Bonjour Sylvie Godefroid et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Que faisiez-vous avant d’écrire Hope publié chez Genèse Edition ?
Qui suis-je ? Votre question ouvre des portes derrière lesquelles se cachent des fenêtres… La question de l’identité occupe de nombreux écrivains et tant d’autres artistes, philosophes, sociologues… Qui suis-je ? Je n’en sais rien. Je crois que je suis un verbe éthéré dans une société de chiffres. Je suis une salsa dans les couloirs citadins d’une métropole cosmopolite au centre de l’Europe. Wallonne, je suis née à l’automne 1973 dans les coulisses du Pays Noir (Charleroi). Depuis plus de vingt ans, j’habite Bruxelles. Je suis tombée amoureuse de ses pavés, de son surréalisme exacerbé et de sa capacité à l’autodérision. Bruxelles vit, respire et palpite dans chacun de ses habitants. Au-delà de tout, je suis maman de deux merveilleux adolescents issus d’une double culture, un savoureux mélange entre les épices de l’Algérie et le spéculoos de ma belgitude. Je suis passionnée, étrange, biscornue, classique, effervescente et gourmande. Je suis contradictoire et rectiligne. Opiniâtre et fragile. Une femme qui s’interroge sur la féminité, qui appréhende le monde avec ouverture et bienveillance. Une âme qui aurait tendance à regarder le verre à moitié rempli plutôt qu’à moitié vide…
Hope est donc votre troisième roman publié chez Genèse après L’anagramme des sens et La balade des pavés. Pas trop difficile de trouver de nouvelles histoires à raconter, de nouveaux personnages à inventer ? Comment parvenez-vous à réinventer votre plume ?
Vous êtes très bien renseigné. J’ai eu la chance et le privilège d’une première aventure éditoriale avec Danielle Nees (Genèse) à l’heure de graver sur les pavés bruxellois une rencontre inattendue avec un crabe. Dans La Balade des pavés, Lola apprend qu’elle a un cancer. Un cancer de la féminité. En proie à une insomnie, elle part à la rencontre de sa ville et des gens qu’elle avait jusque-là oublié de regarder…
Notre collaboration – à Danielle Nees et moi - s’est bien passée. Je me suis attachée à la personnalité atypique de mon éditrice. J’ai appris à grandir dans le métier grâce à elle. L’idée d’une nouvelle aventure s’est alors rapidement installée et Hope est née.
Hope ? C’est une femme en proie aux dictats des apparences. Une femme qui n’a jamais été aimée, approchée, caressée, écoutée ou entendue. Le roman traite de la dérive d’un être humain quand il renonce, par choix ou par obligation, à sa part d’humanité.
Votre question sur la difficulté de tailler de nouvelles histoires ou de nouveaux personnages me parvient à l’instant où je dois faire le deuil de Hope. Le texte est écrit, le livre publié, il ne m’appartient donc plus. Il appartient aux lecteurs, au secteur du livre. Je suis pour l’heure orpheline de projet en cours. Je ressens donc un vide inouï, une fragilité inhérente à chaque fin d’écriture. Posez-moi la question d’ici quelques semaines et j’espère pouvoir vous dire que j’ai rencontré d’autres émotions, d’autres personnages, et une nouvelle histoire à écrire.
La place de la femme est très importante dans vos romans. Un choix qui s’est imposé naturellement à vous ou alors une volonté affirmée de votre part ?
Je suis de ces auteurs qui écrivent plus avec le ventre qu’avec la tête. Guimauve au-delà de ce que les mots peuvent exprimer, j’ai tendance à vouloir explorer le royaume des émotions plutôt que celui de la raison. Je veux dire qu’il n’y a pas de volonté affirmée d’imposer la femme comme pilier de mes romans. C’est juste que la question de la féminité me touche depuis ma plus tendre enfance. Je n’ai pas osé la femme en moi pendant près de quarante ans. J’avais une idée très précise de quelle femme j’étais en dessous de mes verrous, de mes peurs et frustrations, mais je n’osais pas être cette femme-là. Il a fallu un incident de parcours très grave, sous les traits d’une maladie, pour que je courtise la mort de près et que je naisse à ma féminité. A cet instant précis de ma vie, je me suis dit que je ne voulais pas mourir sans avoir été ce que je suis. De fil en aiguille, de mots ressentis en mots écrits, je me suis approchée du noyau qui me compose. Par extension, je réfléchis à la condition de la femme avec un grand F. Il y a tant de façons d’être femme aujourd’hui. L’endroit de naissance, l’époque, la condition sociale, le degré ou non d’instruction influent considérablement sur la façon qu’aura une femme d’être femme… En 2017, à Bruxelles, je n’ai pas à me battre pour mes droits de la même façon que mon arrière-grand-mère aurait pu le faire.
D’ailleurs, on sent vraiment que les thèmes de société ont aussi une grande place dans vos livres. L’écriture romanesque est-elle un moyen pour vous de dénoncer, de prendre position sur ces thèmes ?
Derrière la plume de l’écrivain s’agite un cœur ouvert à toutes les constatations. Je vois les mêmes choses que les gens qui m’entourent, je subis les mêmes pressions, les mêmes peurs. Tout comme chacun de vous, j’ai des rêves, des frustrations, j’ai connu des échecs et des joies. Comme tout le monde, je me sens impuissante face à la montée d’un radicalisme qui n’a rien de religieux (les gens qui croient prient, ils ne tuent pas), je vois le pouvoir de l’argent surpasser le pouvoir du partage, je vois des enfants reproduire des comportements de rejet, je vois les migrants souffrir de nos indifférences, je crains les attentats… Et je continue à aimer la vie. A aimer l’autre, celui qui a une peau plus foncée ou plus claire que la mienne, celui qui ne parle pas ma langue, qui ne pense pas comme moi. Je continue à dire que la différence nous enrichit. Ecrire, c’est mettre des mots sur tout cela. Je ne dénonce rien, je ne moralise pas, je ne conseille pas. Qui suis-je pour cela ? Je partage mon regard, ma vision. Je mets des mots sur ce qui bat tout en dedans de moi.
Des questions plus portées sur votre roman Hope maintenant.
Inévitable, le personnage d’Abdeslam fait forcément écho à Salah Abdeslam, membre du commando des attentats de Paris. Quel était votre but à travers l’écriture de ce personnage : une réhabilitation, une volonté de comprendre ce qui peut tous nous mener au pire (question qui est d’ailleurs au cœur de votre roman) ?
Abdeslam, mon Abdeslam, n’a pas le moindre point commun avec cet autre Abdeslam, ce garçon désœuvré qui a décidé de mettre sa part d’ombre au service de l’impensable. Mon personnage tire sa quintessence d’une magnifique rencontre que j’ai faite il y a près de quinze ans. En Belgique, on l’appelle Manza. Il existe, il existe tel que je parle de lui. C’est un artiste merveilleux. Si j’ai parlé de lui à travers les pages de Hope, c’est parce qu’il tient une place importante dans ma vie. Il s’est imposé au fil de l’écriture, il s’est invité dans mon récit. Ce personnage est lumineux, drôle, attachant. Dans le livre et dans la vie réelle. A côté de cela, il s’avère qu’il porte le même prénom que l’autre, celui qui a détruit, blessé, tué. Moi qui connais bien la culture magrébine, j’ai envie de dire, de montrer, la couleur et la saveur de ces autres Abdeslam, Mohamed, Zineb ou Aziza… Continuons à leur tenir la main, à partager un thé à la menthe, afin que nous puissions doucement faire reculer la haine.
Vos personnages font l’objet d’un travail d’écriture impressionnant. Tous sont très bien posés et font écho à une errance particulière. Vous êtes-vous inspirée de votre vécu ou n’est-ce là que de la pure imagination ?
Je suis enchantée que le travail fourni se remarque. Un roman, c’est un peu d’écriture, certes, mais c’est surtout beaucoup, beaucoup, beaucoup de réécriture. Tailler le texte, affiner l’idée, la soumettre autour de soi, écouter les critiques, accepter les faiblesses, se remettre en question, avancer, reculer, recommencer… Les personnages qui s’invitent dans mes romans partent toujours d’une rencontre. Je les ai croisés. Tous. Il y a une part de vérité, d’authenticité dans chacun d’eux. Après, le travail de l’écrivain consiste à y intégrer la fiction. J’annexe des éléments de fiction et je compose mes personnages avec le processus d’écriture.
Le choix d’écriture que vous faîtes en vous adressant directement au lecteur est déstabilisant au prime abord mais terriblement intéressant. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Je n’ai pas l’impression qu’il s’agisse d’un choix raisonné. L’utilisation de la première personne du singulier, celui de la confidence, du journal intime, tout cela tombait sous le sens. Hope a pu exprimer plus d’émotions, plus de paradoxes, que si son histoire avait été racontée à la troisième personne. Le lecteur se sent plus impliqué parce qu’elle s’adresse à lui. Elle lui parle. Elle se raconte à lui, il n’y a plus que Hope et celui ou celle qui la lit.
Votre écriture est originale, travaillée, percutante à souhait. Quels sont les auteur(e)s qui ont pu vous inspirer une telle plume aussi incisive ?
Il y a tant d’auteurs qui écrivent tellement bien. En Belgique, j’ai l’immense privilège de fréquenter de nombreux auteurs comme Barbara Abel, Patrick Delperdange, Nadine Monfils, Giuseppe Santoliquido… Ces plumes me touchent. Derrière le verbe, les hommes et les femmes qu’ils représentent m’émeuvent. Je n’essaye pas de ressembler aux auteurs que j’aime. Je n’aurais aucune chance d’y arriver. Je ressens et les mots s’assemblent. Je ressens et le texte devient. Je ne peux que me réjouir de savoir qu’en France, à Toulouse, quelqu’un pense que mon écriture est originale, travaillée et percutante… Je vous offre un café quand vous voulez !
La littérature belge est largement dominée dans les médias par Amélie Nothomb. Une bonne chose selon vous ?
Que vous répondre ? Amélie Nothomb touche un large public, comment ne pas être fière de son parcours ? Est-ce une bonne chose ou pas ? Qui suis-je pour en décider ? J’aime savoir que dans le vaste domaine de la littérature, chaque lecteur a la possibilité de découvrir de nouvelles plumes en continuant à aimer celles d’avant. Puisse Amélie continuer encore très longtemps à satisfaire son public !
Déjà une idée pour votre prochain roman ?
J’y travaille, je lis, je me renseigne et il y a beaucoup de chances que je change encore mille fois d’avis avant de me lancer à l’assaut d’une nouvelle idée !
Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Sylvie Godefroid la femme et Sylvie Godefroid l’auteure.
- Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
Robinson ? hahaha !
- Le livre que vous aimez en secret ?
Il n’y a pas de livre que j’aime en secret. Je suis un livre ouvert. Je ressens, je dis. En revanche, je suis occupée sur une lecture d’un genre particulier. On m’a offert ce livre en mettant l’accent sur l’audace de l’auteur. Il s’agit du livre de Catherine Millet, La vie sexuelle de Catherine M.
- Le livre dont vous ne comprenez pas le succès ?
De quel droit ne comprendrais-je pas le succès d’un livre ? Je serais bien prétentieuse si tel était le cas. Je suis ravie que certains livres dont je ne comprendrais pas le sens parviennent quand même à toucher un large public.
- L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
Je ne bois pas de bière. Et, petit secret entre nous, je ne mange pas de moules non plus. En revanche, je bois régulièrement des mojitos avec Barbara Abel et Patrick Delperdange…
- L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?
Je ne voudrais pas être quelqu’un d’autre que moi. J’ai mis trop d’années à m’accepter. Aujourd’hui, je veux assumer pleinement qui je suis et ce privilège d’être en vie.
- Un livre dont vous ne comprenez pas l’impopularité ?
Aucun livre ne me vient à ce moment précis.
- Votre passion un peu honteuse ?
Est-ce que la gourmandise est une passion honteuse ? Je suis passionnée par tant de choses ! Est-ce qu’aimer les karaokés et la chanson française est une passion honteuse ? J’aime aussi les baisers langoureux qui n’en finissent pas. Honteux ? Je vais m’arrêter ici, non ? ;-)))))
- Le livre que vous offririez à un inconnu ?
Hope ?
- La première mesure de la Présidente Godefroid ?
Je ferais du café à la mousse de lait une obligation nationale !
- Ecrire : tard la nuit ou tôt le matin ?
La nuit à la lueur des quelques bougies
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LeBelgeQuiLit (vendredi, 02 mars 2018 07:39)
Très belle interview.
Mais...si on est sur une île déserte, elle est plus déserte, si ?