Retenue sur la liste des premiers romans candidats au Goncourt de la catégorie, session 2019, Prune Antoine n'a pas eu la chance d'aller au bout de l'aventure. Toujours est-il qu'avec L'heure d'été publié aux éditions Anne Carrière, l'auteure journaliste et reportrice de formation propose un excellent roman, dans la lignée des Despentes et autres Houellebecq. Lettres it be est allé lui poser quelques questions pour en savoir plus.
Bonjour et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Prune Antoine ?
Je suis une journaliste et écrivain qui vit à Berlin.
Comment est venue cette vocation pour le journalisme, cette envie de raconter, de donner à vivre les événements par la seule force de l’écrit ?
J'ai toujours adoré 1. lire, 2. les inconnus. Comme je suis plus curieuse qu'un flic, le seul métier qui me permettait de poser toutes les questions que je voulais à n'importe qui (sans passer pour une psychopathe), c'était le journalisme. Plus que les événements, c'était les gens qui me fascinaient. Qui sont-ils, que font-ils, que veulent-ils, comment vivent-ils ? Ce qui m'intéressait c'était d'aller à la rencontre d'univers différents pour, souvent, répondre à des questions que je pouvais me poser sur le monde.
Dans quels coins du monde votre métier a-t-il pu vous mener ? Quels sont vos meilleurs souvenirs ? vos pires souvenirs ?
J'ai beaucoup travaillé sur l'espace post-soviétique, de l'Europe centrale au Caucase, en passant par les Balkans. Une zone de fracture, de confrontation entre deux systèmes (capitalisme et communisme) qui, depuis la chute du Mur de Berlin et l'intégration européenne, vit une quête identitaire, confrontée à beaucoup de mouvements sociaux et politiques. Les sujets sur les femmes, les sociétés post-conflits et les questions européennes m'ont toujours intéressée. J'ai beaucoup vécu en Europe, en Angleterre, en Espagne, en Hongrie, en Belgique, je n'arrive plus à voir les choses sous un prisme national.
Toutes les rencontres que j'ai pu faire en reportage ont été magiques pour moi. Avoir la chance d'entendre des histoires incroyables, de rencontrer des gens improbables que l'on ne reverra jamais et qui s'ouvrent à vous, d'un coup. La vie et des milliers d'émotions condensées en quelques heures. Le pire souvenir : les arrestations et les interrogatoires par la police, en Tunisie en 2011, à Kaliningrad en 2015.
Et ce virage entre l’écriture journalistique et l’écriture romanesque, comment a-t-il été emprunté ? Tout naturellement ou avez-vous dû forcer votre nature pour vous détacher de ce rapport au réel ?
Cela a été une progression lente au fil des années. De petites brèves aux grandes enquêtes, du reportage d'immersion à la non fiction. Mon premier livre - sorti en 2015, La Fille & le Moudjhidine (éditions Carnets Nord) - raconte l'histoire d'une amitié entre une journaliste féministe et un jeune déraciné du Caucase Nord, expert en MMA, qui finit par se radicaliser. Les deux sont des étrangers dans une Allemagne en transition, confrontés à la question des racines et de l'identité dans une Europe en proie au terrorisme islamiste. Tout ce que j'y écris est rigoureusement exact, se base sur des faits réels, c'est un jeune homme que j'ai suivi pendant deux ans pour un projet de portrait magazine qui est devenu finalement un livre. Plus tard, quand j'ai compris que 1. je pouvais mentir sans avoir à me justifier auprès d'un affreux fact checker 2. écrire sur des trucs issus de mon imagination sans même sortir de chez moi, je suis passée à la fiction.
D’ailleurs, dans votre premier roman L’heure d’été, on se questionne parfois au cours de la lecture pour savoir si, finalement, cette histoire n’était pas la vôtre ? Alors, « Violette c’est vous » ?
On met de soi dans tous les personnages d'un roman. Le reste, on le pique aux amis, à la famille, au monde sous nos yeux.
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Un premier roman, très vite catapulté dans la liste des livres en lice pour le Goncourt du premier roman. Comment avez-vous vécu cela ?
Comme un merveilleux cadeau et un encouragement.
C’est un peu la tarte à la crème dès qu’un auteur s’embarque dans un style cru, froid, assurément cynique, acide mais réel. Le « nouveau Houellebecq », la « nouvelle Despentes » … Est-ce que ces auteurs ont pu vous inspirer dans l’écriture de votre roman ? Eux, ou d’autres ?
Le côté direct de Virginie Despentes, son écriture comme un crochet du gauche, son honnêteté, son regard acéré mais parfois tendre m'impressionne. J'aime quand il y a du rythme, de l'authenticité et un certain zeitgeist, ces écrivains bien ancrés dans un lieu et une époque. La liste des auteurs qui m'inspirent est infinie. Pour écrire, il faut beaucoup lire. J'aime beaucoup la littérature étrangère Philip Roth, Easton Ellis, Stephan Zweig, Chimamanda Ngozi Adichie, Lioudmila Oulitskaïa, Elif Shafak.... Je suis très sensible à l'humour : si je ne ris pas, c'est mal barré. J'ai besoin de sentir ces clins d'œil de l'auteur. Cette distance que l'on peut mettre entre soi et le monde me semble essentielle à une époque où tout le monde se prend tellement au sérieux, sur les réseaux sociaux, dans les médias... c'est assommant.
On pense à ces auteurs en vous lisant car votre style d’écriture semble s’en rapprocher. Un savant mélange de froideur, de cynisme, d’acidité, et une ironie mordante pour couronner le tout. Et pourtant, vous avez quelque chose de tout à fait personnel. D’ailleurs, on retrouve ce style tout à fait particulier en partie dans vos écrits journalistiques. Avez-vous tenté de bâtir un style spécifique, remodelé dans L’heure d’été ou est-ce que cela s’est fait naturellement, sans trop vous en inquiéter ?
Bizarrement, le style n'a jamais été une préoccupation chez moi. L'écriture vient assez spontanément, alors que la construction narrative, la progression de l'intrigue beaucoup plus de problèmes. Mais il n'y a aucun secret il faut retravailler énormément, phrase par phrase pour tenir le rythme, être encore plus pointu, améliorer la musique. Disons que le style que j'ai s'est affiné au fil de mes reportages/des années, plus on écrit - plus on coupe surtout - plus on s'améliore. Plus on sait observer, plus l'écriture percute.
Déjà une idée pour votre prochain roman ? Retrouvera-t-on un jour les personnages de L’heure d’été dans vos prochains livres ?
Pourquoi pas ? Jay Mc Inerney et sa trilogie new yorkaise qui suit l'évolution de Russel et Corine Calloway sur fonds de crash de Wall Street (Trente ans et des poussières), puis du 11 septembre (La Belle Vie) et enfin de la crise financière de 2008 (Les Jours enfuis) m'a beaucoup inspirée pour L'heure d'été.
Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Prune Antoine la femme et Prune Antoine l’auteure :
Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
Trilogie sale de La Havane de Pedro Juan Gutierrez.
Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?
J'essaie de me désintoxiquer des écrans.
Le livre que vous aimez en secret ?
Pourquoi en secret ? Madame Bovary.
L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
Nicolas Mathieu.
L'auteur que vous n'auriez pas aimé être ?
Proust.
Vous ne devez écouter plus qu’une seule musique. Laquelle ?
Le silence.
Votre passion un peu honteuse ?
L'amour est dans le pré.
Le livre que vous auriez aimé écrire ?
Toutes les femmes sauf une de Maria Pourchet.
Le livre que vous offririez à un inconnu/une inconnue ?
L'insoutenable légèreté de l'être de Milan Kundera. Et le théâtre de Sabbath, de Philip Roth.
La première mesure de la Présidente Prune Antoine ?
Prune Antoine a de trop forts penchants dictatoriaux pour être une présidente honnête.
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