C’était l’un des films les plus attendus de ce début d’année 2020. 1917, nouvelle production signée Sam Mendes, tenait de belles promesses : un film tourné dans un unique plan-séquence, une histoire de deux soldats pris dans la Grande Guerre, la réunion à l’écran de George MacKay et Dean-Charles Chapman… Alors, un film à la hauteur des promesses ? Attention, critique garantie avec spoilers !
# La quatrième de couverture
Pris dans la tourmente de la Première Guerre Mondiale, Schofield et Blake, deux jeunes soldats britanniques, se voient assigner une mission à proprement parler impossible. Porteurs d’un message qui pourrait empêcher une attaque dévastatrice et la mort de centaines de soldats, dont le frère de Blake, ils se lancent dans une véritable course contre la montre, derrière les lignes ennemies.
# L’avis de Lettres it be
Après Spectre et Skyfall, Sam Mendes retrouve avec 1917 les sentiers de la guerre qu’il avait quittés en 2005 avec Jarhead. Il y a revient en étant plutôt bien entouré : Benedict Cumberbatch, Colin Firth, George MacKay, Dean-Charles Chapman et consorts. Un retour en fanfare, annoncé de longue date tant la prouesse d’un film en un seul plan-séquence avait de quoi intéresser. La promesse est bien tenue même s’il s’agit, en vérité, de deux plans-séquences séparés par une ellipse, respect de la temporalité oblige. Mais soit, laissons-nous embarquer dans cette ballade immersive au beau milieu des obus, des morts et des rats. Ambiance.
D’emblée, on est saisi. Le pari du plan-séquence est réussi dès les premières minutes. Les quelques longueurs que l’on pourrait imaginer sont vite balayées par une ambiance on ne peut plus pesante, une tension qui s’installe dès les lumières éteintes. Les 30 premières minutes de ce film sont à hauteur d’hommes et à la hauteur de l’Histoire. On frôle l’horreur des tranchées, la suspension à un fil de toutes ces vies, on craint la balle qui peut frapper à n’importe quel moment. La photo de Roger Deakins, primé aux Oscars il y a peu pour Blade Runner 2049, est sublime de gravité et d’horreur. À la musique, Thomas Newman (Spectre, Skyfall, La couleur des sentiments, etc.) n’est clairement pas en reste. Là encore, tout est pesant, brumeux. Inévitablement, on repense à la B.O. d’un Dunkerque bien moins éloigné qu’on aurait pu le penser. Quoi qu’il en soit, on n’aurait pu s’arrêter là. Mais il fallait faire une heure et demie en plus.
Très vite, le film s’emballe. Schofield et Blake, les deux soldats britanniques que nous n’allons plus quitter d’une semelle, sont envoyés en mission impossible. Il leur faut prévenir 1 600 hommes qui s’apprêtent à être envoyés à la boucherie. Ils sont à plus d’une dizaine de kilomètres, le temps presse. Pour les rejoindre, nos tuniques marrons vont devoir franchir les lignes ennemis. « Comment vous dire… On a le choix chef ? – Non. – Bon alors on y va. » Une petite maison perdue, on imagine les Allemands déjà loin. Un avion s’écrase, pilote allemand à l’intérieur en proie aux flammes. Les deux soldats britanniques vont le sortir de ce mauvais coup. Manque de bol, le soldat allemand cachait un couteau. Il poignarde l’un des deux soldats. Un British au tapis. Voilà. Bon, c’est la guerre, parfois on n’est pas attentif, puis les Anglais sont des soldats sympathiques qui se font lâchement trahir par un Allemand non reconnaissant. Allez, passe encore. Mais ce n’est rien à côté de ce qui suit quelques minutes plus tard…
« Alors, ton ami est mort ? » demande un autre soldat britannique passant par là. Oui, parce que quelques minutes seulement (temporalité réelle oblige) après la mort de Blake, on découvre que, de l’autre côté de la maison, viennent d’arriver des dizaines de British dans de beaux véhicules. « Mais en fait euh… Pourquoi on est venu à pied en traversant les tranchées ennemies en risquant de crever ? » C’est à partir de là, précisément, que 1917 se perd (et nous avec)…
(Il ne s’agit pas d’une critique en plan-séquence, on va sauter quelques scènes du film.)
« Mon copain s’est fait poignarder par un allemand sauvé des flammes. Et si je faisais encore confiance à un autre Allemand en lui mettant la main devant la bouche pour ne pas qu’il crie et alerte ses collègues ? » Convenons-en, depuis La grande vadrouille, on n’a pas vu de tel calembour bellico-humoristique. Pourtant, c’est bien ce qu’il se passe alors que Schofield continue l’aventure seul à travers les lignes ennemies. Et l’accumulation de failles scénaristiques commence à sérieusement faire mal. Mais le film n’est pas fini…
Faisons court : Schofield arrive à rejoindre la ligne de front et éviter la boucherie. On passe sur la « gare de triage » des blessés à quelques dizaines de mètres de la première ligne (et donc à portée d’obus ennemis), on passe sur cette ville détruite en proie aux flammes (mais le clocher sonne, ne vous inquiétez pas) où notre héros va se faire courser par des soldats allemands aussi précis que des stormtroopers, on passe aussi sur l’arrêt immédiat des bombardements sur la ligne de front une fois la lettre remise à qui de droit (on imagine qu’une copie a été envoyée de l’autre côté du front ?)…
Et tiens, ces deux personnages, qu’en est-il au fait dans tout ce film ? Finalement, pas grand-chose… Schofield et Blake sont devancés par la caméra, tout va trop vite dans cette boucherie à ciel ouvert. Et les quelques élans psychologisants n’y suffiront pas : on n’approche que trop peu ces deux hommes aux portes de l’enfer. Et les seuls pas que l’on fait à leur rencontre semblent alors maladroits, voire malvenus.
Derrière un pari visuel définitivement réussi, Sam Mendes semble cacher timidement un scénario peu abouti, qui subit de plein fouet les difficultés de tenir le cap lorsqu’une temporalité réelle est ainsi retenue. 1917 est une prouesse sur la forme mais sur le fond, les incohérences sont trop nombreuses pour y « croire » de bout en bout. Un joli film, mais un scénario bien trop bâclé. Déception.
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