"Interview de Laurent Decaux ("Le Seigneur de Charny" chez XO Editions) : "Depuis l’école des Annales, les historiens ont perdu le goût littéraire de leurs anciens"

Laurent Decaux publie Le Seigneur de Charny chez XO Editions
Laurent Decaux publie Le Seigneur de Charny chez XO Editions

 

Il y a quelques semaines, Lettres it be vous parlait du premier roman de Laurent Decaux, Le Seigneur de Charny publié chez XO Editions. Une petite histoire de la grande au sujet de laquelle nous avons posé quelques questions à son auteur pour en savoir un peu plus.

 

Bonjour et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Laurent Decaux ? Que faisiez-vous avant de publier votre premier livre, Le Seigneur de Charny ?  

 

Bonjour Lettres It Be ! Je viens d’un univers professionnel bien différent de la littérature historique, puisqu’avant d’écrire mon premier roman, j’ai travaillé dix ans dans l’univers du vin. Je suis arrivé au roman historique pour deux raisons : un atavisme familial à l’origine de mon goût pour l’Histoire, et une passion pour le roman, quelle que soit sa forme ou son sujet.

 

 

 

Vous êtes le fils d’Alain Decaux. Pensez-vous que cette filiation puisse être difficile à gérer dans votre nouvelle vie d’auteur ? Comment vivez-vous cela ?

 

Cette filiation n’a jamais été un fardeau. On ne m’a jamais fait payer le fait d’être le fils d’Alain Decaux. J’imagine que c’est différent pour les enfants de vedettes du cinéma ou de la chanson ; mais mon père était Historien ! Il y a des héritages plus difficiles à assumer. D’autant que je dois à mon père ma vocation, puisqu’en écrivant du roman historique, j’explore un style dans lequel il aurait tout à fait pu s’aventurer.

 

 

Vous publiez donc votre tout premier livre, un roman de cape et d’épée qui prend place dans une période bien précise de notre Histoire : nous sommes à la fin du XIVème siècle, la France change tout juste de roi, l’Eglise est déchirée entre Avignon et le Vatican, les croyants se tournent massivement vers les reliques conservées. Pourquoi avoir fait le choix de cette période historique bien précise ?

 

 

C‘est un pur concours de circonstances. En fouillant dans les archives de mon père il y a six ans, j’ai découvert un tas d’ouvrages et de fascicules qui traitaient du suaire de Turin. Il s’était intéressé à cette fameuse relique dans le cadre de plusieurs émissions télévisées et radiophoniques dans les années 70 et 80. Lui qui avait une foi d’un charbonnier croyait dur comme fer à l’authenticité du linceul... Quelle ne fut pas sa désillusion quand en 1988 une étude au carbone 14 commandée par le Vatican démontra que cette relique était un faux du moyen âge ! En me penchant sur ce sujet, je me suis rendu compte que le suaire avait littéralement « surgi » dans l’Histoire, de manière assez miraculeuse, dans la Champagne de la fin du 14ème siècle.  J’ai alors découvert une période calamiteuse pour la France ; la Peste Noire avait tué six millions de Français ; la guerre de Cent Ans avait saigné la chevalerie ; et le Schisme de l’Eglise déchirait les consciences des Chrétiens. Moi qui cherchais depuis longtemps le contexte d’un roman historique, pouvais-je trouver meilleur sujet ? 


 

On est dans votre livre, dans une France d’alors en pleine transition, en proie à de nombreux doutes, de nombreux changements à l’horizon. Doit-on y voir un quelconque rapport avec notre France d’aujourd’hui où certaines mutations sociales, politiques etc. se font aussi nombreuses ?

 

Non ! La France d’aujourd’hui n’a rien de commun avec la France de 1382 ! Les similitudes que j’ai peut-être inconsciemment mis en évidence concernent les hommes et leurs caractères, qui n’ont pas tellement évolué. Je suis personnellement convaincu que les structures religieuses, politiques, idéologiques changent, mais que l’homme ne change pas. Quelle que soit l’époque ou la société, ses moteurs restent l’amour, la curiosité, le confort matériel sous toutes ses formes, et l’ambition !

 

 

Roman picaresque, roman de cape et d’épée etc. Les qualificatifs ne manquent pas sur votre livre si l’on en croit toutes les critiques parues. Quelles ont été vos sources d’inspiration pour écrire cet ouvrage ?

 

 

J’aime bien l’expression qu’a trouvée mon éditeur pour définir Le Seigneur de Charny : un roman médiéval de cape et d’épée. Je voue un culte à l’oeuvre d’Alexandre Dumas. J’ai d’ailleurs découvert récemment que son premier roman, qui s’appelait Isabel de Bavière et est parfaitement oublié, était consacré au règne de Charles VI ! Les romans de Walter Scott, de Paul Féval, de Jules Verne furent mes premières sources d’émerveillement. Pour la littérature historique plus récente, L’Oeuvre au Noir, de Marguerite Yourcenar, est ma référence absolue. Avec Le Seigneur de Charny, ma priorité était de faire vivre au lecteur une aventure à tambour battant. Pour la suite que j’écris actuellement, mon inspiration va plutôt du côté des Rois Maudits : bien que mettant en scène de nombreux personnages du Seigneur de Charny, ce roman confrontera mon héros Jacques aux intrigues de la cour des rois de France et d’Angleterre, et des papautés de Rome et d’Avignon. 

Découvrez la chronique Lettres it be pour Le Seigneur de Charny de Laurent Decaux chez XO Editions
Découvrez la chronique Lettres it be pour Le Seigneur de Charny de Laurent Decaux chez XO Editions

 

Au-delà de l’intrigue et du roman, votre livre est une véritable mine d’informations  sur l’Histoire. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre travail d’écriture, sur votre façon de gérer à la fois les recherches historiques et l’écriture ?

 

La recherche historique n’est pas chronophage dans mon travail ; l’écriture, en revanche, l’est. Par ailleurs, il n’y pas de règles en matière de documentation. La recherche peut se situer en amont de l’écriture, ou vice-versa. C’est-à-dire qu’une visite dans un monument ou la lecture d’une chronique d’époque peut me donner une idée d’écriture, et inversement quand j’écris, je peux avoir besoin d’informations sur le contexte, le personnage (s’il est vrai) ou le lieu décrit. Pour Le Seigneur de Charny, j’ai trouvé beaucoup de choses en Champagne, en me faisant montrer la région de Lirey, dans l’Aube, par l’historien local Alain Hourseau. Les chroniques de Froissart, de Juvénal des Ursins, et du Religieux de Saint-Denis, contemporains de mon intrigue, m’ont également beaucoup aidé. Décrire le Paris du moyen âge était plus simple : j’habite dans le Marais, qui est l’un des plus vieux quartiers de la capitale, et où vivait le roi et sa cour dans les années 1380. En outre, je fréquente la bibliothèque historique de la ville de Paris, rue Pavée, qui est une véritable mine d’information.

 

 

Le récit de l’Histoire est un sujet souvent polémique depuis quelques années, une bagarre courante entre historiens confirmés, amoureux narrateurs de l’Histoire comme Stéphane Bern et consorts etc. Pensez-vous que le roman puisse aussi être une façon de faire apprendre l’Histoire, de raconter les temps passés ?

 

Je suis venu à l’Histoire par les romans de Robert Merle, Jeanne Bourin, Eugène Sue... Michelet écrivait comme un romancier. Son Histoire de France est un chef d’oeuvre du romantisme. Depuis l’école des Annales, les historiens ont perdu le goût littéraire de leurs anciens. C’est bien dommage ! Certains historiens se comportent comme des scientifiques, obsédés par le chiffre et le souci de la vérité.  Ceux-là n’ont pas compris que l’Histoire est, plutôt qu’une science, un éclairage sur le passé. Il s’agit de faire connaître plutôt que de transmettre, ce dernier terme étant chargé d’idéologie. C’est pourquoi j’admire les écrivains et journalistes qui font oeuvre de vulgarisation. Et je ne dis pas ça la parce que je suis le fils d’Alain Decaux !

 

 

Déjà une idée pour votre prochain ouvrage ?

 

 

C’est une suite au Seigneur de Charny, qui se passe dix ans plus tard à la cour du roi Charles VI. Pour l’instant je ne peux pas en dire davantage. Le projet doit aboutir en 2019.


Questions bonus

 

Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Laurent Decaux l’homme et Laurent Decaux l’auteur :

 

- Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?

Il m’en faudra deux : A La Recherche du Temps Perdu (pour être sûr d’en venir à bout) et Le Vicomte de Bragelonne (parce que je pourrais le lire un bon  millier de fois)

 

- Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?

Les choses de la vie de Claude Sautet

 

- Le livre que vous aimez en secret ?

Les fourmis de Bernard Werber

 

- L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?

Michel Houellebecq

 

- L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?

Michel Houellebecq

 

- Ecrire en écoutant une musique. Laquelle ?

Veridis Quo, Daft Punk

 

- Votre passion un peu honteuse ?

Le golf à la télévision

 

- Le livre que vous auriez aimé écrire ?

Les Particules Elémentaires

 

- Le livre que vous offririez à un inconnu ?

Les Particules Elémentaires

 

- La première mesure du Président Decaux ?

 

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