Interview de Michaël Mention (Power publié aux éditions Stéphane Marsan) : "J’ai toujours les mêmes obsessions : l’identité et l’influence de l’environnement sur l’individu."

Power est le dernier livre de Michaël Mention publié chez Stéphane Marsan
Power est le dernier livre de Michaël Mention publié chez Stéphane Marsan

 

Fort de ses succès littéraires passés, Michaël Mention revient sur le devant de la scène avec Power, un récit terriblement immersif sur la naissance du mouvement des Black Panthers aux Etats-Unis publié aux éditions Stéphane Marsan. Lettres it be est allé poser quelques questions à l'auteur pour en apprendre un peu plus sur sa vie d'auteur et l'origine de ce nouveau livre.

Bonjour et merci de prendre part à cette interview pour Lettres itbe. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Michaël Mention ? Que faisiez-vous avant de vous lancer dans l’écriture?

 

Je suis né à Marseille en 1979, j’en suis parti dès l’obtention du Bac et j’ai fait deux ans d’études à Toulouse (philo et sciences du langage). Ça m’intéressait, mais pas autant que le dessin, que je pratiquais depuis l’enfance. A cette époque, entre 1999 et 2000, j’ai lu énormément de bouquins (Céline, Camus, Ellroy, Thompson et King, notamment) et j’ai aussi découvert Lavilliers, Desproges, Thiéfaine, Gainsbourg… toutes ces influences m’ont éloigné du dessin et m’ont conduit à rédiger ma première chronique satirique lors d’un atelier d’écriture à la Fac du Mirail à Toulouse. Si les gens n’avaient pas apprécié, s’ils m’avaient dit de laisser tomber, j’aurais arrêté là, donc merci à eux pour leurs rires et leurs soutiens qui m’ont donné suffisamment confiance pour oser écrire une deuxième chronique, puis les suivantes… Après, comme pour n’importe quel autre auteur, tu ne contrôles jamais la suite : ton écriture se développe, tu apprends à te lâcher, puis tu passes des chroniques aux nouvelles, jusqu’au premier roman.

 

 

Vous avez débuté par la bande dessinée avant de vous tourner, dès 2008, vers le roman avec Le Rhume du pingouin. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce passage central dans votre vie d’auteur ?

 

 

Entre 2001 et 2008, j’ai écrit huit bouquins (espionnage, polar, fantastique) dont les premières versions du Carnaval des hyènes et de Bienvenue à Cotton’s Warwick. En 2006, j’ai auto-édité le roman qui me semblait le plus abouti (…) à une centaine d’exemplaires, puis je suis allé au salon du livre de Paris. Je me revois avec mon sac de sport Adidas, rempli de Rhume du Pingouin, faisant le tour de tous les stands d’éditeurs… je n’ai eu qu’une seule réponse, de la part de Françoise Samson, qui bossait à l’époque chez Ramsay. Elle a tout fait pour que le livre paraisse, puis finalement, ça s’est fait au Rocher. Le rhume du pingouin avait tous les défauts d’un premier roman (lourdeurs stylistiques, faiblesse d’écriture, volonté de plaire aux lecteurs etc), mais je n’en avais évidemment pas conscience et j’étais très heureux qu’il sorte. Françoise était très bienveillante à mon égard, mais concernant le monde de l’édition, j’ai eu le sentiment d’y entrer par les chiottes car j’ai d’abord découvert ses pires aspects. Ma chance est d’avoir été, dès le début, confronté au mépris et à la suffisance de nombreuses personnes (dont l’expérience littéraire concernait Paris Match et Télé 7 jours, si je me souviens bien). Bref, c’est pour ça que je ne me vexe jamais si mes bouquins se font défoncer ou qu’on me rapporte des trucs genre « machin a dit que ton écriture, c’était de la merde », j’ai entendu tellement pire ! Je ne suis pas revanchard, il vaut mieux en rire, d’autant que ceux qui m’avaient snobé à l’époque m’ont depuis recontacté après avoir vu ma gueule dans Le Figaro ou Le Monde... mais bon, je n’oublie pas que, malgré tout, ces gens m’ont permis d’être publié pour la première fois. Bref, une expérience inoubliable, à plusieurs niveaux. Merci pour votre question, elle m’a permis de rendre hommage à Françoise Samson, la première éditrice à avoir cru en moi. 

 


Vous êtes un auteur touche-à-tout qui n’hésite pas à s’investir dans des thématiques diamétralement opposées. Vous avez connu le succès avec des polars sombres mais avez aussi brillé avec, entre autres, Jeudi noir, un récit documentaire sur le match mythique entre la France et la RFA en 1982. Comment parvenez-vous à choisir les thèmes de vos livres quitte à parfois réaliser un grand écart ?

 

Je ne pense pas avoir connu « le succès » avec ma trilogie et Jeudi noir, mais merci quand même ! Certes, je me suis fait repérer en 2013, avec le Prix de Beaune pour Sale temps pour le pays, et depuis, je trace ma route en fonction de mes envies. La plupart du temps, les thèmes s’imposent à moi : un moment, un reportage, une chanson vont me sensibiliser sur une problématique sociale, alors je me documente et je potasse un peu le sujet. S’il m’obsède, si je n’en dors pas, c’est que j’ai trouvé mon prochain bouquin. Ce côté « touche à tout », je ne l’ai jamais décidé, car je me suis toujours intéressé à des tas de sujets et ce, depuis l’enfance. Mes BD partaient dans tous les sens, mélangeaient les influences et les univers, de Spirou à Rahan en passant par les héros de Marvel. Au fil du temps et de mes parutions, certains ont fait de ma spontanéité une sorte de « spécialité » et ça me dépasse, c’est un peu comme si j’étais dépossédé de moi-même. En ce qui me concerne, j’ai le sentiment de rester sur mes rails. J’alterne les univers et les époques, mais j’ai toujours les mêmes obsessions : l’identité et l’influence de l’environnement sur l’individu.

 

 

Cette fois, vous revenez avec Power, un nouveau récit documentaire qui met en avant toute une page de l’Histoire contemporaine des Etats-Unis avec l’émergence du mouvement des Black Panthers. Quelles sont les raisons de ce choix ?

 

Le déclic a été l’album On the Corner de Miles Davis, sorti en 72. Un chaos funky et tribal qui m’a fait penser aux Black Panthers, du moins à ce que je croyais en connaître. Je me suis documenté, j’ai lu quelques trucs et très vite, j’ai accédé à plein d’infos qui allaient à l’encontre de l’image stéréotypée des « noirs assoiffés de sang » fabriquée par le FBI et Hollywood. Si j’aime autant écrire, c’est avant tout parce que j’aime apprendre, et le thématique des Panthers était un sujet en or : j’ai appris tellement de choses à leur sujet que j’ai voulu réhabiliter leur combat – sans en faire l’apologie – pour que les lecteurs, à leur tour, découvrent la réalité de ce pan de l’Histoire des Etats-Unis. 

 

 

Ecrit avec toute la tension et le rythme d’un roman, Power est une véritable plongée dans l’Amérique des années 60-70. Vous faîtes resurgir avec brio toute la tension de cette époque, une tension sociale mais aussi historique. Quel a été votre travail de documentation pour parvenir à écrire ce livre qui ne s’éloigne jamais de la réalité et des faits vécus durant cette période ?

 

Beaucoup de lectures, de documentaires, de recoupage d’informations. Puis, j’ai tout fait pour essayer de retranscrire l’énergie des années 60-70. Je ne les ai pas connues, mais l’image que je m’en fais est celle d’une époque frénétique faite de manifs, de musiques, de violences, de drogues et de sexe. Pour chaque page de Power, j’ai veillé à ce que mon style soit au service du récit, de ce bouillonnement permanent qui passait par les rassemblements et les réunions du BPP. Je voulais que les lecteurs, à travers les personnages principaux, ressentent l’aspect « collectif » du sujet.

 

Découvrez la chronique Lettres it be pour Power de Michaël Mention publié aux éditions Stéphane Marsan
Découvrez la chronique Lettres it be pour Power de Michaël Mention publié aux éditions Stéphane Marsan

Vous êtes-vous directement rendu aux Etats-Unis, au contact de celles et ceux qui ont vécu cette page de l’Histoire ?

 

Non. Pas besoin d’aller sur place, la documentation et le ressenti me suffisent. Le discours « Pour écrire mes bouquins, je suis allé à Leeds, à Darwin et à Los Angeles pour bien sentir les villes et les époques », c’est de la com’. J’ai écrit Sale temps pour le pays avant d’aller en Angleterre et quand j’y suis allé, c’était intéressant, parfois même émouvant, mais ça relevait de l’expérience personnelle. L’Amérique de Power, même si elle repose sur une documentation très dense, reste mon Amérique à moi, idem pour l’Australie de Bienvenue à Cotton’s Warwick ou la France de La voix secrète.

 

 

 

Le parallèle est vite fait entre votre livre et le dernier film à succès des studios Marvel, Black Panther. Déjà plus d’un milliard de dollars de recettes et une foule incroyable qui se presse dans les salles pour voir le film et ce héros de comics directement inspiré par le mouvement du même nom. Comment pouvez-vous expliquer cet intérêt encore actuel pour cette frange de l’histoire américaine ? Un passé qui n’est toujours pas révolu d’après vous ?

 

Le succès du film traduit l’ampleur de la demande du public afro-américain et je trouve ça très bien. On a tendance à oublier que Marvel a été un pilier de la contre-culture : alors que le gouvernement faisait tout pour nier la situation des afro-américains, les auteurs de Comics ont pris le relais pour mettre en images ce qui se passait à l’époque pour plusieurs communautés. Ils ont créé les personnages de Black Panther, Wonder Woman, etc… la bande dessinée, longtemps considérée avec mépris (comme le polar et le pulp), est souvent en prise directe avec la réalité sociale, contrairement aux « élites » qui nous dirigent. Mais bon, Black Panther reste un blockbuster qui repose sur l’éternel sujet de la puissance masculine… j’aurais préféré que le film Detroit ait autant de succès : là, ça aurait été un sacré signal envoyé à la présidence des Etats-Unis.

 

 

Plus largement, que pensez-vous des mouvements sociaux d’ampleur qui se développent en France actuellement, comme à Notre-Dame-des-Landes par exemple ? Faut-il y voir un quelconque lien avec les mouvements d’émancipation historiques tel celui des Black Panthers ?

 

Je pense qu’on arrive à un point de non-retour. Le libéralisme est de plus en plus vorace, il divise les citoyens (en particulier les plus pauvres), il fabrique de la concurrence, du rejet, du ressentiment au quotidien et induit donc tous ces mouvements sociaux que l’on observe un peu partout. Mais, en ce qui me concerne, je m’interroge de plus en plus : notre génération est celle qui digère les expériences passées. Angela Davis et d’autres militants ont connu une époque où plusieurs alternatives s’offraient à eux : face au capitalisme et sa déshumanisation, ils avaient l’option de la non-violence, de la violence, de l’autodéfense, de la stratégie médiatique, des communautés de pensées et de l’économie en circuit fermé… mais aujourd’hui, je ne sais plus trop quoi penser. Je comprends que certains détruisent des McDo et crament des bagnoles, mais je déplore ces actes puisqu’ils sont systématiquement utilisés par le « système », ce qui lui permet ensuite de décrédibiliser les revendications des manifestants dont je fais partie. Et le problème, c’est bien ça, aujourd’hui : voter ne sert plus vraiment à grand-chose, manifester non plus (exemple : loi travail), tout comme foutre le feu… bien des luttes ont été gagnées par la violence, mais elle est trop souvent récupérée à des fins politiques. Alors voilà, je m’interroge sur les nouvelles stratégies qui pourraient être mises en place pour vaincre intelligemment le libéralisme et je n’en vois pas à l’heure actuelle, ce qui me déprime souvent. Du coup, j’écris.

 

 

Déjà une idée pour votre prochain livre ? Quel grand écart nous réservez-vous cette fois ?

 

Le prochain est déjà terminé, je suis en train de le peaufiner. Il paraîtra chez 10-18 dans la collection Grands Détectives, sera centré sur Miles Davis et une période de sa carrière injustement méconnue. Ce sera un bouquin à la fois intimiste et déjanté, avec pas mal de parti-pris narratifs et stylistiques. Après Power, j’avais besoin de fantaisie, et de me livrer aussi. Ce bouquin sera très personnel, il y sera question de l’usure que je ressens parfois, de ce statut de « jeune espoir du polar » qui veut tout et rien dire… et quand j’aurais fini de le peaufiner, je me remettrai ENFIN à mon bouquin en cours, qui me manque de plus en plus. 


Questions bonus

 

Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Michaël Mention l’homme et Michaël Mention l’auteur :

 

Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
Moderne contre moderne, de Philippe Muray. Pour ne pas oublier le monde que j’aurais fui et me marrer comme un sale gosse à l’ombre d’un cocotier.

 

Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?
Magnolia, de Paul Thomas Anderson.

 

Le livre que vous aimez en secret ?
Aucun.

 

L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
Franquin.

 

L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?
Il y en a trop, impossible de n’en citer qu’un.

 

Vous ne devez écouter plus qu’une seule musique. Laquelle ?
Il y en a trop, impossible de n’en citer qu’une.

 

Votre passion un peu honteuse ?
Aucune. Il n’y a pas de honte à engloutir un énorme saladier « saucisson à l’ail-œufs-pommes de terre-ciboulettes avec beaucoup de vinaigrette ».

 

Le livre que vous auriez aimé écrire ?
Celui que je n’aurai jamais le temps d’écrire, car je mourrai avant. Dès l’instant où je débute un roman, j’ai l’angoisse que ça m’arrive… rupture d’anévrisme, infarctus… une saloperie qui laisserait le récit inachevé. C’est pour ça qu’à la fin de chaque bouquin, je ressens un immense soulagement : « ça, c’est fait ! »

Le livre que vous offririez à une inconnue ?
La chute, de Camus.

 

La première mesure du Président Mention ?
Faire du 17 janvier un jour férié pour qu’on célèbre, chaque année jusqu’à la fin des temps, la gifle reçue par Valls.

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