Ce fut l'une des belles surprises de l'année passée : Radikal, le nouveau roman d'Olivier Castaignède, un auteur à découvrir. Désireux d'en savoir un peu plus sur ce texte surprenant entre vie la nuit et terrorisme sur fond d'une bien belle mais sombre Jakarta, nous sommes allés poser quelques questions à l'auteur.
Bonjour et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Olivier Castaignède ?
Né à Metz en 1973, j’habite en Asie du Sud-Est depuis dix-huit ans. Ingénieur polytechnicien de formation, diplômé de l’INSEAD, j’ai d’abord été conseiller en ambassade, avant d’occuper différentes fonctions marketing et commerciales dans des entreprises technologiques basées en Asie, notamment en Indonésie. Depuis 2015, tout en maintenant une activité à temps partiel de consultant auprès de fonds d’investissement, je me consacre principalement à l’écriture et au voyage.
Je viens également de terminer un mastère en création littéraire à l’université Lasalle College of the Arts à Singapour. À ce titre, j’écris aussi en anglais et plusieurs de mes récits ou poèmes, inspirés par mes voyages, ont été (ou vont être) publiés dans des revues littéraires ou journaux en langue anglaise comme Wanderlust, The Business Mirror, Joyland Magazine et The Crab Orchard Review.
Mon engouement pour l’Indonésie est né de deux expériences personnelles complémentaires. Mes nombreux voyages en Indonésie d’abord, depuis 2000, au rythme de six ou sept par an, qu’ils soient d’ordre personnel ou professionnel et qui m’ont fait découvrir ce pays fascinant, de Banda Aceh à la Papouasie, en passant par les Célèbes, les Moluques, Flores ou Kalimantan – avec une affection toute particulière pour le Grand Durian, la ville de Jakarta. La culture malaise de ma femme singapourienne ensuite, qui m’a conduit à apprendre le bahasa (melayu) et à explorer les traditions musulmanes d’Asie du Sud‐Est.
En cherchant sur Internet quelques éléments vous concernant, on apprend que vous habitez à Singapour depuis 17 ans et que vous avez mené plus d’une vie. Quelles ont été les étapes qui ont pu vous mener vers l’écriture de votre premier roman ? Une envie de synthétiser tout ce vécu déjà accumulé ? D’ouvrir encore plus grand le champ du possible ?
En fait, l’écriture et la littérature ont toujours fait partie de ma vie. J’ai même écrit un « roman » à 9 ans, qui s’inspirait des Six Compagnons de la Bibliothèque verte. Le Désert des tartares de Dino Buzzati que j’ai lu en classe de 4ème a été mon premier grand choc littéraire. J’étais tellement émerveillé par cet auteur que j’ai tout dévoré de lui et que j’ai fini par apprendre l’italien pour me rapprocher plus encore du texte. En 1991, j’ai eu un prix au concours général en composition française, puis à 20 ans, j’ai voulu me mettre à écrire. Mais ma production me semblait d’une si piètre qualité au regard de mes idoles littéraires, que j’ai vite arrêté. J’en ai conclu que même si j’aimais la littérature, je n’avais pas le « don » de l’écriture et j’ai continué mes études scientifiques – tout en continuant à lire avidement, de Milan Kundera à Flaubert, de Jo Nesbo à Jonathan Franzen.
Je n’ai rien écrit pendant 20 ans et puis début 2015, je suis tombé par hasard (chez un ami) sur l’ouvrage didactique du romancier américain, Lawrence Bloch, Writing the Novel, from Plot to Print. Et cela a été le déclic pour me (re)lancer dans l’écriture car j’ai compris que le romancier est d’abord un grand magicien qui crée une illusion de réalité et que pour espérer devenir magicien, il est bon de commencer par apprendre quelques tours. En France, l’on pense communément que l’écriture est un don du Ciel (qu’on a ou qu’on n’a pas), alors que dans les pays anglophones, l’on sait que derrière le génie littéraire se cachent aussi beaucoup de travail et de technique.
Le voyage est une passion qui s’est développée plus tardivement vers l’âge de 25 ans, après un premier séjour longue durée au Mexique en 1997. Depuis, c’est devenu pour ainsi dire une drogue (qui soulage ma dromomanie aiguë) et j’ai visité près de 150 pays sur ces vingt dernières années. Même si je n’ai pas parcouru le monde dans cet esprit au départ (sachant que je ne pensais pas réécrire un jour), il est vrai qu’aujourd’hui, ces voyages viennent nourrir mon écriture.
Vous débarquez en librairie avec Radikal, un roman multiforme entre vie nocturne et vie dans l’au-delà. Quelques mots peut-être pour présenter ce livre à ceux qui n’auraient pas encore eu la chance de le découvrir ?
Jakarta, 2014. Hendro, un jeune DJ en vogue, est Radikal sur scène comme dans la vie. Qu’il s’agisse de musique techno ou de drogue, il aime les sensations fortes. Mais lorsque des révélations inattendues viennent raviver un traumatisme d’enfance liée au passé de sa mère, ni ses excès en tous genres, ni l’amour de Jasmine, son amie transsexuelle, ne suffisent plus à l’apaiser et il se laisse tenter par une nouvelle forme de radicalité, le djihadisme. Perdu dans un univers où l'islam coexiste avec une prostitution florissante, déchiré entre une société moderne où tout s'achète et un monde de traditions qui le fascine, il glisse progressivement vers l’horreur.
Quelle a été la genèse de ce roman ? Comment vous est venue l’idée de raconter l’existence indonésienne de Hendro alias Radikal, celle d’un DJ, et toutes les turpitudes qu’on puisse imaginer, aux prises avec des tentations d’un autre genre ?
M’étant moi-même converti à l’islam en épousant ma femme en 2005, je ne cesse de m’interroger depuis des années sur les origines du terrorisme islamiste : comment la religion en vient-elle à devenir le véhicule de la haine sans en être l’origine ? Un Monde sans Islam, écrit par Graham E. Fuller, ancien responsable de la CIA en Afghanistan et au Pakistan, a été, à ce titre, particulièrement éclairant.
L’idée du roman m’est venue début 2015 en lisant dans la presse que l’un des bourreaux de Daech ayant participé à l’exécution du pilote jordanien (mort brûlé vif en janvier 2015) était d’origine indonésienne. Ayant toujours été fasciné par l’Indonésie et la formidable hospitalité de ses habitants, je me suis demandé comment ce jeune homme avait pu en arriver à une telle barbarie. J’ai imaginé le parcours, complètement fictif, d’un jeune de Jakarta en me raccrochant à cette vie marginale tout en excès et en turpitudes, qui envahit le quartier de Glodok une fois la nuit tombée.
En ce sens, Radikal explore le lien le lien entre radicalité au sens large et terrorisme. Je me suis notamment intéressé au concept d’islamisation de la radicalité de l’universitaire français Olivier Roy, spécialiste de l’islam.
La première partie de votre roman, justement, traite de la vie nocturne, à base de platine, beats et autres substances en tous genres. L’immersion est totale sous votre plume. La faute au vécu une fois encore ?
J’ai été (et reste) un passionné de musique électronique (qu’il s’agisse du mouvement EBM des années 80-90 puis, sur la période 1990- 2000, des rave party avec un préférence pour les sons house et deep techno). Du coup, en arrivant en Asie en 2000, j’ai pas mal trainé mes guêtres dans les clubs locaux et j’ai découvert à Jakarta un univers totalement débridé qu’on ne soupçonnerait pas dans le premier pays musulman au monde. Pour écrire Radikal, j’ai même revisité certains de ces lieux (ou ceux qui leur avaient succédé). À travers Hendro alias Radikal, j’ai probablement voulu aussi réaliser un rêve de jeunesse, celui d’être DJ dans une boite techno. Mais c’est aussi pour cela qu’on écrit, sans doute !
Radikal est, dans le fond, un roman gênant. Gênant parce qu’il touche à une thématique plus que sensible dans nos sociétés contemporaines et qu’il aborde cela avec un angle de vue original, et pourtant très loin d’être purement fictionnel. Quel a été l’accueil que vous avez perçu pour ce livre ? Des réticences par rapport au sujet évoqué ?
Oui, je pense qu’un certain nombre d’éditeurs ont été un peu gênés par l’approche choisie, notamment dans le contexte des attentats de Paris de Novembre 2015. Gope, mon éditeur, s’est montré lui très ouvert et je lui dois beaucoup car sans lui, ce livre n’aurait probablement jamais vu le jour.
En ce qui concerne les lecteurs, l’accueil est plutôt bon si j’en juge par les critiques enthousiastes sur Babelio. De fait, quand les gens n’aiment pas le parti pris de Radikal, ils décrochent généralement dès les premières pages et l’immersion totale dans l’univers du monde de la nuit. Ceux qui continuent (la majorité) et terminent le livre sont souvent emballés et me le font savoir.
Dans ce livre vous montrez, avec brio, que le roman, que la fiction peut largement dépasser son cadre d’exercice et aborder des pans entiers de notre réalité. Etait-ce une volonté de votre part de mettre en lumière tout cela, ces jeunes existences avides de révolte et jetées en pâture au terrorisme, par le biais du roman ?
Le roman est, à mon sens, un lieu privilégié pour explorer les raisons qui poussent un individu vers la radicalisation. Toute forme non-fictionnelle peut déclencher des crispations voire un rejet chez le lecteur (quand celui-ci n’est pas d’accord avec les « explications » avancées par l’auteur) alors que dans un roman, il sait qu’il entre dans un territoire où, selon Milan Kundera, « le jugement moral est suspendu ». Dans un roman, c’est le lecteur qui juge « sur pièces ».
Le besoin de violence qu’expriment certains jeunes ici ou ailleurs n’est pas le fruit du hasard. Sans l’excuser, il est important d’en comprendre les ressorts, qu’ils soient d’ordre individuel, sociaux, culturels ou religieux. Le mal n’est pas monolithique, il n’est pas le fait de « monstres », mais de gens terriblement humains et c’est cette humanité que Radikal cherche à retranscrire au travers du destin tragique de Hendro.
Radikal tente aussi de montrer comment les organisations terroristes s’approprient et exploitent la révolte intérieure d’une certaine jeunesse à la dérive.
Dans cette même idée, comment avez-vous réussi ce subtil dosage pour ne pas tomber dans l’idéalisation de la situation, ou à l’inverse dans l’alarmisme ?
J’ai beaucoup lu pour essayer de comprendre les origines du terrorisme et du djihadisme, notamment les ouvrages d’universitaires français comme Olivier Roy, Mohamed-Ali Adraoui et Farhad Khosrokhavar. J’ai aussi relu ce qu’avait écrit Hannah Arendt sur la « banalité du Mal » à l’occasion du procès de Eichmann en 1963.
Déjà une idée pour votre prochain livre ? Toujours du côté de l’Indonésie ou comptez-vous faire voyager encore et encore votre lecteur ?
J’ai fini un deuxième roman, Secrète Lalibela, qui se déroule en Éthiopie. Sans trop dévoiler l’intrigue, Secrète Lalibela raconte les destins croisés de quatre personnages (une femme d’affaires française, un journaliste originaire du Cambodge, une femme éthiopienne transgenre immigrée en France et un jeune gardien d'église) qui se retrouvent piégés tous ensemble dans une des célèbres églises rupestres de Lalibela en Éthiopie. Sous l’effet du manque d’oxygène, les langues se délient et des confessions accablantes sont faites. Lorsqu’ils s’en sortent vivants et que l’un d’eux met tout en œuvre pour récupérer des photos sacrilèges, ils sont confrontés à leurs mensonges et les conflits éclatent.
J’ai dû me lancer dans une nouvelle recherche d’éditeur pour ce nouveau roman car le thème ne rentrait pas dans la ligne éditoriale de Gope (spécialisé dans les livres et littératures d’Asie du Sud-Est). J’espère que mes recherches aboutiront prochainement mais si un éditeur lit ces lignes, qu’il n’hésite pas à me contacter 😉
J’ai aussi plusieurs textes qui ont été publiés en anglais, souvent liés à mes voyages :
http://www.joylandmagazine.com/regions/consulate/beautiful-doll
https://wanderlust-journal.com/2017/11/15/the-travel-junkie-by-olivier-castaignede/
https://wanderlust-journal.com/2017/12/15/the-heart-of-the-matter-by-olivier-castaignede/
Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Olivier Castaignède l’homme et Olivier Castaignède l’auteur :
Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
Opération Shylock de Philip Roth
Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?
Le Septième Sceau d’Ingmar Bergman
Le livre que vous aimez en secret ?
Les polars d’Harlan Coben
L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
Joseph Andras (qui a écrit De nos frères blessés)
L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?
Fritz Zorn (qui a écrit Mars avant de mourir du cancer dont il raconte la genèse dans son livre)
Vous ne devez écouter plus qu’une seule musique. Laquelle ?
Front 242, « don’t crash »
Votre passion un peu honteuse ?
Thai pop music
Le livre que vous auriez aimé écrire ?
Le Dernier frère de Nathacha Appanah
Le livre que vous offririez à une inconnue ?
Le Désert des Tartares de Dino Buzzati
La première mesure du Président Castaignède ?
La légalisation du cannabis
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