Victor Pouchet publie son premier roman "Pourquoi les oiseaux meurent" chez Finitude. Un véritable succès en librairie pour un roman empreint de poésie et de passion pour l'écriture. Interview de celui qui, en parallèle à ses activités de critique littéraire et d'enseignant en littérature, se distingue désormais dans l'écriture.
Bonjour Victor Pouchet et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Victor Pouchet ? Que faisiez-vous avant d’écrire ce premier roman Pourquoi les oiseaux meurent publié chez Finitude ?
Je peux vous dire très vite ce que je faisais et fais de mes journées : je lis des livres. Pour les enseigner à des jeunes gens d’abord, pour inviter leurs auteurs à la Maison de la poésie à Paris où je suis programmateur ensuite, pour me délasser des autres lectures et essayer d’en écrire d’autres enfin. Il arrive que ce soit les mêmes livres, mais pas toujours. J’ai beaucoup de chance. Parfois, je mets un peu de musique.
Pourquoi avoir voulu franchir le Rubicon des lettres et vous faire, à votre tour, écrivain ?
Ça m’a semblé un bon moyen pour essayer d’éclaircir et d’obscurcir un peu quelques situations de l’existence, et leur donner une forme qui me convenait bien. Bernard Frank ajoute : « On écrit souvent son premier roman pour dire que quelque chose n’allait pas et qu’on n’était cependant pas coupable. » Je suis innocent, votre honneur.
De fait, arrivez-vous à écrire sans penser à tout ce que vous avez pu reprocher à d’autres romans dans vos critiques ?
J’écris nourri par des admirations, des colères, des sentiments de fraternité et de distance. Mais avec l’espoir de faire autre chose que ce qui a été déjà fait. J’ai écrit (un peu seulement) quelques critiques sur des livres avec lesquels je ressentais le plus souvent une grande affinité, qui pouvait être liée aussi au fait que je n’y comprenais pas grand-chose.
Passons maintenant à votre livre Pourquoi les oiseaux meurent : le personnage principal porte votre nom. A ce titre, vous inscrivez-vous dans l’autofiction, l’autobiographie, la fiction pure ?
Aucun des trois, mon capitaine. Le nom du narrateur apparaît en effet dans le roman, à la faveur de plusieurs coïncidences d’une enquête qui se transforme peu à peu en une quête plus intime, sur l’origine et la filiation notamment. Cependant, son prénom n’est pas donné : c’est un Pouchet sans prénom fixe, ce qui me permet (c’est peut-être lâche, mais tout de même) de laisser entendre une proximité avec l’auteur, mais imparfaite, peut-être imaginaire, en tout cas reconstruite. Ce trouble me plait et explique un peu le rapport aux faits réels qui m’a guidé dans l’écriture du livre. Comme le dit quelque part Stendhal, qui savait que tout est plus chic en anglais : the imagination alone is impossible. Les pluies d’oiseaux morts ont bien eu lieu. Toutes les anecdotes que je raconte dans le livre, depuis les pigeons kamikazes rêvés par un ingénieur au service de l’armée américaine jusqu’à la grande campagne de Mao pour exterminer dix millions de moineaux friquets en 1958 sont vraies, etc. (j’aurais été à vrai dire incapable d’inventer des histoires aussi invraisemblables). Mais la fiction vient se mêler à ces faits attestés, pour les recharger, les relancer, leur donner de la force. Et inversement. Il me semble qu’on a besoin à la fois de science et de magie, de fiction et de réalité, et on passe ainsi nos vies réelles à raconter des histoires. C’est un constat de lecteur : il est des contes de fées bien plus « réalistes » que pas mal d’autofictions.
Des oiseaux qui tombent du ciel. Châtiment divin, suicide animal collectif, déchéance des espèces, planète en danger … Difficile de trouver la bonne interprétation derrière cet évènement au cœur de votre livre. Des explications pour nous mettre sur la piste ?
Cette difficulté à interpréter ce phénomène lance toute l’enquête de ce livre, et quelques-unes des pistes que vous évoquez sont en effet explorées par le narrateur. Le réel résiste sacrément, la lumière totale est difficile à faire, les questions appellent d’autres questions, et tout ça nourrit le parcours du livre. Il faut de l’obscurité pour que le narrateur puisse allumer sa lampe frontale : suivons-le aveuglément, c’est le seul qui a les yeux ouverts.
Certains personnages de votre livre sont de vraies figures, captivantes, parfois touchantes. Vous êtes-vous inspiré de vos proches ou de vos différentes rencontres pour dépeindre ces personnages ?
Certains des personnages me sont pour ainsi dire tombés dessus. Le réel (qui résiste) est parfois généreux, si on est disponible pour ses offrandes. Madeleine par exemple, je l’ai véritablement rencontrée par hasard dans la cathédrale de Rouen. Elle vociférait dans les allées, et j’ai passé plus d’une heure avec elle, je l’ai enregistrée, je voulais retenir ses mots, et l’usage très particulier qu’elle avait du langage. Je savais presque directement qu’elle allait être un personnage de roman. Elle avait déjà en elle quelque chose de fictionnel, d’épique. D’autres venaient de plus loin : c’est le cas pour Cheval blanc. Je le connais depuis des années, c’est un ami, et un chanteur que j’admire énormément. Il a aussi quelque chose de déjà romanesque, c’est une forme de poète rimbaldien bouleversant, excessif et fragile. Je suis très heureux d’avoir pu le faire apparaître dans le roman, de lui offrir cette place de pianiste à bord du Seine Princess, et qu’on entende quelques-unes de ses chansons.
Dans beaucoup de critiques, votre livre est défini comme un « river-trip normand ». Doit-on trouver une inspiration à votre livre du côté du road-trip américain, cette quête de soi sur la route ?
Eh bien, je ne connais qu’un peu cette littérature, mais je n’y ai pas vraiment pensé en écrivant le livre. Les paysages sont très normands, mais le livre est porté par un esprit d’aventure en effet. Le personnage se laisse prendre par la route, qui est une rivière en effet, et recherche à l’évidence quelque chose de lui-même tout comme à s’inventer une autre vie. Un grand nombre d’aventures sont des retours et des échappées dans le même temps, et nous ne sommes sans doute que les descendants maladroits d’Ulysse.
Déjà une idée pour votre prochain roman ?
Oui, le problème, c’est qu’il en faut plusieurs, et pas trop à la fois, pour que ça marche. Ce sera un roman assez différent, par sa géographie, sa structure, ses personnages. Si tout va bien, il se passera dans les montagnes corses, ce qui appelle un tout autre paysage fictionnel que les rives brumeuses de la Seine.
Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Victor Pouchet l’homme et Victor Pouchet l’écrivain
- Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
Le un peu est très joli (et rassurant), on dirait une définition de la vie : une île un peu déserte où il y a parfois beaucoup de monde.
- Le livre que vous aimez en secret ?
Je ne suis pas très secret en matière de littérature, je vous fais visiter ma bibliothèque quand vous voulez.
- L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
Berthet, Saint-Augustin, Homère et Stevenson. Je paye la tournée, à la vôtre.
- L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?
Tous les auteurs très sérieux qui parlent très sérieusement des choses sérieuses et non-sérieuses.
- Un livre dont vous ne comprenez pas l’impopularité ?
C’est déjà un long chemin d’essayer de comprendre ce qui nous plait dans ce qui nous plait. Lisez la poésie de Georges Perros, si ça vous dit.
- Votre passion un peu honteuse ?
Que vient faire la honte dans tout ça ? Je collectionne les annonces pour les marabouts et guérisseurs qu’on distribue dans mon quartier.
- Le livre que vous offririez à un inconnu ?
Daimler s’en va, de Frédéric Berthet.
- La première mesure du Président Pouchet ?
Que le Ciel me préserve de me présenter à de tels suffrages.
- Ecrire : tard la nuit ou tôt le matin ?
Ça m’arrive parfois même vers quatorze heures trente.
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