C'était un retour attendu en librairie, celui de Jean-Paul Didierlaurent avec La fissure, son dernier livre publié chez Au diable Vauvert. Curieux d'en savoir plus sur son travail d'auteur et l'origine de ses idées saugrenues, Lettres it be est allé poser quelques questions à l'auteur.
Qui êtes-vous Jean-Paul Didierlaurent ? Que faisiez-vous avant de publier votre première nouvelle en 1997 ?
Qui suis-je ? Un être sans cesse partagé entre une tête dans les étoiles et des pieds profondément ancrés à sa terre. Un contemplatif qui aime rester en bordure du monde pour faire l'éponge et se remplir des autres. Un jouisseur qui n'adore rien d'autre que les soirées entre amis, amoureux de bonne chaire et de bons vins. Et pour finir, un papy comblé de 56 ans qui croit toujours en avoir 36 et qui a encore aujourd'hui beaucoup de mal à se dire écrivain tant ce qui lui arrive lui semble autant irréel que fantastique. Avant 1997, j’étais un type qui attendait que se produise le déclic, confiant dans sa bonne étoile, persuadé tout au fond de lui-même que sa vraie place dans le monde l’attendait quelque part, et que le moment venu, il suffirait de s’y asseoir, tout simplement. Et c’est exactement ce qui s’est passé.
Vous avez rencontré un incroyable succès avec votre premier roman, Le liseur du 6h27. Désormais, comment vivez-vous la parution d’un nouvel ouvrage ? Une pression permanente ?
La mise au monde d’un nouveau livre est l’aboutissement d’une longue période de solitude où l’auteur a vécu en vase clos avec ses personnages. Cette soudaine mise en lumière est vécue à la fois avec excitation et angoisse. On va enfin découvrir son livre avec le regard des autres et savoir si vos mots vont faire mouche ou non.
Vous revenez donc en librairie avec La fissure publié Au diable Vauvert. Quelques mots pour présenter ce nouveau roman ?
Il était une fois...un homme à la petite vie bien rangée qui, du jour où il découvre une fissure sur le mur de sa résidence secondaire, va se réveiller et prendre conscience que cette vie dans laquelle il s’est coulé jusqu’à présent n’est peut-être pas la bonne. Il va alors se lancer dans une fuite en avant à la recherche de réponses, une quête qui va le mener loin, très loin, là où l’attend la révélation.
Comme à votre habitude, vous vous intéressez à un Monsieur Tout-le-monde dont la vie va basculer à cause d’une malheureuse fissure découverte dans le mur de sa résidence secondaire. Comment vous est venue cette idée d’une fissure physique qui pourrait se répercuter partout ailleurs dans la vie d’un homme ?
L’idée s’est imposée à moi sous la forme...d’une fissure. Lorsque j’ai acheté ma maison il y a 25 ans, celle-ci présentait des fissures par endroit, fissures sans gravité mais qui distillaient leur poison par leur simple présence et me polluaient l’existence, me faisant ressentir un mal-être. Du jour où ces lézardes ont été réparées et soustraites à ma vue, je me suis enfin senti bien chez moi. J’ai trouvé fascinant ce mécanisme d’une réalité physique anodine donnant naissance à un profond malaise existentiel.
Comme on le sait, vous avez été par le passé employé aux renseignements téléphoniques puis au service client d’Orange. Est-ce à partir de ce moment que vous vous êtes intéressé à ce qu’il peut y avoir de merveilleux et de passionnant dans l’insignifiance des problèmes que nous rencontrons dans nos vies de tous les jours ?
Mes personnages sont des personnages de tous les jours, avec des problèmes de tous les jours. Je me plais à montrer que l’ordinaire de ces invisibles n’est qu’apparence, que derrière cette apparence évidente se cache une singularité, que rien n’est vraiment lisse et qu’en creusant un peu des pépites peuvent apparaître. Il suffit juste de prendre le temps de s’arrêter pour les voir.
Pour des raisons que nous ne dévoilerons pas ici, le nain de jardin, ce compagnon discret de nos vies, est un objet qui vous a visiblement grandement intéressé pour l’écriture de La fissure. Pourquoi ?
Au départ, son rôle devait se limiter à celui d’un simple réceptacle des pensées du héros. J’avais pensé faire glisser mon personnage dans la schizophrénie, et faire du nain de jardin l’écho de ses réflexions. Et puis il m’est vite apparu que les paroles que je mettais dans la bouche de ce nain lui appartenaient en propre. Et j’ai décidé de lâcher prise en allant jusqu’au bout et en faisant de ce petit personnage un véritable compagnon de route de Xavier Barthoux, un Sancho Panza improbable.
A l’image de l’ours Ted dans le film du même nom ou encore, dans un autre registre, le chien Harys dans L’Enfant de l’œuf le dernier roman d’Amin Zaoui, vous vous amusez à faire intervenir un improbable compagnon de route de sorte à créer une ambiance burlesque et décalée plutôt bien sentie. Comment est venue cette envie de créer un tel décalage dans vos romans ?
Partir de choses bien réelles pour glisser dans le fantastique. C’est le privilège de l’auteur de pouvoir se permettre toutes les fantaisies, même les plus folles. Faire parler un nain en terre cuite, doter une machine (un pilon) d’une intelligence propre. La crédibilité n’est pas une obligation en littérature, comme dans tous les arts. Briser les carcans de cette crédibilité a parfois quelque chose de jouissif pour un auteur. S’en affranchir permet de pénétrer d’autres univers.
Dans la veine humoristique et burlesque, quels ont été vos modèles aussi bien au cinéma que dans les livres ?
Au cinéma, j’ai énormément d’admiration pour des gens comme Jacques Tati, qui font de l’absurde une vraie poésie. Aujourd’hui, les frères Cohen m’impressionnent par leur créativité. À la télé, je suis un fan inconditionnel de Kaamelott. Alexandre Astier est pour moi l’un des humoristes les plus talentueux de sa génération. En littérature, j’adore la causticité d’un Thomas Gunzig ou l’humour noir d’un Joël Egloff.
Déjà une idée pour votre prochain roman ? Peut-être un retour à la nouvelle ?
Un embryon d’idée est là, qui tourne dans ma tête mais dont je ne peux rien dire pour le moment. Un retour à la nouvelle ? Je n’ai jamais vraiment quitté la nouvelle dans ma manière d’écrire et de fonctionner. Même dans la rédaction d’un roman, la concision reste pour moi l’une des priorités. Rester toujours à l’os, ne pas trop engraisser l’histoire de choses inutiles. Suggérer les choses avec un minimum de mots afin de laisser au lecteur toute la liberté de composer ses propres images.
Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Jean-Paul Didierlaurent l’homme et Jean-Paul Didierlaurent l’auteur :
Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
La Bible (que je n’ai jamais lue en entier).
Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?
Sur la route de Madison.
Le livre que vous aimez en secret ?
Celui que je suis en train d’écrire.
L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
Stephen King, sans hésiter.
L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?
Nègre de people ou d’homme politique.
Vous ne devez écouter plus qu’une seule musique. Laquelle ?
Le bruit du vent dans les arbres.
Votre passion un peu honteuse ?
Les Serial killers
Le livre que vous auriez aimé écrire ?
L’étourdissement de Joël Egloff.
Le livre que vous offririez à une inconnue ?
Mon dernier.
La première mesure du Président Didierlaurent ?
Démissionner.
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