Interview de Laurent Quintreau (Ce qui nous guette publié chez Rivages) : "Ecrire un livre est une métamorphose"

Ce qui nous guette est le dernier livre de Laurent Quintreau publié chez Rivages
Ce qui nous guette est le dernier livre de Laurent Quintreau publié chez Rivages

 

 

Roman découpé, succession de nouvelles ? Critique du temps moderne, alerte sur les comportements humains d'aujourd'hui, peut-être bien trop humains ? Laurent Quintreau revient en librairie avec un livre à plusieurs visages, Ce qui nous guette (découvrez la critique Lettres it be en cliquant ici) publié aux Editions Rivages. Lettres it be en a profité pour poser quelques questions à l'auteur et en savoir plus sur son parcours d'auteur ainsi que sur ce nouvel ouvrage.

D'abord une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Laurent Quintreau ? Que faisiez-vous avant de vous lancer dans l’écriture ?

 

Bonjour. Voici quelques repères spatio-temporels : j’ai passé mon enfance et mon adolescence dans les Deux-Sèvres. Après des études au lycée technique de Niort, puis une hypo et une khâgne à Poitiers, je suis parti à la conquête de Paris, tel un Rastignac de cette fin du XXème siècle… J’ai travaillé dans le secteur de la publicité (en tant que concepteur-rédacteur), en free-lance et dans des agences. C’est à cette période (1990-2000) que j’ai également commencé à faire des chroniques littéraires et des performances, pour la plupart très physiques (l’une d’entre elles, réalisée avec l’artiste Arnaud Labelle-Rojoux, avait fait l’objet d’un article dans Le monde). C’est à cette période également que j’ai participé à la publication la revue Perpendiculaire (aux éditions Michalon, puis Flammarion), dans laquelle j’ai produit plusieurs textes, plutôt théoriques (« Perec-Pascal : 2-0 », « le concept de chien ne mange pas de croquette », « les fantômes, c’est scientifiquement prouvé ! …).

 

Vous avez contribué à fonder la revue Perpendiculaire. Pouvez-vous nous présenter cette revue en quelques mots, son origine et votre rôle dans son organisation ?

 

 

La revue Perpendiculaire, évoquée précédemment, est une résurgence, ou plutôt un avatar de la société perpendiculaire, créée à Niort lorsque nous étions en terminale. Construite sur le modèle d’un organigramme de mutuelle avec un Bureau des Idées Non réalisées, un Haut Conseil, une dissidence officielle, cette entreprise de fiction (qui devait autant à Dada qu’au Grand Jeu ou au club des hachichins) nous amena à distordre nos grilles de lecture et multiplier les expériences esthétiques, avec une tendresse particulière pour l’idiotie, le mauvais goût, le ratage, la distorsion, que nous considérions comme autant objets d’études et d’explorations. A titre personnel, j’étais président de la Sous-commission de surveillance des sections, et missionné pour réaliser un audit des croyances et de la foi perpendiculaire en lien avec le Bureau du chamanisme international. Quelques années plus tard, cette expérience collective prit la forme d’une revue, publiée d’abord aux éditions Michalon, puis Flammarion, qui anima la scène littéraire entre 1995 et 1998 jusqu’à notre séparation avec Michel Houellebecq, (il nous avait rejoints à la création de la revue) qui suscita pas mal de critiques, justifiant la tribune que nous avions publiée en réponse (Houellebecq et l’ère du flou, Le monde, 10 octobre 1998).


 

Vous revenez donc en librairie avec Ce qui nous guette, votre dernier livre publié chez Rivages. Vous y faites le choix de la nouvelle avec 10 histoires bien différentes. Pourquoi ce choix d’un tel format d’écriture ? Une première pour vous ?

 

Ce qui nous guette est plus un roman qui ressemble à une suite de nouvelles qu’une suite de nouvelles à proprement parler. A priori, vous avez raison, ce sont des histoires différentes qui se succèdent, et l’intrigue peut paraître très légère, voire filandreuse, avec un lien relativement ténu entre les parties. Mais à postériori (à partir de la seconde moitié) les pièces du puzzle s’assemblent pour former une unité cousue de A à Z avec un personnage aussi central qu’emblématique (Sophie T) que nous retrouvons jusqu’à la fin, ce qui ne va pas manquer de rétroagir sur le début en lui donnant dès lors une tonalité et un sens différents Un tel format d’écriture est donc peut-être une première mais nullement une rupture si l’on se réfère à mes précédents ouvrages de fiction : entre l’espace-temps d’une réunion où se télescopent les niveaux de réalité les plus hétérogènes (Marge brute), la rencontre insensée entre le devenir post-mortem d’un vieux sage tibétain et un cadre revenu d’un long coma expérimentant un dispositif d’art contemporain (mandalas), les 23  jours de vie d’une petite mouche zigzagant autour des règnes, animal, végétal, humain et minéral (la chimie des trajectoires), je dois reconnaitre une irrésistible prédilection pour les constructions indéterminées, flottantes, un peu précaires…

 

 

Quelles ont été vos inspirations pour mener à bien ce livre ?

 

L’inspiration majeure est une observation méticuleuse, têtue, méthodique de la façon dont le monde fonctionne aujourd’hui, que je dois autant à une proximité professionnelle avec des personnes qui manient l’intelligence artificielle et les datas qu’à une faculté, plus personnelle cette fois-ci, d’assembler des mondes possibles à partir des informations les plus anodines en apparence. Aussi lorsque je suis tombé sur la piste de cet article paru dans la revue Nature, je crois, où il était question d’implantations réussies de cellules gliales chez les souris, je n’ai pu m’empêcher d’extrapoler les conséquences de ce type d’expérimentations sur les humains. Le règne des algorithmes et de la domination des grands nombres ont de quoi nous donner le vertige si l’on se prend la peine d’en examiner toutes les conséquences. C’est ce vertige qui grossit au fil du texte qui fait l’unité de Ce qui nous guette.

 

 

Je crois qu’autour, ou plutôt en amont de cette hyper-technologie dans laquelle baigne le roman, il y a l’intuition, ancienne, archaïque, comme une immémoriale prescience, que les frontières entre l’être humain et les autres règnes (les différents niveaux d’organisation de la matière) ont toujours été aussi relatives que poreuses, et le seront de plus en plus, avec une radicalité nouvelle. 

Découvrez la chronique Lettres it be pour Ce qui nous guette de Laurent Quintreau publié aux Edtions Rivages
Découvrez la chronique Lettres it be pour Ce qui nous guette de Laurent Quintreau publié aux Edtions Rivages

On pourrait découper votre livre en deux morceaux. Les premières histoires s’attèlent à raconter ce moment où littéralement « on pète les plombs », et vous le faites avec brio dans une langue franchement drôle. La seconde partie de votre livre se fait plus sérieuse, avec le développement d’idées sur une humanité évoluée et sur des cerveaux faits sur-mesure. Là encore, pourquoi un tel découpage, une telle évolution dans votre livre ?

 

C’est la texture même du livre, conçu à la façon d’algorithmes exponentiels, qui répond le mieux à cette question. Les petits séismes du début deviennent, à mesure que les protagonistes avancent dans le temps de la civilisation high tech la plus aboutie, des formes de chaos collectifs, et ce jusqu’au cauchemar logique des dernières pages. Ce n’est pas un hasard si la transition entre les deux parties est le chapitre des attentats, où les protagonistes rencontrent la grande histoire, dont ils ne vont plus pouvoir s’extraire.

 

 

Sur ce point, quel est votre rapport à cette humanité évoluée que vous imaginez là ? Une menace ? Un bienfait qui doit rester tout de même sous contrôle ?

 

Si elle évoque le classique double visage du progrès des sciences et des techniques, espérance et risque tout à la fois, la problématique que vous évoquez est en phase de crispation paroxystique, si vous me permettez l’expression. Avec la progression d’artefacts qui changent tout de notre appréhension du réel, de notre conception à notre mort (qui bientôt sera parfaitement prévisible et attendue grâce au calcul on ne peut plus précis de notre espérance de vie que le séquençage généralisable et accessible du génome est en train de rendre possible), la définition de ce qu’est l’être humain change autant de nature que de degré. Cette accélération des sciences et des techniques pose évidemment le problème de la fiabilité de nos boussoles éthiques. D’ailleurs, quand bien même construirez-vous un arsenal législatif des plus solides en vue de prévenir les risques (on l’a vu récemment avec la GPA), vous ne pourrez pas éviter que vos lois soient contournées ailleurs, ne serait-ce que parce qu’il y a des endroits où elles ne s’appliquent pas. Pour revenir à la première partie de votre question se posera, le plus simplement, le plus subjectivement du monde, la question : un tel monde est-il vivable ?

 

 

On connaît votre engagement syndical très fort, on devine par moment vos aspirations politiques. Dans Ce qui nous guette, vous n’hésitez d’ailleurs pas à user de l’ironie pour moquer un candidat (plutôt une candidate ?) lors d’un désormais célèbre débat de l’entre-deux-tours. Pensez-vous que vos livres soient plutôt un espace d’expression plus ou moins directe de vos idées personnelles ou simplement un terrain de pure liberté pour la fiction ?

 

Mon engagement, mes idées, ma pratique du droit et des rapports sociaux sont des matériaux que l’on retrouve forcément dans mes livres, mais sous une forme autre que celle par laquelle ils balisent mon expérience professionnelle. Toute fiction (et on a tendance à l’oublier en ces temps bruissant d’autofictions, où « écrire un livre » signifie dans la plupart des cas se confesser, se mettre à nu dans un récit ou balancer, régler ses comptes avec des agresseurs présumés, parents, collègues, institutions, Etat…) est une métamorphose, ne serait-ce que parce qu’elle opère dans un système de conventions et de symboles que l’on appelle le langage. Ni un espace d’expression directe, donc, ni un terrain de pure liberté mais un dispositif, un agencement où se déploie un espace de jeu avec un lecteur.

 

 

Vous avez déjà accordé une large place au monde du travail dans vos romans (Marge brute en 2006 ou encore Mandalas, trois ans plus tard). Au vu de l’actualité politique récente, au vu des mouvements sociaux d’ampleur auxquels nous assistons, doit-on s’attendre à un « retour aux sources » de votre part ?

 

 

« Le monde du travail » est la traduction d’un ensemble de rapports de domination, économiques et financières certes, mais aussi physiques, sexuels, psychologiques, narcissiques, génétiques, éducationnels, tout ce que vous voulez… Un champ d’observation sans fin dès lors que l’on ne se cantonne pas à la surface du visible et que l’on prend la peine de s’intéresser à ce qui se trame derrière les sous-conversations et les silences. Cela veut dire, pour répondre plus précisément à votre question, que je ne cesserai de retourner aux sources tout en me donnant la liberté de m’en éloigner, du moins en apparence. D’ailleurs, on trouve dans la seconde partie de Ce qui nous guette un arrière-plan social très perturbé et pas mal de manifs qui dégénèrent…


Questions bonus

 

Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Laurent Quintreau l’homme et Laurent Quintreau l’auteur :

 

Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
La divine comédie de Dante

 

Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?
La vie est belle de Frank Capra

 

Le livre que vous aimez en secret ?
Les mémoires de Sacha Guitry

 

L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
Honoré de Balzac

 

L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?
Gustave Flaubert

 

Vous ne devez écouter plus qu’une seule musique. Laquelle ?
Celle de Philip Glass

 

Votre passion un peu honteuse ?
Regarder les combats d’insectes sur des vidéos japonaises en ligne

 

Le livre que vous auriez aimé écrire ?
J’hésite entre La conjuration des imbéciles, de John Kennedy Toole et La maison des feuilles, de Mark Z. Danielewski

 

Le livre que vous offririez à une inconnue ?
Ce qui nous guette, en lui présentant comme un traité de survie pour zones sismiques

 

La première mesure du Président Quintreau ?
Taxer les gestes prédateurs et valoriser les autres

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