offrir un nuancier de cette année 1940, charnière du drame qui couve.
Entre autres situations et personnages captivants, que dire de ce Désiré, veau d’or des services français dédiés à la censure, sommité dans le mensonge et l’arrivisme, reflet parfait de ces graves agissements perpétrés en temps de conflit pour éloigner la population de la vérité. Comme dans les précédents volets, Pierre Lemaitre semble construire des ponts bienvenus entre notre société actuelle et la France d’hier ou d’avant-hier. À plusieurs endroits dans Miroir de nos peines, difficile de ne pas être marqué par ces liens directs. On pense notamment à ce procès où un avocat (?) exhorte les jurés à résister à « la voix de la populace qui condamne aveuglément ». Tiens, tiens… Il aurait été aisé pour Pierre Lemaitre de pointer du doigt toutes ces ressemblances avec la France d’avant-guerre pour assombrir le portrait de la France d’aujourd’hui, comme le font si lourdement tous ces prophètes arguant sur le « retour des années 30 ». L’auteur, définitivement au-dessus de la meute, se contente de mettre en perspective deux images, deux temps et deux France. Au lecteur de faire le reste, s’il le souhaite et s’il l’estime nécessaire. Le retour à une littérature qui offre à penser et ne condamne pas aux réflexions à sens unique. Un immense bol d’air !
C’est peut-être l’une des grandes forces de ce nouveau roman de Pierre Lemaitre. En amenant ses lecteurs auprès d’autres personnages, déjà côtoyés ou non, l’auteur offre comme un plan-séquence cohérent et abouti qui s’étend à un autre temps, une autre guerre, une autre époque. Les situations, les personnages, les décors et les pensées, tout sonne juste, sans le moindre faux-pas ou presque. Quelle heureuse impression de lire un tel texte et de se dire que la littérature peut vibrer encore si fort aujourd’hui, à notre époque.
C’est plus encore qu’une confirmation. Pierre Lemaitre est un auteur de classiques en devenir. Après avoir sondé les territoires du noir, après Au revoir là-haut et le Goncourt, notre homme continue encore et encore à montrer toute sa maîtrise des lettres, des rythmes et des époques. Miroir de nos peines est le troisième volet plus que réussi d’une trilogie déjà incontournable. Simplement immense.
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