Il y a eu Au feu de Dieu de Walter Siti publié chez Verdier, il y a maintenant La tanche d’Inge Schilperoord publié chez Belfond. Alors que le livre de l’auteur italien Walter Siti traite de la pédophilie chez les hommes de foi et plus précisément d’église, La tanche traite de l’autre revers de la médaille, celui de la pédophilie dans la société civile. Un thème, là encore, incisif et brutal qui dérange à la moindre évocation. Et si on tentait de comprendre plutôt que de condamner, de réfléchir plutôt que d’infléchir ? C’est ce que propose l’auteure et journaliste néerlandaise Inge Schilperoord.
# La bande-annonce
Dans un village de la banlieue d'Amsterdam, au bord de la mer, de nos jours.
Jonathan, la trentaine, sort de prison. Dans le bus qui l'emmène chez sa mère, il se répète ce que le psychologue lui a enseigné : s'il organise rigoureusement ses journées, il sera un homme meilleur. Jonathan se le promet : il va s'occuper de sa mère, faible, asthmatique, retourner travailler à l'usine de poissons, promener le chien, aller à la pêche. Il restera seul, il ne parlera à personne, il va s'occuper les mains, l'esprit, tout pour ne pas replonger.
Car Jonathan est un pédophile. Il est sorti de prison, faute de preuves. Le psychologue lui a parlé d'un taux de récidive de 80%. Il sait qu'il ne doit pas se laisser déborder par ses pulsions. Or, dans ce quartier en démolition où vit sa mère, vivent aussi une mère célibataire et sa fillette…
# L’avis de Lettres it be
La tanche est un premier roman. Un premier roman guidé par l’envie de coucher sur le papier le récit d’une partie d’existence passée au côté de repris de justice en tous genres, y compris de pédophiles. C’est de ce postulat que va partir Inge Schilperoord pour écrire son livre, un ouvrage résolument assumé, affirmé mais qui ne tombe jamais dans la polémique ou la provocation facile. Ici, tout n’est que tentative de mise en abîme de l’acte pédophile, tout n’est que récit du cheminement qui mène à ce que nos sociétés considèrent comme le pire.
La narration est claire, épurée, journalistique. On retrouve sans grand mal le second métier de l’auteure dans cette plume débarrassée de tous surplus, qui fixe l’essentiel comme ligne d’horizon et ne le quitte que rarement. Et pourtant, bien que le pari initial soit plus que compliqué (faire entrer le lecteur dans la tête d’un pédophile tout juste sorti de prison), l’écrivaine qui en est alors à son coup d’essai réussit pourtant un véritable coup de maître qui ferait de nombreux envieux dans le paysage littéraire français et étranger. Aucun écart de conduite, pas de parti-pris facile ou de détournement factuel, une atmosphère poisseuse où la chaleur épaisse règne. Une psychologie fine, sans surplus là encore, qui permet de mieux comprendre le tumulte intérieur qui peut habiter la personne que l’on nomme désormais, comme une mise à l’écart ferme et définitive, le « pédophile ». La société a fait son travail en emprisonnant un temps ce « pédophile ». Mais qu’en est-il une fois ce dernier revenu dans la nature ? Quid d’un accompagnement en vue de traiter ce maux sur lesquels tant de mots restent encore difficiles à poser ?
Aucun hasard si ce livre a été récompensé de multiples fois (le prestigieux Bronze Owl Award, roman nominé dans quatre des plus prestigieux prix littéraires néerlandais, nommé cinq fois livre de l’année par la presse néerlandaise etc.). Quelques pages dures mais terriblement appliquées plus tard, il en ressort une lecture époustouflante dans la lignée d’un Lolita. A découvrir sans plus attendre !
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