"L'Art de perdre" d'Alice Zeniter : LE livre de la rentrée 2017 ?

Critique Lettres it be du livre L'art de perdre d'Alice Zeniter
L'art de perdre d'Alice Zeniter chez Flammarion

"L'art de perdre" d'Alice Zeniter


 

Nominé pour le Prix Goncourt et le Prix Renaudot, lauréat du Prix du Journal Le Monde et du Prix des librairies de Nancy et des journalistes … N’en jetez plus ! L’art de perdre d’Alice Zeniter est le roman de cette rentrée littéraire, celui qui est dans tous les esprits. Un énième roman sur la Guerre d’Algérie au sein de cette rentrée des lettres, un énième roman sur la quête des racines et la recherche de son identité. LE livre de la rentrée littéraire ? Lettres it be vous donne son avis.

 

Le cinquième livre d'Alice Zeniter
Le cinquième livre d'Alice Zeniter

# La bande-annonce

 

L’Algérie dont est originaire sa famille n’a longtemps été pour Naïma qu’une toile de fond sans grand intérêt. Pourtant, dans une société française traversée par les questions identitaires, tout semble vouloir la renvoyer à ses origines. Mais quel lien pourrait-elle avoir avec une histoire familiale qui jamais ne lui a été racontée ?

 

Son grand-père Ali, un montagnard kabyle, est mort avant qu’elle ait pu lui demander pourquoi l’Histoire avait fait de lui un « harki ». Yema, sa grand-mère, pourrait peut-être répondre mais pas dans une langue que Naïma comprenne. Quant à Hamid, son père, arrivé en France à l’été 1962 dans les camps de transit hâtivement mis en place, il ne parle plus depuis longtemps de l’Algérie de son enfance. Comment faire resurgir un pays du silence ?

 

Dans une fresque romanesque puissante et audacieuse, Alice Zeniter raconte le destin, entre la France et l’Algérie, des générations successives d’une famille prisonnière d’un passé tenace. Mais ce livre est aussi un grand roman sur la liberté d’être soi, au-delà des héritages et des injonctions intimes ou sociales.

 

// « De la vie d'Ali, elle n'a connu qu'un silence dont elle n'a jamais pensé qu'il constituait un manque mais qui lui apparaît maintenant comme un trou à l'intérieur de son corps. » //

 

 

# L’avis de Lettres it be

 

 

 

Après Sombre Dimanche (prix du Livre Inter en 2013) et Juste avant l’oubli (prix Renaudot des lycéens en 2015), Alice Zeniter fait son grand retour dans les librairies, cette fois avec L’art de perdre publié chez Flammarion. Jusqu’à présent, celle qui fut professeur de lettres en Hongrie nous avait habitués à des romans où le « moi » était assez présent, quoique plus ou moins discrètement tapi dans l’ombre. L’art de perdre n’échappe pas à cette introspection récurrente dans l’œuvre d’Alice Zeniter mais aussi, et de façon parfois regrettable, dans le roman français contemporain, comme nous le disions déjà dans la chronique pour le livre Les Peaux rouges d’Emmanuel Brault.

 

Alice Zeniter publie chez Flammarion son cinquième roman
Alice Zeniter publie chez Flammarion son cinquième roman

Le roman se découpe en trois parties distinctes, trois parties qui auraient tout à fait pu faire l’objet de trois tomes d’un même triptyque. L’auteure née à Alençon en 1986 ayant fait le choix de tout regrouper dans un seul et même ouvrage. La première partie ouvre la voie à un grand roman. Le rythme, une plume alerte quoique très sobre, un contexte bien posé sur les cimes de cette intouchable montagne kabyle, un premier chapitre coup de poing. Tout y est. Mais c’est malheureusement plus tard que le bât commence à blesser.

 

 

La deuxième partie commence déjà à ralentir la course du roman vers la perfection. Les événements s’enchaînent, s’empilent et les personnages familiaux antécédents à Naïma défilent au gré des pages. On retient tout de même de brillantes péripéties, des fragments de plume saisissants, à l’image de cet épisode dans le bar où Ali doit faire face aux maugréements d’un tenancier peu enclin à l’arrivée des harkis sur le sol métropolitain français. La narration y est impeccable, franche, et l’empathie ne choisit pas son camp, une denrée rare en littérature le plus souvent.

 

 

C’est à partir de la troisième partie que L’art de perdre semble rater le coche. L’époque y est alors contemporaine, les évènements tristement actuels (attentat etc.) Naïma remonte le fil de ses racines et fait le choix de venir en Algérie par le biais d’une exposition artistique qui ne fait pas sens dans ce roman. C’est bel et bien à partir de ce moment, de ces événements qui semblent trop artificiels, que la lecture s’ennuie. En somme, une troisième partie dispensable à un roman qui avait tout pour plaire.

 

 

// "L'école est supposée leur apporter à tous, au terme d'années qui paraissaient interminables aux petits, une vie meilleure, un statut social appréciable et un appartement hors de la cité. L'école a remplacé les oliviers porteurs de toutes les promesses." //

 

 

 

Pour tenter de conclure sur cette fresque à l’égotisme discret mais à la qualité et au rythme indéniables, disons simplement que ce livre qui, de toute évidence, sera auréolé des plus grands prix semble tout de même rater la cible par moment, certainement vers la fin et cette regrettable troisième partie. Malgré tout, un plaisir de lecture palpable, présent mais qui aurait mérité de frétiller un peu plus longtemps.



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Commentaires: 5
  • #1

    Michèle (lundi, 16 octobre 2017 10:39)

    Alors, dites-moi pourquoi j'ai tant de mal à rentrer dans ce roman ?

  • #2

    Alexandre (vendredi, 03 novembre 2017 14:46)

    Je réponds à Michèle: parce qu'on a l'impression de lire une thèse, pas un roman. 3 personnages, 3 parties, un incipit et un explicit en boucle: impeccable sur le plan universitaire, y compris le sujet -- très politiquement correct aujourd'hui, ce qui explique en partie le succès de ce roman-- et la réécriture, mal digérée souvent néanmoins, de X articles scientifiques. Je partage par ailleurs l'avis de Lettres in be: la 3è partie est très artificielle et inutile voire nuisible. J'ai lu pour des raisons de direction de thèse tout ce qui est paru récemment dans le champ du romanesque sur l'Algérie et je déplore que le roman de Kaouther Adimi, Nos Richesses, un petit bijou d'écriture qui de surcroît , tout en biaisant, en dit bien plus sur la représentation de l'Algérie et de la France d'hier dans son rapport avec la représentation de l'Algérie et de la France d'aujourd'hui, soit passé aux oubliettes. Car, puisque "roman" il y a, c'est bien de représentation qu'il devrait s'agir. La critique parle du "souffle" de ce roman, soit. Personnellement c'est moi qui en suis sortie très très essoufflée.

  • #3

    Geneviève (vendredi, 08 décembre 2017 18:28)

    Tout à fait d'accord avec les critiques ci-dessus, je n'aurais su mieux dire. je vais essayer de me procurer Nos Richesses.

  • #4

    Stéphane Lenique (mardi, 23 janvier 2018 21:03)

    Je dois dire que 1) je m'inscris en partie en faux par rapport à ce qui précède même si 2) je parviens à la même conclusion.
    Contrairement à la critique du site, j'ai trouvé la première partie assez peu prenante, "sèche", aride, un brin ennuyeux. Il est vrai que la société patriarcale et analphabète du bled (pas très éloignée d'une certaine France profonde du XIXe) où la place de la femme se situe quelque part entre le bétail et les possessions immobilières du patriarche n'inspire pas une franche attirance. Mais là où "Le Christ s'est arrêté à Eboli" décrit avec bienveillance et compassion une misère mentale autant que physique, il est vrai, découverte par l'auteur, grand intellectuel milanais relégué dans la Basilicate "attardée", "L'art de perdre" resemble, selon moi, dans sa 1ere partie à un essai sans souffle sur les conditions de vie dans la montagne kabyle, clairement alimenté par des études académiques mais auxquelles l'auteur n'a pas insufflé la vie.
    La seconde partie est poignante dans sa description remarquable des camps d'internement où sont relégués les Harkis avant de s'égarer dans une description un brin décalée des HLM des années 60 que l'auteur analyse avec son regard très daté de 2017, oubliant qu'elles étaient, avec tous leurs défauts patents, un réel progrès sur les habitats insalubres qui subsistaient encore en plein Paris (Belleville) au sortir des années 80. D'une normalienne, on attendait une plus grande rigueur. Et, en contradiction avec la critique du blogue, j'ai trouvé le dernier chapitre le plus attachant car lié à la (jeune) expérience de l'écrivain et donc nettement plus incarnée que la série de poncifs égrenant les 2 premiers chapitres... Le dernier chapitre "dispensable" selon la critique précitée, m'a paru au contraire être le seul suscitant émotion, curiosité et intérêt.

    2) je reste en revanche d'accord pour regretter que ça n'est pas , à mon sens, un "grand" livre. Pour des raisons formelles déjà:
    - les personnages sont esquissés voire développés (Ali le patriarche, puis son fils, "père de l'auteure") puis sont évacués sans que l'on comprenne pourquoi, générant une certaine frustration.
    - l'écriture est sèche, souvent "à l'os" et n'incite pas à poursuivre la lecture du livre, un peu ennuyeuse selon moi.
    - la narration manque de rigueur, certes on n'attend pas un Guerre et Paix pour une jeune écrivain mais que nus somme loin des grands romans y compris récents.

    Au final sans doute un livre qui n'est pas mauvais mais dont je peine à comprendre ce qui, sinon son histoire politiquement correcte, pousse la critique à y voir une oeuvre "au souffle magnifique": s'il y'a bien une qualité dont est dépourvu ce livre non dénué de qualités, c'est bien de souffle!

  • #5

    pauline (jeudi, 15 février 2018 16:55)

    effectivement, quelques regrets en lisant ce beau roman, fouillé, illustré de mille anecdotes, souvent rudes, le racisme guette à chaque page ...
    on aimerait s'attarder au destin d'Hamid, subitement relégué au profit de l'attachante Naïma, curieuse du passé familial, à celui de son père, Ali, qui a tout quitté, emmenant sa famille de l'autre côté de la Méditerranée, sa condition de notable au pays s'est diluée dans l'urgence, il fallait fuir! C'est sans doute la seconde partie du roman qui m'a le plus touchée, le sort injuste qui attendait ces combattants fidèles à la France, le peu de cas que l'on fait de leur statut, harkis ils sont, harkis ils resteront jusqu'aux générations suivantes.
    L'auteure elle-même sensibilisée par le destin de sa famille, met l'accent sur le grand silence qui entoure son enfance, elle ira chercher la clé de son histoire jusqu'à sa source, dans l'Algérie profonde.
    Mais reviendra vite en France, sa vie y est désormais inscrite. A moins que ... ?