Vies déposées, le premier roman de Tom-Louis Teboul, avait été un véritable coup de coeur du côté de Lettres it be. Nous en avons profité pour poser quelques questions au jeune auteur qui nous en a dit plus sur cette histoire, sur son histoire.
Bonjour et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Tom-Louis Teboul ? Que faisiez-vous avant de vous tourner vers l’écriture ?
Bonjour, merci pour cet entretien. J’ai toujours écrit, depuis que je suis tout jeune, les histoires, les mots, les phrases ont toujours été prégnants. Il y a 5 ans, lorsque je me suis lancé dans la rédaction de Vies déposées, l’écriture a progressivement occupé une dimension gigantesque dans ma vie.
Qui je suis ? Un jeune français trentenaire qui râle beaucoup, qui s’indigne beaucoup et qui aime beaucoup.
Les éléments que l’on peut trouver sur votre biographie font de vous un personnage peu commun. Vous avez d’abord été avocat puis membre actif d’Emmaüs. Vous avez aussi vécu plusieurs années du côté du quartier de la Goutte-d’Or à Paris. Comment ce chemin vous a-t-il mené vers l’écriture ? Une envie de raconter votre vécu à travers la fiction ?
J’ai été avocat au Barreau de Paris durant deux ans. Ensuite, de par mes convictions, il m’apparaissait naturel de m’orienter vers l’économie sociale et solidaire (c’est d’ailleurs un peu à la mode, nous sommes nombreux à vouloir rejoindre l’ESS en pensant que cela va redonner du sens à notre travail). J’ai rejoint Emmaüs Connect, association du réseau Emmaüs France, comme Responsable du développement et des partenariats.
J’ai vécu 5 ans à la Goutte d’Or. J’ai adoré ce quartier. Son effervescence. Mais il y a aussi une violence singulière qui saute aux yeux et qui dérange (par exemple la prostitution jour et nuit de très jeunes femmes africaines rue Marcadet).
Le livre est une fiction. Mes personnages sont fictifs, même si, beaucoup des actions décrites dans ce livre sont des évènements que j’ai observés. Dès que vous portez attention, dès que vous regardez un peu mieux ce mur, vous vous rendez compte qu’en bas de ce mur, il y a un homme qui ronfle sur une maison de carton, qu’il y a un monde invisible que nous ne voulons plus le voir.
Ce qui m’a poussé à écrire sur la grande exclusion est la honte que j’ai ressentie lorsque je me suis rendu compte que le sort de ces individus ne me choquait plus autant. Ils m’agaçaient presque parfois. Je commençais, comme tout Parisien en construction, à fermer les yeux, à m’accommoder de cette misère. Et j’en ai eu une honte.
Dans votre premier roman, Vies déposées publié au Seuil, vous racontez l’existence de trois personnages que la société à mis un peu de côté, trois « clodos » atroces et attachants, chacun pour leurs raisons. Comment êtes-vous parvenu à construire ces différents personnages sans tomber dans la caricature ou le pathos ?
L’écueil que je voulais absolument éviter était de construire des personnages héroïques, « romantiques », ayant choisi de vivre « libres ». Je voulais que mes personnages soient fidèles à ce qui se déroule sous nos fenêtres. C'est-à-dire des individus attachants, souvent sales, dont certains peuvent être fous, alcooliques parfois, violents, incompréhensibles, car loin, très loin de ce plateau social dans lequel nous sommes censés nous comprendre. Cela n’avait aucun sens de conférer une dimension pathos à mes personnages.
Les deux amis masculins étaient une évidence. Vous observez souvent ce couple d’amis, ne serait-ce que d’un jour, qui se serrent les coudes et se partagent leur rouge et les clopes. Je voulais absolument une femme dans mon récit. Car les femmes sont de plus en plus nombreuses à vivre dans la rue. Ce phénomène est malheureusement en expansion.
Pourquoi avoir voulu raconter la réalité de cette misère sociale, la rudesse de ces existences bien trop passées sous silence ?
D’abord, il y avait cette raison bien égoïste de ma part de vouloir conjurer ma honte. De pouvoir me laver les mains et me dire qu’à travers ce récit, dans un sens, j’avais fait ma part.
Mais en réalité, ce qui m’a toujours percuté est comment pouvons-nous accepter qu’un pays laisse mourir ses marginaux ? La thématique de la grande exclusion est une peur partagée par beaucoup de personnes que j’ai rencontrées. Cette peur de la chute et de ne plus disposer assez de forces pour remonter à la surface. Plus que la rudesse, c’était bien la chute que je voulais raconter dans mon livre. La chute peut concerner à tout le monde.
J’ai également ressenti le besoin d’écrire sur la grande exclusion lorsque j’entendais des conneries telles que : « si je donne à lui je dois donner à tout le monde », « je ne lui donne pas d’argent pour qu’il s’achète de l’alcool », « il n’a qu’à chercher du boulot, quand on veut on peut » ; « moi je ne donne pas mais je leur souris ». Lorsque j’entends cela, il m’est difficile de ne rien dire.
A ce titre, pensez-vous qu’il soit du ressort du roman de prendre sous le bras la réalité et permettre une mise en lumière différente ? Faut-il voir une visée sociale et/ou politique dans votre livre qui dépasse celle du récit ?
Je n’ai pas écrit ce roman pour lancer une prise de conscience (qui existe déjà d’ailleurs). Mais oui, notre devoir est de ne pas oublier qu’aujourd’hui, encore, des êtres humains, des clochards, des toxicos, des migrants, des fous, des prostitués, des solitaires, des gamins, meurent à l’air libre et très seuls. Il y a aussi ces bidonvilles qui longent les périph parisiens.
Si Vies déposées permet que les personnes s’engagent davantage contre l’exclusion et la précarité alors j’en serai ravi. Il existe des milliers d’initiatives humaines dans l’ensemble du territoire qui me remplissent d’espoir. Quant aux politiques, on se dit qu’il faudrait réunir ceux qui dorment dehors en syndicat pour qu’enfin on s’occupe davantage d’eux. Les politiques menées sur la grande exclusion ne sont que des politiques du court terme, des politiques de survie. Il faudrait du courage pour que la classe politique se décide à aider ceux qui ne relèvent pas de son électorat.
Au fil des pages, vous faites se confronter la misère sociale avec un humour burlesque surprenant. Pourquoi ce choix de mêler des registres que tout semble opposer ?
L’humour dans un roman est très important. Pour Vies déposées, le burlesque permet de souffler un peu, de sortir de cette odeur de trottoir qui flotte à travers les pages et de donner envie de continuer. J’adore les passages de romans, il y en a peu, où je me mets à sourire. C’est tellement dur de provoquer l’humour à travers la littérature.
Le burlesque c’est une facette de la vie auquel nous ne pouvons échapper. Il y a des acteurs, des drôles, des clowns partout, même dans les égouts, même parmi les drogués. L’être humain est burlesque d’abord et avant tout parce sa démarche de bipède et son balancement d’épaule le déséquilibrent en permanence. Nous sommes burlesques malgré nous.
Kerouac et ses Clochards célestes, toute une frange de la Beat Generation … On ne peut pas s’empêcher de penser à de nombreuses références du genre à la lecture de votre livre. Quelles sont celles qui ont pu vous guider durant l’écriture de Vies déposées ?
Kaputt de Malaparte sans aucun doute pour sa manière de décrire la Guerre, les diners diplomatiques et les couchers de soleil.
Les naufragés de Declerk qui a été une bible pour ce livre.
Déjà une idée pour votre prochain livre ?
Oui et je vous en parlerai. Promis !
Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Tom-Louis Teboul l’homme et Tom-Louis Teboul l’auteur :
Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
La Recherche, de Proust, j’aurai normalement le temps de le lire.
Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?
Aucun.
Le livre que vous aimez en secret ?
Réparer les vivants de Maylis de Kerangal
L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
Un auteur drôle et sympa, si cela existe.
L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?
Plein. Mais je ne donnerai aucun nom !
Vous ne devez écouter plus qu’une seule musique. Laquelle ?
Dance me to the end of love de Leonard Cohen
Votre passion un peu honteuse ?
L’ivresse.
Le livre que vous auriez aimé écrire ?
Les bienveillantes de Jonathan Littell.
Le livre que vous offririez à une inconnue ?
Peut-être que je lui offrirai le mien.
La première mesure du Président Teboul ?
2 mesures : offrir un droit de rêver à autre chose qu’à son travail et l’euthanasie active, car il n’y a rien de plus hypocrite que de laisser les personnes mourir dans une souffrance inimaginable sous réserve d’on ne sait quelle « culture à la vie » ridicule.
La véritable transition écologique également…
Tout semble prioritaire tant l’humain m’apparaît sorti des enjeux politiques.
Écrire commentaire
Angelini (jeudi, 03 janvier 2019 17:20)
Livre émouvant fabuleux tristesse et humour malgré toute cette noirceur qui plombe la vie de certains humains. Quel talent !! Merci à mon petit fils, Axel, qui m'en a recommandé la lecture.