Bonjour Gaël Octavia et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Gaël Octavia ? Que faisiez-vous avant d’écrire ce premier roman La fin de Mame Baby publié chez Gallimard ?
Avant d’écrire ce roman, j’écrivais d’autres textes. J’écris depuis que je suis enfant, depuis que je sais tenir un crayon – je crois que beaucoup d’enfants en font autant, le plus difficile est plutôt de persévérer. Mes premières tentatives en écriture ont été du roman. Depuis le début des années 2000, j’ai écrit plusieurs pièces de théâtre dont certaines ont été portées à la scène. J’ai également publié de la poésie. Mais je crois que le roman reste primordial.
Parallèlement à l’écriture, j’ai d’autres activités : mon travail dans la médiation scientifique d’abord, et puis ce que je qualifierais d’exploration artistique libre : peinture, dessin, vidéo, et tout ce qui peut me passer par la tête.
D’abord ingénieure, puis journaliste et responsable de communication, vous voilà maintenant artiste accomplie, aussi bien dans le théâtre, la réalisation et maintenant le roman. Comment pouvez-vous expliquer un tel parcours de vie ?
Je suppose que le fait que j’aie été une enfant très timide explique que je me sois très tôt épanouie dans des activités solitaires comme la lecture et l’écriture, et l’art m’a toujours passionnée. J’ai fait des études scientifiques pour plusieurs (bonnes et mauvaises) raisons : plus que mon intérêt pour la science (Darwin, Marie Curie, MacGyver et Stephen Hawking piquaient ma curiosité, mais la science enseignée à l’école m’a longtemps ennuyée), ce qui m’a menée là, c’est plutôt le prestige des cursus scientifiques ainsi qu’une forme de rébellion contre l’idée que les maths seraient un truc de garçon, que les filles seraient « naturellement » plus littéraires. Si j’avais été parfaitement honnête avec moi-même, j’aurais entrepris des études d’histoire, de lettres classiques, ou essayé de devenir chanteuse de jazz (je chantais beaucoup, adolescente). Mais par élitisme et par opposition aux assignations de genre, j’ai écrit « math sup » sur la fiche d’orientation. Je suis donc devenue ingénieure, mais mes premières amours m’ont vite rattrapée.
Votre parcours pourrait-il encore prendre de nouveaux virages ? Lesquels ?
Je rêve d’écrire un long métrage pour le cinéma, parce que le cinéma me fascine. Enfin non : je vais écrire un long-métrage, c’est certain. Je rêve qu’un réalisateur ou une réalisatrice ait envie de s’en emparer.
Passons maintenant à votre roman La fin de Mame Baby. Un premier roman chez Gallimard, c’est un véritable honneur j’imagine. Comment s’est passé la rédaction et la phase de publication de votre ouvrage ?
La rédaction a duré des années, peut-être sept ans entre l’émergence de l’idée (sous forme de monologue pour le théâtre au départ) et la version finale. Pourtant, l’essentiel (l’histoire, le propos, les personnages) était là dès le premier jet, je crois. J’ai dû beaucoup triturer, reconfigurer ce texte, jongler avec les contraintes que je m’imposais. Je l’ai souvent abandonné, découragée. Mais Mariette, Aline, Mame et Suzanne me hantaient. Elles ne m’ont pas laissé mener à bien un autre roman, malgré de multiples projets, d’idées jetées sur le papier. Je l’ai achevé pendant l’été 2016. Je l’ai encore laissé reposer quelques mois, jusqu’en novembre, où je l’ai relu. Là, il m’a suffisamment plu pour que je l’estime digne d’être proposé à des éditeurs. L’envoi à Gallimard s’est fait mi-novembre 2016, par la poste. Mon éditeur, Jean-Noël Schifano, m’a rappelée fin janvier. Et voilà !
Dans votre livre, vous évoquez la figure du Quartier, scène de théâtre où se joue l’histoire de ces femmes. Est-ce un hasard si le lecteur peut avoir l’impression par moment que votre roman est une pièce de théâtre, était-ce une envie que vous aviez de recréer cela ?
Au tout début ce devait être une pièce de théâtre mais à partir du moment où j’ai décidé que ce serait un roman, j’ai vraiment mis de côté toute idée de faire du théâtre. Si ça ressemble à du théâtre, c’est vraiment malgré moi. Une chose est sûre, c’est que je voulais donner à cette histoire une forme singulière. Car finalement, je raconte une histoire assez banale : des femmes et des filles en manque d’amour ... Il me semblait qu’il fallait une forme particulière pour porter cette histoire au-delà de l’anecdotique. Et justement, il me semble que dans le roman, aujourd’hui, tout est possible.
On ne sait pas où est le Quartier, on ne sait pas vraiment comment il a pu devenir comme ça. Pourquoi avoir laissé un flou autour de ce Quartier ?
J’aime bien ne pas identifier les lieux. Je m’affranchis ainsi que toute exigence de réalisme. Et puis ça me permet de mêler plusieurs lieux en un seul. Ce Quartier se nourrit de la cité HLM de mon enfance, en Martinique, de la ville d’Evry, dans l’Essonne, où j’ai un peu vécu en tant qu’élève-ingénieure, tout en n’étant ni l’un ni l’autre. Pour moi c’est beaucoup plus confortable.
Parce qu’aujourd’hui le romancier semble se faire parfois miroir de la société qui nous entoure, vouliez-vous donner à votre livre une portée sociale dépassant le cadre du roman ?
J’évite d’avoir ce type d’intention quand j’écris de la fiction (quand j’en ai, en général, l’écriture échoue). J’essaye seulement de raconter des histoires, avec des personnages vrais, c’est à dire totalement fictifs (je ne raconte pas ma vie ni celle d’une personne que je connaitrais), mais cohérents, sensibles et ayant du sens, des personnages que j’invente mais auxquels je crois profondément. Mais bien sûr, tous mes écrits sont traversés par les problématiques qui m’interpellent, par ce qui, dans la vie, me touche, me bouleverse, me dérange, me questionne... En particulier, ma sensibilité féministe y est très lisible, je suppose – et plus précisément encore mon expérience, mon regard, mon questionnement de femme noire.
Toutes les femmes qui habitent votre roman sont des personnages forts, très bien posés. Quelles ont été vos inspirations pour les écrire, les décrire et les faire vivre ?
Ce sont des personnages fictifs avec, parfois, ici ou là, une caractéristique ou une anecdote empruntée à une personne réelle. Les femmes noires de la Martinique, en général, m’ont beaucoup inspirée, parce que je les ai beaucoup observées, depuis l’enfance, avec un mélange de tendresse et de perplexité. Celles qui m’ont le plus fascinée étaient celles qui ne me ressemblaient pas a priori. J’ai été une enfant choyée, élevée dans un foyer féministe, avec un père très présent, mes parents sont toujours mariés… donc je m’intéresse aux femmes qui se disputent un homme qui les maltraite ou les abandonne, aux femmes qui vénèrent leurs fils parce qu’ils sont des fils, aux filles mal aimées, jetées dehors par leur famille… et bien sûr je me demande : comment on survit à tout ça, qu’est-ce qu’on fait de tout ça ? Je m’inspire de celles que j’ai vu sombrer (je m’insurge contre le mythe du « potomitan », la femme toujours debout, pilier de la famille, qui se relève de tout) autant que des résilientes, et j’ajoute à ça une bonne dose d’imagination parce que calquer simplement le réel ne m’intéresse guère.
Vous êtes-vous parfois laissée dépasser par vos personnages ? Ont-ils évolué sous votre plume dans des mesures que vous n’imaginiez pas au préalable ?
Oui. Mame Baby est apparue en dernier, par exemple. Au début du processus d’écriture, il ne s’agissait que de Mariette, Aline et Suzanne, qui avaient déjà à peu près les personnalités qu’on leur connait. Mame a surgi, je ne sais trop comment, et je me suis demandé comment j’avais pu m’en passer.
Déjà une idée pour votre prochain roman ?
Oui, il est en cours d’écriture. Il traitera encore de la complexité des relations entre femmes, mais dans une forme très différente de celle de La Fin de Mame Baby.
Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Gaël Octavia la femme et Gaël Octavia l’écrivaine.
Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
Tar Baby, de Toni Morrison
Le livre que vous aimez en secret ?
L’amant de la Chine du Nord, de Marguerite Duras
L’auteur(e) avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
Autour d’une bière, Simone de Beauvoir, mais ça va être compliqué. Plus sérieusement, Chimamanda Ngozi Adichie, mais plutôt autour d’un verre de très bon vin.
L’auteur(e) que vous n’auriez pas aimé être ?
Sarah Kane, malgré toute mon admiration, parce que sa souffrance psychique est indissociable de son génie.
Un livre dont vous ne comprenez pas l’impopularité ?
Le Deuxième Sexe.
Votre passion un peu honteuse ?
La nourriture grasse et sucrée.
Le livre que vous offririez à un inconnu ?
Cahier d’un retour au pays natal, d’Aimé Césaire
La première mesure de la Présidente Octavia ?
Nationaliser la télévision pour en faire le magnifique outil d’éducation populaire qu’elle aurait pu être (corollaire : envoyer Hanouna planter des radis).
Ecrire : tard la nuit ou tôt le matin ?
J’aurais trouvé ça très chic de répondre tôt le matin mais ce serait mentir.
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