Petit pays
de Gaël Faye
L’écriture, aussi légère puisse-t-elle être, pèse parfois aussi lourd que le plomb. Avec « Petit pays », Gaël Faye fait vivre le génocide rwandais à travers les mots de Gabriel. Faire exister un récit là où tout a disparu. Pour l’auteur né au Burundi, cet écrit n’est jamais une complète autobiographie. L’auteur raconte plus qu’il ne se raconte. Des phrases qui virevoltent, des mots qui s’entrechoquent, des sonorités qui s’accomplissent … Ce roman récompensé par le Goncourt des lycéens 2017 catapulte son auteur au rang des Grands discrets. Quand écrire devient une prouesse, et lire un voyage.
// « C’est chaque fois la même chose, le jour de mon anniversaire, une lourde mélancolie s’abat sur moi comme une pluie tropicale quand je repense à Papa, Maman, les copains, et à cette fête d’éternité autour du crocodile éventré au fond du jardin … » //
# La bande-annonce
(Quatrième de couverture) : Avant, Gabriel faisait les quatre cents coups avec ses copains dans leur coin de paradis. Et puis l’harmonie familiale s’est disloquée en même temps que son « petit pays », le Burundi, ce bout d’Afrique centrale brutalement malmené par l’Histoire.
Plus tard, Gabriel fait revivre un monde à jamais perdu. Les battements de cœur et les souffles coupés, les pensées profondes et les rires déployés, le parfum de citronnelle, les termites les jours d’orage, les jacarandas en fleur … L’enfance, son infinie douceur, ses douleurs qui ne nous quittent jamais.
# L’avis de Lettres it be
Avant de devenir cet auteur allègre et brillant, Gaël Faye est un musicien acharné, un équilibriste des mots. Il est à l’origine de nombreux morceaux de rap aux sonorités world music par moment, mais toujours avec ce désir de faire danser les mots pour exprimer toute leur musicalité. Pour découvrir son dernier EP « Rythmes et botanique » et par là même découvrir cet auteur-compositeur-interprète de talent, référez-vous à cet excellent article du site Le Rap en France. Et parce que la comparaison est aisée mais intrigante, nous ne pouvions rater le rapprochement d’avec un autre artiste malaxant le son pour en tirer la substantifique moelle : Stromae. Même silhouette élancée, même trajectoire de vie oscillant entre drame familial et étincelle de vie permanente, même talent démesuré dans chaque entreprise artistique, mêmes racines partagées entre Afrique et France pour l’un, Belgique pour l’autre. La comparaison n’ira pas plus loin, mais jugez quand même.
Ce désir de musicalité est une évidence chez Gaël Faye. Dans « Petit pays », les sons se succèdent, les rythmes s’accordent. Parfois, on croirait entendre du Nougaro. Ce rebond des phrases, ces sons de mots pour écrire sur cet écran noir de ses nuits blanches. « Petit pays » ne se lit pas. Il s’entend, il se sent, il se voit. La plume de Gaël Faye est un voyage en quête de ce paradis perdu, meurtri par ce que l’Homme peut tapir de plus sombre en lui. Des senteurs, des bruits, des couleurs … Tout cela éclate, ligne après ligne, découvrant une description d’un Eden bafoué.
// « Certains soirs, le bruit des armes se confondait avec le chant des oiseaux ou l’appel du muezzin, et il m’arrivait de trouver beau cet étrange univers sonore, oubliant complètement qui j’étais. //
« Petit pays » est un roman sur l’identité. Une identité frivole, comme un fleuve dont les différents bras finissent par se rejoindre pour ne plus former qu’un seul élément. Cette même identité à l’origine de nos maux, mais qui ici permet des mots que l’on ne savait plus mettre. Gaël Faye ne verse jamais dans la littérature lacrymale. Il regarde l’horreur de manière parfaitement transversale. Jamais frontalement. Ce regard, cette voix de « Gaby », ce récit font vivre un moment douloureux mais toujours avec cet horizon de bonheur latent qui ne demande qu’à poindre. La lumière existe toujours, même dans les recoins de notre Histoire, même dans les pages les plus sombres. Et Gaël Faye en est le conteur.
« Petit pays », encensé par la critique, vaut à son auteur un succès filant, flamboyant. Ce même auteur qui préfère aux ors de la littérature un discret retour sur scène, en Belgique, pour présenter son dernier EP. Quand le talent devient prisme à plusieurs faces. « Petit pays » est un chant de vie sur le champ de bataille. Elixir de plume.
// « Cet après-midi-là, pour la première fois de ma vie, je suis entré dans la réalité profonde de ce pays. J’ai découvert l’antagonisme hutu et tutsi, infranchissable ligne de démarcation qui obligeait chacun à être d’un camp ou d’un autre. Ce camp, tel un prénom qu’on attribue à un enfant, on naissait avec, et il nous poursuivait à jamais. Hutu ou tutsi. C’était soit l’un soit l’autre. » //
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