Après avoir découvert le dernier roman d'Alexandra Echkenazi Le joueur de baccara publié chez Belfond, Lettres it be est allé lui poser quelques questions pour en savoir plus sur son oeuvre, cette histoire et cet intérêt marqué pour l'agent secret 007 crée par Ian Fleming.
Bonjour et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Alexandra Echkenazi ? Que faisiez-vous avant de venir vers l’écriture ?
Après mes études de philo, j’ai commencé une carrière de journaliste dans la presse écrite. J’ai travaillé une quinzaine d’années comme reporter au journal Le Parisien, traitant de faits divers et de sujets de société. Puis je suis devenue scénariste pour la télévision et il y a trois ans j’ai publié mon premier roman. En fait j’écris et gagne ma vie avec l’écriture depuis toujours, j’ai juste mis un peu plus de temps que d’autres à passer à la fiction. Cela m’a permis d’expérimenter différentes formes d’écriture qui se retrouvent dans ma façon d’écriture mes romans.
Vous revenez dans les librairies après Le journal de Mary qui était déjà l’occasion pour vous de vous plonger dans l’incroyable destin du véritable amour de JFK. Cette fois, même démarche, mais avec Ian Fleming, le créateur de James Bond. Pourquoi cet intérêt pour les destinées hors du commun ?
Ce sont de destinées hors du commun, mais aussi et surtout des personnages oubliés de l’Histoire. Je ne connaissais ni Mary Meyer, ni Dusko Popov. Quand j’ai découvert leur parcours et combien ils étaient liés à la grande Histoire, j’ai trouvé fou qu’ils soient si peu connus. Il existe bien des essais, des documents qui leur ont été consacrés mais on en ressort avec encore plus d’interrogations. J’ai eu le sentiment que seul le roman pouvait permettre de les appréhender.
Le joueur de baccara est donc votre second roman. Vous racontez, en quelque sorte, la genèse du personnage de James Bond. Faites-vous partie des millions de fans de l’agent 007 ?
Non, je l’avoue, au départ James Bond, ce n’était pas ma « came ». James Bond se résumait à des films rocambolesques, dans lesquels l’action primait sur l’émotion et la psychologie des personnages. C’est la découverte des coulisses de la création de ce mythe – il a d’abord été un héros de roman, et avant cela un véritable espion de la seconde guerre mondiale – qui a fait que je m’y suis intéressée. Evidemment, aujourd’hui je suis devenue totalement fan. Mais mon roman ne s’adresse pas uniquement qu’aux fans.
Comment est donc née l’idée d’écrire un livre autour de Fleming et son immense personnage ?
Par hasard, en tombant sur une vieille émission de 1975 de Bernard Pivot sur les espions de la seconde guerre mondiale, à laquelle Dusko Popov participait. On parlait de lui comme le « vrai » James Bond. Cela m’a tout de suite intriguée. J’ai commencé à me documenter et le personnage m’a tellement fascinée que j’ai eu envie d’écrire sur lui. C’était d’autant plus fort que plus j’avançais dans mes lectures, plus j’avais des interrogations. Les zones d’ombre sur cet homme et sa relation avec Ian Fleming étaient tellement nombreuses que cela a ouvert la voie à mon imagination.
Vous mêlez, à s’y méprendre, la fiction et la réalité. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la façon avec laquelle vous mélangez tout cela pour atteindre votre alchimie idéale ?
Beaucoup de documentation et beaucoup de liberté à la fois. Mais pour passer à la seconde étape, la première est indispensable. Il faut connaître la vérité historique pour se glisser dans les non-dits, les impensés de l’Histoire. C’est un gros travail, et un peu ingrat car au final, je n’utilise qu’une infirme partie de mes recherches et de ma documentation. Mais c’est un réel plaisir. J’adore apprendre. Si cela avait été possible, je serais allée à l’école toute ma vie !
Votre livre se situe à la croisée des chemins entre le roman d’espionnage, le livre historique et la biographie. Comment avez-vous réussi à construire votre ouvrage en mêlant ces différents univers ?
En travaillant beaucoup (rires) !
Vous avez été journaliste au Parisien, vous êtes aujourd’hui scénariste pour la télévision. Comment réussissez-vous à faire le pont entre ces différentes professions, entre ces différentes manières d’aborder l’écriture ?
Les séries et téléfilms que j’écris pour la télévision réunissent entre 4 et 7 millions de téléspectateurs par soirée. On est très loin des chiffres d’un roman, y compris d’un best seller qui comptabiliserait quelques centaines de milliers de ventes (ce qui en plus, je le précise, est rarissime, la plupart des romans se vendant au mieux à quelques milliers d’exemplaires). Automatiquement, à la télévision, les enjeux financiers sont plus importants, la pression plus grande, les intervenants plus nombreux et donc la marge de manœuvre de l’auteur diminuée. Malgré ces contraintes, c’est un vrai plaisir car c’est un travail d’équipe. Avec un éventuel co-auteur, un réalisateur etc…Mais pas uniquement. Lorsque je suis allée sur le tournage de mon premier téléfilm, j’ai été sidérée par le nombre de personnes impliquées à faire naître ce projet qui avait vu le jour dans mon petit bureau. Il y avait au moins 200 personnes sur la feuille de route : éclairagistes, chauffeurs, cantiniers etc… J’ai trouvé cela extraordinaire. Cela rend humble. Certes, je suis l’auteur, mais je ne suis qu’un rouage de cette énorme machinerie. Et surtout, je ne suis pas seule. A contrario, l’écriture de roman permet une entière liberté. On est seul maître à bord, on peut expérimenter ce que l’on veut. L’éditeur est là, certes, mais il y a un respect de l’oeuvre et de l’auteur qu’il n’y a pas dans l’écriture de scénario. C’est très épanouissant et par ailleurs très bon pour l’ego (rires). Mais c’est un travail extrêmement solitaire. Et parfois, la traversée peut être très angoissante. En fait les deux formes d’écriture, scénaristique et romanesque, sont complémentaires et je mène les deux de front sans aucun souci.
Sur l’aspect stylistique, en tant que scénariste j’ai une écriture visuelle, qui se retrouve aussi dans mes romans. Mais j’écrivais comme cela avant d’être scénariste, lorsque j’étais journaliste. Déjà, j’aimais donner à voir. Et je pense que c’est pour cela que je me suis naturellement orientée vers l’écriture de scénario.
Une idée pour votre prochain livre ? Encore du côté d’une destinée hors du commun ?
C’est encore trop tôt pour en parler, j’ai plusieurs projets en chantier, on verra lequel sortira du lot.
Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Alexandra Echkenazi la femme et Alexandra Echkenazi l’auteure :
- - Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
Si l’on doit rester un moment sur cette île, sans hésiter La Recherche. Il y a de quoi tromper l’ennui et une foule de personnages pour nous tenir compagnie. Ou alors Etre et Temps de Heidegger. Sur une île déserte, ça peut le faire aussi (rires).
- Le livre que vous aimez en secret ?
Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë. C’est le livre qui m’a donné le goût de la lecture enfant. Et pour de mauvaises raisons : je suis tombée folle amoureuse de Heathcliff ! Encore aujourd’hui, quand le relis, j’ai le cœur qui palpite comme une adolescente.
- Le film à voir et à revoir ?
Les films qu’on a envie de revoir sont souvent des films qui nous ont marqués enfant. En ce qui me concerne c’est E.T., Rencontre du troisième type et Rocky. Ils me provoquent toujours autant d’émotion, probablement parce que ce sont des machines à remonter le temps. Du côté séries, puisque c’est mon domaine, The Wire et Breaking Bad sont sans hésiter les deux séries à voir et à revoir selon moi. Sinon plus récemment il y a un film que je conseille à tout le monde c’est 120 battements par minute. Cela faisait longtemps que je n’avais pas ressenti un tel choc visuel et émotionnel.
- L’auteur(e) avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
Oh la la il y en a tellement ! L’idéal serait de les réunir tous autour d’une bière. Je suis particulièrement admirative de Joyce Carol Oates. L’écrivaine, mais aussi la femme. Mais je ne sais pas si je serais prête à discuter avec elle autour d’une bière. Je crois que je serais trop intimidée. Il y a des personnes que l’on admire et que l’on n’a pas particulièrement besoin de rencontrer.
- Votre passion un peu honteuse ?
Si je devais choisir une passion ce serait celle du chant. La voix me met en transe. J’ai pratiqué le chant choral et lyrique pendant une vingtaine d’années. Dis comme ça, ça fait un peu snob. Mais d’abord je ne suis pas douée – toutefois je ne chante pas comme une casserole, c’est déjà ça - et surtout je dois avouer que j’aime autant la Callas que Céline Dion. Je ne rate aucun épisode de The Voice ou de la Nouvelle Star. Ma passion pour les « chanteuses à voix » et les télé-crochets pourrait être considérée comme ma passion honteuse, même si j’assume totalement et n’en ai pas du tout honte.
- Ecrire en écoutant une musique : laquelle ?
J’écoute beaucoup de musique – cela va de la pop à l’opéra en passant pas le rap - mais jamais en écrivant. Ce qui ne veut pas dire que mes romans n’ont pas de BO. Au contraire, ils en ont tous une. En fait la musique m’inspire, fait naître en moi des scènes, elle déclenche l’écriture. Par exemple, pour Le Joueur de baccara, c’est en entendant « Busy Earning » de Jungle dans un magasin que j’ai vu la scène de fin entre Popov et Fleming . Pourtant je n’étais pas en « mode » écriture. Mais quand on écrit, on est toujours en « mode » écriture, en fait. J’étais dans une boutique de vêtements, j’entends cette musique, et soudain je vois Popov avec des Ray Ban sur le nez, un blouson de cuir, à Cannes, au soleil couchant se diriger vers sa BMW avec un enfant tournoyant autour de lui. Au départ je n’avais pas prévu de parler de cet enfant, il s’est invité à ce moment, dans cette boutique. J’ai lâché mes courses et je suis immédiatement rentrée écrire cette scène. Qui a conditionné de nombreuses autres scènes. Il y a aussi la musique que je recherche volontairement pour me replonger dans l’ambiance et le contexte historiques. Sur quels tubes on dansait à cette époque etc…Mais une fois que j’écris, j’ai besoin d’être dans ma bulle, sans musique pour me distraire. Ce qui ne veut pas dire que j’ai besoin de silence, j’écris souvent dans un café près de chez moi, mais le brouhaha qui m’entoure ne me détourne pas de mon travail, au contraire de la musique. J’aime trop la musique pour l’écouter d’une manière distraite.
- Le livre que vous auriez aimé écrire ?
Une fois encore, il y en a beaucoup trop pour en choisir un seul ! Au hasard, sans réfléchir, je dirais Blonde, de Joyce Carol Oates. Mais une saga comme Les Thibault de Roger Martin du Gard m’a aussi beaucoup marquée. J’aime les grandes épopées, les romans qui ont du souffle. Je dis ça, mais Un roman russe d’Emmanuel Carrère est un de mes livres préférés. Ceci dit d’une certaine manière c’est aussi une épopée. Dans un genre totalement différent, il y a John Le Carré et L’espion qui venait du froid. Bref, je ne peux pas choisir !
- Le livre que vous offririez à un inconnu ?
Je me répète, mais je suis incapable d’en choisir un. En revanche pour un CD c’est sans hésiter : « La Passion selon Saint Jean », de Bach.
- La première mesure de la Présidente Echkenazi ?
Chacun son boulot. Ce qui ne veut pas dire que je n’ai pas de convictions et qu’elles ne transparaissent pas dans mes romans. Mais j’écris, je ne fais de pas de politique. Contrairement à Platon, je pense que les « philosophes rois », ça ne marche pas.
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