Agnès Michaux est revenue pour Lettres it be autour de son dernier roman Roman noir, publié il y a quelques mois chez Joëlle Losfeld Editions. L'occasion d'en apprendre plus sur la génèse de ce livre et la grande carrière d'une femme hors du commun.
Bonjour et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Agnès Michaux ? Que faisiez-vous avant de vous lancer dans l’écriture ?
À la première question, que répondre sinon donner son état-civil… et encore. On le sait bien quand on est confronté à la construction d’un personnage, aucune existence ne se résume. Je ne tenterai donc pas de le faire avec moi-même.
À la deuxième question, je répondrais qu’on ne se lance pas dans l’écriture. En fait, c’est là. Ç’a toujours été là, depuis la première gorgée d’air. C’est en soi et ça écrit tout le temps. Un jour, les autres le voient. Ils voient qu’on écrit. Il y a des livres et si l’on a de la chance, des lecteurs. C’est juste remonté des profondeurs jusqu’à la surface où les choses deviennent visibles. Mais les livres invisibles continuent d’exister.
Vous êtes l’auteure d’une large bibliographie, dans des thèmes divers et variés. Dès 1993, vous écrivez le Dictionnaire misogyne, avant de publier 5 ans plus tard Sissi, une vie retrouvée et ainsi de suite avec plusieurs grands écarts jusqu’à aujourd’hui. Comment choisissez-vous ces thèmes, ces personnages sur lesquels vous souhaitez écrire ?
La diversité, c’est la vie, l’incroyable plasticité de la vie. Les thèmes, qu’on me les ait proposés ou que je les aies « choisis » (je mets des guillemets car souvent, peut-être toujours, j’ai la sensation que ce n’est pas si clair, que ce sont les sujets qui nous choisissent, ou plutôt qu’il y a là, comme dans les histoires d’amour, une façon de se reconnaître, de savoir qu’on est fait l’un pour l’autre), correspondent sans aucun doute à un moment de ma vie, aux questions que je me pose, jusqu’au stade suivant. Les sujets peuvent paraître très divers, mais c’est toujours moi qui écris, alors j’imagine qu’à y bien regarder, il y a un lien entre ces choses qui paraissent si diverses, des obsessions, une certaine façon de regarder le monde, d’y chercher quelque chose.
Vous êtes une mordue de culture en général, mais surtout de cinéma. Vous avez animé une émission hebdomadaire sur le cinéma d’auteur, vous avez été à la réalisation de deux documentaires. Comment vous est venue cette passion ?
Il y a une humanité avant et après les frères Lumière. Je fais incontestablement partie de l’après. J’ai vu des films comme j’ai lu des livres, énormément. C’est toujours la même histoire, c’est de l’écriture. C’est pour cela qu’il y a des ponts entre les deux. Le cinéma m’inspire autant que les livres. Dans Roman noir, bien sûr, le cinéma est là presque à chaque page, comme un jeu, un hommage, un clin d’œil amusé. C’est un roman avec du montage, de la lumière, une bande-son.
Vous revenez donc en librairie avec Roman noir publié aux éditions Joëlle Losfeld. Quelques mots pour présenter ce roman aux personnes qui n’auraient pas encore eu la chance de le découvrir ?
Alice Weiss, écrivain en mal de lecteurs, prend l’avion. Elle a besoin de « vacances », de faire le point, de retrouver une motivation à vivre que ne lui donnent pas ses livres. Pendant le vol qui va la conduire dans le petit paradis balnéaire de Pondara, son voisin de siège, sans savoir qu’elle écrit, enfonce le couteau dans la plaie en lui disant tout le bien qu’il pense des livres de Celia Black, écrivain mondialement connu mais qui prend un malin plaisir à ne jamais se montrer. À l’arrivée, dans l’aéroport, alors qu’Alice essaie de se débarrasser de cet homme un peu collant, elle aperçoit un chauffeur avec une pancarte. Elle se dirige droit vers lui, mais la voiture n’est pas pour elle. Sur la pancarte figurait le nom de Celia Black. Commence alors une histoire d’usurpation qui devrait s’achever – c’est ce que pense Alice autant que le lecteur – quand le taxi la déposera à destination. Seulement voilà : arrivée devant la villa de Celia Black, Alice est accueillie comme si elle était l’autre… Ajoutons à ceci, un brave flic, une noyée, des voyous, des mondains, un gosse formidable, beaucoup de soleil… À la fin, tout s’éclaire. Ou tout s’obscurcit, question de point de vue, mais je ne veux rien divulgâcher, comme on dit en français.
Dès les premières pages, vous plongez vos lecteurs dans une ambiance toute particulière, qui fait immédiatement penser que le titre de votre roman est loin d’être aussi simple que cela. Un choix de votre part de mêler les genres, les ambiances ?
Roman noir a tous les aspects de la réalité, mais à bien y regarder, il y a constamment, dans le décor au sens large, un élément d’étrangtée. Tout est presque la réalité. Nous ne somme pas sur une île mais sur une presqu’île, Alice est « presque » Celia etc. Exactement comme dans les rêves. Dans les rêves, on reconnaît les éléments de la réalité, mais ils composent autre chose, ils composent de l’étrange. Alors, voilà, Roman noir, c’est comme un rêve, toujours un peu étrange, tordu. Ce que devient la vue quand on est obligé de plisser les yeux à cause du soleil. Ce que devient la vie quand on cherche à tout prix à la réinventer. De fait, on pourrait lire Roman Noir comme un pur roman onirique.
Les thèmes abordés dans votre livre contribuent également à installer une atmosphère, brumeuse, complexe. L’insularité ou presque comme cadre de votre histoire, la question de l’identité, la découverte d’une femme morte sur la jetée… Qu’est-ce qui vous a poussé à mêler ces thèmes forts pour construire votre histoire ?
J’ai tout simplement construit un monde qui me plaît et qui puisse avoir du sens. Vous savez, un roman, c’est une maison en chantier pendant des mois, dans laquelle on habite avant qu’elle soit tout à fait terminée. Là où je vais en écrivant, là où je m’installe, c’est là où j’aime vivre le temps d’un livre. C’est comme une bonne chambre d’hôtel. Un bon lit, une belle vue. Dans la bonne ville. Là où des choses peuvent se passer. D’où l’on peut observer sans être vu. Une sorte de planque. De balcon sur le monde et l’âme des gens.
A ce titre, avez-vous eu des inspirations particulières au moment de l’écriture de Roman noir ? Des films, des livres en particulier ?
De mystérieuses « coïncidences », des hasards très troublants surviennent à chaque livre. Des choses qu’on n’attend pas, qu’on n’avait pas prévu (oui, on est parfois idiot au point de croire que l’on peut « prévoir » un livre, mais on est toujours dépassé ; c’est le mystère). Je n’avais pas « prévu » Fritz Kobus, l’intervenant-chef de la brigade de Pondara. Il s’est invité dans cette histoire et je l’aime infiniment. C’est peut-être lui le personnage principal au fond, le « rétablisseur » d’harmonie. Très vite, par contre, il m’est apparu comme une évidence qu’Alice Weiss était Gene Tierney et Celia Black Hedy Lamarr. Des icônes de cinéma, des fantasmes. Cela tombait bien, c’est un roman plein de fantasmes. J’ai travaillé avec leurs photos sur mon bureau. En très bonne compagnie, donc ! Mais j’en ai presque trop dit, car ce qui est beau et profondément humain dans le geste d’écrire, c’est de laisser au lecteur ses propres fantasmes, ses propres images, de lui rendre ou de lui permettre de vivre son individualité, cet endroit qui résiste à l’uniformisation du goût, à la tyrannie du marketing. Il n’y a que de cet endroit qu’on peut comme il faut tendre la main aux autres. De cette chambre à soi, à l’intérieur de nous. J’essaie donc de toujours parler depuis cet endroit, depuis ce qui est moi – ce que j’en sais en tout cas, ce que j’en sens. Je crois que c’est ainsi qu’on touche les autres, ces autres qu’on ne connaît pas et qui ne nous ressemblent pas.
Quelle part de vous-même peut-on retrouver dans Alice Weiss-Celia Black, votre personnage principal ? Cette question de l’identité en tant qu’écrivain, cette question de la reconnaissance de l’artiste sont-elles des questions que vous vous posez dans votre vie personnelle ?
Haha ! Je crois que je viens de répondre à cette question. Ce que je peux ajouter, c’est qu’au bout du compte, chaque lecteur, après avoir lu Roman noir, se fera une idée de qui je suis et c’est très bien comme ça. La question de l’identité, de savoir qui on est, c’est LA question. La question de l’écriture est presque annexe. L’autre question essentielle, qui est liée, est : que veut dire vivre sa vie ? En mettant en scène des écrivains, je parle simplement de ce que je connais. C’est pas mal de se contenter parfois de parler de ce qu’on connaît, cela évite de dire des conneries.
Déjà une idée pour votre prochain roman ? Quel grand écart vous réservez-nous ?
Plus qu’une idée, puisque le chantier est en cours. C’est une autre très chouette baraque ! Et tant mieux car j’y vis 24h/24. Un voyage dans le temps, puisque l’histoire se passe à la fin du XIXe siècle. Mais je m’y sens comme chez moi et m’étonne chaque jour des formidables correspondances qui existent entre aujourd’hui et hier. Et pour conclure, je dirais qu’il n’y a jamais de grand écart, c’est toujours la même âme humaine que je cherche à explorer. C’est Stanley cherchant la source du Nil. Non, c’est mieux, c’est l’exploration sans fin.
Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Agnès Michaux la femme et Agnès Michaux l’auteure :
Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
Un livre blanc, à écrire, et un dictionnaire.
Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?
Oh, il y en a plein ! Je ne peux pas choisir, mais je dirai, là, tout de suite, sans réfléchir, Le Mépris, pour mille raisons, bonnes ou mauvaises, profondes ou futiles, pour Fritz Lang dont l’apparition me touche jusqu’aux larmes, pour la beauté de Brigitte Bardot, la séduction de Piccoli, la lumière, pour Godard en général.
Le livre que vous aimez en secret ?
Tous les livres que j’aime sont mes secrets.
L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
Pas autour d’une bière, car je n’en bois jamais, je n’en ai jamais bu et je n’en boirai jamais, mais sinon, autour de n’importe quelle autre boisson, Arthur Rimbaud.
L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?
Un écrivain sans espoir. Il n’est pas facile d’être écrivain et je ne souhaite ni à moi-même ni à aucun « collègue » de mener une existence trop difficile. Le malheur ne donne pas de talent. Le malheur épuise, le malheur décourage, le malheur éteint. Il ne faut pas admirer la vie de misère des auteurs (je pense à ceux que l’on nomma « maudits » comme si c’était une médaille), ce n’est pas de la mythologie, ce n’est pas « trop cool », c’est du malheur, de la souffrance. Je ne me souhaite pas de souffrir. J’ai déjà mon lot, mon lot très suffisant, comme tout le monde.
Vous ne devez écouter plus qu’une seule musique. Laquelle ?
Encore un choix impossible. Le mieux, comme pour les films, c’est de ne pas trop réfléchir. Alors, je dirais le ressac de la Méditerranée et si on peut ajouter un peu de vent dans les branches et des chants d’oiseaux, c’est le paradis.
Votre passion un peu honteuse ?
Le style Napoléon III, c’est vioque, c’est d’un goût parfois douteux, mais j’adore.
Le livre que vous auriez aimé écrire ?
Les Illuminations.
Le livre que vous offririez à un inconnu/ une inconnue ?
Les Illuminations.
La première mesure de la Présidente Michaux ?
Présidente, ça ne m’arrivera pas, ça c’est sûr. Je laisse donc la parole à Fritz Kobus, dans Roman noir : « Il faudrait vivre. Sans se laisser éblouir par l’éclat de la réalité. En poursuivant le mieux. En construisant les piliers d’une maison généreuse. Pour qu’à l’heure dite, le cœur, sur la balance, ne soit pas plus lourd que la plume de Maât. »
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