Emmanuel Brault est un inconnu. « Les Peaux rouges », son premier roman, détonne dans cette rentrée littéraire 2017 où la Guerre d’Algérie, tout comme d’autres thèmes majeurs, n’a jamais été aussi présente (Alice Zeniter avec « L’art de perdre », Brigitte Giraud et « Un loup pour l’homme » etc.) Le thème de ce premier roman d’Emmanuel Brault ? Le racisme, ni plus ni moins. Simple poil à gratter ou pépite de cette rentrée littéraire ? Lettres it be vous dit tout !
// "Si on dit tout, il va rien rester à l'intérieur. Qu'est-ce que c'est que cette mentalité de film de cul. Tout montrer, tout le temps." //
# La bande-annonce
« Ce matin, je sors, plutôt pressé, et j’ai pas fait trente mètres, que paf… une rouge avec sa marmaille me rentre dedans au coin de la rue. Elle se casse la figure et me gueule dessus. Elle me dit que je l’ai fait exprès, que c’est une agression. En temps normal, on se serait excusés, j’aurais fait mon sourire de faux cul et tout serait rentré dans l’ordre. Mais non, je trouve rien de mieux que de lui cracher : “fais pas chier sale rougeaude” et manque de pot, une passante qui arrive derrière moi a tout entendu. C’était puni par la loi du genre super sévère depuis les événements, à égalité avec viol de gamin ou presque. On était à trente mètres de chez moi, ils m’ont facilement retrouvé. Et là mes amis, mes problèmes ont commencé, et des vrais comme on n’en fait plus. »
Amédée Gourd est raciste. Il pense comme il parle. Mal.
La société entreprend de le rééduquer.
Grinçant par son sujet, ce roman tendre et loufoque met en scène un antihéros comme on en voit si peu dans les livres, et si souvent dans la vie.
Une histoire d’amours ratées mais de haine réussie.
Une fable humaine, trop humaine.
# L’avis de Lettres it be
Vous l’aurez compris, Emmanuel Brault opte pour la difficulté avec ce premier roman qui embrasse un thème plus que complexe et qui, dans notre société contemporaine, dérange. Le pari est risqué, d’autant plus que l’auteur né en 1976 ose l’exercice de style : ce roman est avant tout, et selon ses mots, une farce. Le rire plus fort que le reste ?
Notre époque semble être celle où la littérature devient un miroir de l’âme, où nombre d’auteurs s’affaissent dans une introspection qui donne plus lieu à des romans égotiques et une complainte permanente qu’à un plaisir de lecture originale sans cesse renouvelé. En effet, le roman semble devenir aujourd’hui, du moins au regard de cette rentrée littéraire 2017, un défouloir de l’âme et de l’égo plus ou moins masqué, non sans talent parfois : Eric Reinhardt qui romance le cancer de sa femme, Alice Zeniter qui remonte les traces de sa propre histoire à l’aide de la fiction etc… Emmanuel Brault prend le contre-pied de toute cette tendance et livre un roman où la fiction n’a rarement aussi bien brillé depuis longtemps. Ici, dans ces « Peaux rouges » : aucune morale, aucune leçon particulière à retirer de ce roman, aucun défouloir du « moi » dans un livre où le « je » est un autre inconnu qui n’est pourtant jamais loin. La fiction est là, partout, indubitable et infaillible.
// "Je m'appelle Amédée Gourd et je suis raciste. Aujourd'hui je peux pas le dire alors je l'écris. Un jour, on aura plus le droit de l'écrire non plus. Alors là on sera bien. Tant que je peux j'écris au nom des racistes." //
Le pari est dingue, mais il est réussi : Emmanuel Brault aborde le racisme dans un roman qui n’est que pure fiction et qui ne peut être lu autrement. Impossible d’évoquer une quelconque stigmatisation d’une population ou d’une autre : les Peaux rouges (notez l’absence de tiret), ne se réfère à aucun autre peuple. Le récit est on ne peut plus malin, en tous points, et on prend un plaisir fou à lire, rire et réfléchir sur un récit qui n’a de réel et d’existant que sa qualité.
De toute évidence, et pour ne pas faire durer le suspens trop longtemps, ce roman est une pépite, un coup de maître. Brault, avec une écriture brillamment oralisée, apporte un véritable souffle de fraîcheur dans le paysage littéraire moderne. Impossible de ne pas penser à Ionesco et son « Rhinocéros », impossible de ne pas voir dans cet Amédée Gourd (le héros du roman) un Bardamu ou un des Esseintes à l’époque de « Questions pour un gros con ». Brault semble donner un second souffle à ce mouvement décadent du XIXème siècle qui offrit à la littérature tant d’excellents romans, des romans où la fiction prenait toute sa place au dépend d’un naturalisme alors rejeté parce que trop fade.
Rajoutez à cela de brillants passages comiques, voire burlesques, et vous obtenez, assurément, l’un des meilleurs romans de cette rentrée littéraire 2017. Seul bémol : après un tel coup de maître pour un premier roman, que nous réserve Emmanuel Brault pour la suite ? Chez Lettres it be, on est impatient de savoir !
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