Lettres it be est allé poser quelques questions à Do Raze autour de son dernier livre Fucking Business publié chez HC Editions. L'occasion d'en apprendre un peu plus sur un thriller surprenant, à mi-chemin entre Ian Fleming et un essai sur les pratiques obscures des entreprises de ce monde.
Bonjour et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Do Raze ? Que faisiez-vous avant de vous lancer dans l’écriture dès 2011 avec votre premier roman La mort des rêves ?
J’écrivais des nouvelles. Une première phrase me venait et, si les circonstances me le permettaient, je me plongeais dans l’écriture durant plusieurs heures, happée par ce fameux flow dont on parle tant ces derniers temps. A l’issue de ce trou noir créatif, une nouvelle voyait le jour. C’était tellement compulsif et irrépressible que je m’étais auto-baptisée « éternueuse de mots ».
Mes nouvelles avaient un fil rouge, mais je ne parvenais pas encore à écrire quelque chose de plus long, à raconter une seule histoire dans la durée. Jusqu’à ce que l’idée de « La mort des rêves » fasse son chemin en moi et que je me lance enfin dans l’écriture d’un roman. Là encore, je me suis laissée guider par l’histoire, par les mots, sans but précis. Mais avec une assiduité et une discipline inédites.
7 années sont passées entre la parution de votre premier livre et celle de Fucking Business, votre nouveau roman. Le besoin de prendre du recul pour vous lancer dans l’écriture d’une nouvelle histoire ? Pas assez de temps à consacrer à l’écriture en parallèle à votre activité professionnelle ?
La question du temps est effectivement centrale. Mes deux romans sont nés à des périodes où je disposais de temps pour me consacrer à l’écriture. Un mois et demi de congés pour la Mort des rêves et trois mois d’activité professionnelle plus souple pour Fucking Business.
Au-delà, je crois que la peur a pu retarder l’écriture de ce deuxième roman. Peur de ne pas renouveler l’exploit d’aller jusqu’au bout, de ne pas réussir à réunir les conditions exactes dans lesquelles la mort des rêves avait vu le jour. Au final, le processus d’écriture des deux romans n’a pas du tout été le même et j’en suis heureuse. J’ai réalisé que je pouvais concilier l’écriture avec d’autres activités ce qui est une bonne nouvelle pour la suite…
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Fucking Business, votre nouveau roman, pour les personnes qui n’auraient pas encore eu la chance de le découvrir ?
Bleu est tueur à gage corporate. Ses clients sont des entreprises, ses victimes des collaborateurs trop talentueux qui ont simplement la malchance de travailler pour un concurrent. Qu’ils soient ingénieur, directeur des achats, entrepreneur ou chargée de mission dans une ONG, Bleu les élimine du business en les tuant professionnellement, socialement ou psychologiquement.
Bleu évolue dans un monde froid et aseptisé qui ne laisse aucune place au hasard. Sa profession est parfaitement organisée, son art maîtrisé, sa carrière toute tracée.
Mais alors qu’il s’apprête à tuer sa 35e victime, Bleu se fait « ubériser » et le chasseur se retrouve chassé.
Vous évoquez dans ce livre la profession de tueur à gages corporate. Comment vous est venue l’idée d’aborder un tel thème ?
J’aimais l’idée d’un tueur dont le champ d’action serait l’entreprise et ses victimes n’importe quel individu. Avec en toile de fond une organisation professionnelle qui a simplement fait du crime un levier capitalistique comme un autre.
J’avais envie de parler de notre société, du monde du travail et de ce que vivent les quadras et les quinquas qui se retrouvent à devoir continuer de travailler alors que la plupart des repères qui ont jalonné leur carrière se retrouvent totalement bouleversés.
Le fait de décrire la chute d’un personnage aussi atypique et endurci que Bleu était ainsi une façon d’universaliser mon propos. Si cela peut lui arriver à lui, alors cela peut arriver à chacun de nous.
James Bond 2.0, chasseur de têtes au sens propre comme au figuré… Les mots manquent pour qualifier le personnage principal de votre livre. Quelles ont été les œuvres majeures, quels ont été les auteurs ou les personnages qui ont pu vous guider durant l’écriture de ce roman ?
Aucun et je ne dis pas cela par prétention. J’adore lire et je suis admirative du travail d’un grand nombre d’écrivains, qu’ils s’agissent d’auteurs de polars comme John Harvey, Thierry Jonquets, Henning Mankel, ou de romanciers parmi lesquels Marc Dugain, Joyce Carol Oates ou encore Victor Hugo.
Et certainement ces auteurs constituent-ils un système de référence pour moi, en ce sens qu’ils ont tous une capacité à décrire l’humanité avec une lucidité extrême, mais une lucidité teintée de compassion voire de tendresse.
Mais lorsque j’écris, mon seul maître est mon personnage. D’où ma prédilection pour l’écriture à la première personne. Cela laisse la place à la subjectivité du personnage et non à la mienne. Je ne juge pas Bleu, je ne cherche ni à la rendre aimable ni détestable : je le laisse simplement être lui. Et je découvre l’histoire au même rythme que lui.
Est-ce que votre livre, au-delà de son intrigue et des personnages qui l’habitent, et aussi le moyen de décrier cette réalité nouvelle qui existe au sein des grandes entreprises de ce monde ? Est-ce aussi un avertissement à l’usage du grand public ?
Plus qu’un avertissement, c’est un constat.
Fucking Business parle de l’impuissance des individus à échapper à l’obsolescence du monde dans lequel ils se sont initialement forgés. C’est la loi de la vie, de la société. Une génération chasse l’autre, un progrès ou une nouvelle technologie chasse la précédente, il faut sans cesse aller vers du plus et nous sommes condamnés à suivre.
La difficulté de notre époque est que l’innovation, le progrès se sont accélérés et que nos cycles d’obsolescence se raccourcissent… Beaucoup de gens se sentent dépassés.
Déjà une idée pour votre prochain livre ?
Oui. Mais je préfère entretenir le suspense ;)
Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Do Raze la femme et Do Raze l’auteure :
Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
En ce moment, Révolution, tomes 1 & 2, d’Hilary Mantel. Puissant et obsédant.
Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?
Eternal sunshine of a spotless mind de Michel Gondry. Love is all...
Le livre que vous aimez en secret ?
Je suis une légende de Richard Matheson. Un chef d’œuvre qui parle de zombies !
L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
Dennis Lehane et je veux bien une coupe de champagne à la place de la bière.
L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?
John Kennedy Toole, qui s’est suicidé parce qu’il se considérait comme un écrivain raté avant de recevoir le prix Pulitzer à titre posthume pour La conjuration des imbéciles. Sic !
Vous ne devez écouter plus qu’une seule musique. Laquelle ?
Je déteste choisir donc je prendrai le requiem de Mozart, la discographie complète d’Arcade Fire, celle de Nick Cave et Toop Toop de Cassius.
Votre passion un peu honteuse ?
Les puzzles monochromes de 500 pièces…
Le livre que vous auriez aimé écrire ?
Une femme d’Annie Ernaux.
Le livre que vous offririez à un inconnu / une inconnue ?
Madame Bovary.
La première mesure de la Présidente Do Raze ?
Mon ambition me cantonnera toujours au rôle de conseillère occulte…
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