Interview de Camille Brunel (La guérilla des animaux chez Alma Éditeur) : "Ouvrir un gouffre chez les gens, et les inciter à regarder dedans"

La guérilla des animaux est le deuxième ouvrage de Camille Brunel, le premier publié chez Alma Editeur
La guérilla des animaux est le deuxième ouvrage de Camille Brunel, le premier publié chez Alma Editeur

 

 

A l'heure où la question du droit des animaux et du rapport entretenu par l'Homme avec eux est au centre du débat, Camille Brunel débarque en librairie et propose avec La guérilla des animaux une réflexion aussi utile que surprenante. Lettres it be est allé l'interroger pour en savoir un peu plus sur ce roman.

 

Bonjour et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Camille Brunel ? Que faisiez-vous avant de vous lancer dans l’écriture ?

 

Avant de me lancer dans l’écriture, je jouais aux Lego… Mais si la question porte sur l’écriture du roman en particulier : j’ai été professeur de lettres en collèges et lycées pendant sept ans, dans la banlieue parisienne. En même temps j’étais critique de cinéma (il y a mes textes plein Independencia.fr ou Debordements.fr). Et journaliste, pour un magazine qui s’appelle Usbek&Rica. Avec une spécialité sur le cinéma à effets spéciaux et les animaux (surpris ?).

 

 

Vous arrivez en librairie avec La guérilla des animaux en pleine rentrée littéraire. Une pression supplémentaire ?

 

Au contraire, je crois que c’est mieux. Il me semble plus facile de se faire repérer au moment où tout le monde regarde dans la direction des librairies plutôt qu’à n’importe quel autre moment de l’année. La compétition est rude de toute façon, non ? En dehors de la rentrée j’aurais l’impression de devoir battre des ailes tout seul pour exister. Là, j’ai l’impression qu’il suffit de se laisser porter.

 

 

Peut-être quelques mots autour de votre roman pour ceux qui n’auraient pas encore eu la chance de le découvrir ?

 

 

C’est un roman d’aventures autour d’un petit Français dégoûté par ce que l’humanité a fait du monde, et qui décide de prendre les armes au nom des animaux. A un moment donné il tombe amoureux, et l’histoire s’articule autour d’un âge d’or militant à la Bonnie & Clyde.


Même s’il s’agit de votre premier roman, La guérilla des animaux n’est pas le premier livre que vous publiez. En 2011, vous aviez fait paraître un essai, Vie imaginaire de Lautréamont chez Gallimard. Qu’est-ce qui a pu vous pousser du côté du roman ?

 

Pour tout dire, les deux livres se ressemblent assez. C’est juste qu’ici, j’ai remplacé les recherches historiques, académiques et littéraires par des recherches éthologiques. L’objectif n’étant pas de proposer une lecture d’un auteur qui existe déjà… A moins de considérer les animaux comme autant d’auteurs évidemment (ce que ne manque pas de faire mon personnage, d’ailleurs).

 

 

Vous mêlez dans votre livre une ambiance quasi-dystopique avec un léger brin de folie quant aux différentes aventures que traverse votre personnage page après page. Quels sont les auteurs, les livres qui ont pu vous insuffler ce mélange de gravité et de folie douce ?

 

 

Quelque chose me dit que « douce » n’est pas forcément le mot que vous aviez en tête quand vous étiez dans la guérilla, si ? Disons que le dosage subtil entre la sérénité et la panique, entre la consternation et l’espoir, vient certainement d’auteurs qui arrivent à écrire des livres absolument sublimes à partir d’événements absolument abjects. Dans ce domaine mon point de mire est assez clair : Wajdi Mouawad, Albert Cohen, Lautréamont. Anima, Belle du Seigneur, Les Chants de Maldoror. Voilà pour le mélange de gravité et de folie douce ; mais ce serait mentir de ne pas citer Stephen King et Michael Crichton, que j’ai énormément lus à une époque (quoique ça fasse bien dix ans que je n’ai plus rien lu d’eux). Avec, comme tout le monde probablement, un soupçon de Victor Hugo (Les Travailleurs de la Mer). Et la base, la meilleure d’entre nous : Marguerite Yourcenar (Mémoires d’Hadrien).

Découvrez la chronique Lettres it be pour La guérilla des animaux de Camille Brunel publié chez Alma Editeur
Découvrez la chronique Lettres it be pour La guérilla des animaux de Camille Brunel publié chez Alma Editeur

Même si vous noyez votre propos dans une fiction rondement menée, votre roman fait preuve d’un message fort. Une volonté de votre part d’utiliser la littérature pour exposer vos engagements personnels ?

 

Oui, totalement. Le problème du militantisme officiel est qu’il doit rester raisonnable, accessible. Déjà qu’on se ramène avec un dossier sous le bras, il faut faire en sorte de le donner poliment. Or j’ai un peu de mal avec la politesse, comme avec les dossiers. La fiction offre deux avantages : le premier, de me laisser m’exprimer comme je veux, avec les images que je veux, aussi fortes ou abracadabrantes soient-elles (et ça défoule) ; le second de dédramatiser le discours engagé, qui devient un outil littéraire en même temps que la littérature devient un outil militant. Surtout, je ne veux pas passer pour celui qui a les solutions. Juste ouvrir un gouffre chez les gens, et les inciter à regarder dedans.

 

 

A ce titre, le personnage de votre livre Isaac voit son engagement propre être poussé au maximum, jusqu’à souhaiter l’extinction de l’humain sur Terre. Un reflet de votre pensée personnelle ? Une exagération appuyée pour montrer les limites d’un tel engagement ?

 

Isaac n’est jamais extinctionniste, attention… Il veut juste réduire drastiquement la quantité d’humains dans les parages. A commencer par ceux qui butent des animaux. Mais peu importe, l’objectif est le même : montrer que l’action violente apaise la colère momentanément, mais conduit au désastre sur le long terme. Oui. Ma pensée personnelle, à ce sujet, elle n’est pas très complexe : si on pouvait arrêter d’encourager les familles nombreuses… C’est bien vu ou non le malthusianisme ? Je ne sais jamais.

 

 

On vous sait, en-dehors de votre vie d’auteur, militant pour la cause animale et vegan. A travers votre livre, espérez-vous une certaine prise de conscience chez vos lecteurs qui ne seraient pas encore engagés de la même manière que vous ?

 

Oui, bien sûr. De nombreuses critiques l’ont très bien noté, même si je n’en avais pas forcément conscience en écrivant : le livre permet d’entrer dans la tête de ces gens qui se recouvrent de sang place de la République pour dénoncer l’industrie de la viande, ou comparent les abattoirs aux camps d’extermination. On en fait ce qu’on veut, évidemment, mais l’idée est d’exposer, de façon un peu poétique, la succession de chocs émotionnels et rationnels qui peuvent conduire à se soulever radicalement contre la domination humaine sur les animaux telle qu’elle s’exerce partout aujourd’hui. La sixième extinction de masse, par exemple, prend chez la plupart d’entre nous la forme d’articles éparpillés ici et là, dans Internet, les magazines et la télévision. Entre chaque mauvaise nouvelle, on recommence à vivre. Entre chaque bonne nouvelle aussi : je veux parler de toutes les découvertes effectuées dans le domaine de la cognition animale. Le livre assemble tout ça, bonnes et mauvaises nouvelles, cause des animaux de rente et cause des animaux sauvages, dans l’espoir d’y donner suffisamment de poids pour marquer les mémoires et suggérer une nouvelle façon de regarder le monde. Je ne dis pas qu’il faut que tout le monde ait la même, hein ! Juste que celle-ci devienne l’un des ingrédients de celle des autres.

 

 

Déjà une idée pour votre prochain livre ?

 

 

Oui. Je pense que je vais rester sur quelque chose d’extrêmement foisonnant en termes de faune. Mais aller vers le fantastique. On verra bien, ce sera peut-être nul !


Questions bonus

 

Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Camille Brunel l’homme et Camille Brunel l’auteur :

 

Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?

Alors -je dirais bien Belle du Seigneur (j’aime beaucoup Yourcenar, mais le Cohen est plus épais, donc quitte à s’occuper en attendant les secours…).

 

Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?

Impossible de choisir : Jurassic Park, L’Odyssée de Pi, Pacific Rim. Je pourrais regarder les trois tous les jours.

 

Le livre que vous aimez en secret ?

Le fait est que j’ai constamment sous la main le guide Lonely Planet du monde. C’est le livre qui me manque le plus quand je ne l’ai pas dans mes valises. Je dis ça mais je l’emporte partout (et pourtant il est assez lourd).

 

L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?

J’adorerais voyager dans le temps et partager une bière avec Yourcenar sur son île dans le Maine. De façon (légèrement) plus réaliste, je trinquerais volontiers avec JK Rowling. Et si elle n’a pas le temps, alors Diana Gabaldon (qui a écrit Outlander). On causerait construction de l’intrigue. J’ai beaucoup à apprendre dans ce domaine.

 

L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?

Bukowski. Il avait l’air d’avoir une haleine terrible.

 

Vous ne devez écouter plus qu’une seule musique. Laquelle ?

Probablement de la musique médiévale. Sur le premier plan de Kingdom of Heaven de Ridley Scott on entend une version orchestrale d’une chanson avec seulement deux guitares et un tambourin. C’est sur YouTube, ça s’appelle « France 1184 ». Ça dure deux minutes mais je pourrais l’écouter trois jours sans m’en rendre compte. Je l’ai mise en commençant à vous répondre il y a une heure, d’ailleurs.

 

Votre passion un peu honteuse ?

La musique de Hans Zimmer (la BO d’Hannibal était dans le top-3 de la question précédente, celle de Man of Steel dans le top-5, celle de The Dark Knight dans le top-10).

 

Le livre que vous auriez aimé écrire ?

L’anthologie d’éthique animale de Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer (je sais, je triche).

 

Le livre que vous offririez à un inconnu / une inconnue ?

Zoopolis, de Sue Donaldson & Will Kymlicka.

 

La première mesure du Président Brunel ?

 

Finis les abattoirs ! Finie la pêche ! Finie la chasse ! La France et ses eaux territoriales : sanctuaires pour animaux. Reforestation massive, révolution écologique, et transition alimentaire. Ça ferait de belles affiches électorales, non ?

Écrire commentaire

Commentaires: 0