Interview de Fabrice Papillon ("Le Dernier Hyver" publié chez Belfond) : "Je voulais vraiment créer quelque chose de nouveau"

Le Dernier Hyver est le premier roman de Fabrice Papillon publié chez Belfond
Le Dernier Hyver est le premier roman de Fabrice Papillon publié chez Belfond

 

Le Dernier Hyver avait capté toute l'attention de Lettres it be. Un thriller rondement mené, à travers les époques, et qui mêlait nombre de thématiques avec brio. Nous avons échangé un peu avec son auteur, Fabrice Papillon, pour en savoir plus sur ce livre.

Bonjour et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Fabrice Papillon ? Que faisiez-vous avant de publier votre premier roman chez Belfond, Le Dernier Hyver ?

 

Bonjour et merci pour cette interview ! Avant d’écrire et, tout en écrivant, j’étais et je reste journaliste scientifique et producteur de documentaires scientifiques. Les films que je produits sont essentiellement diffusés sur ARTE, France 5 ou encore France 2. Ce sont des films qui connaissent une belle carrière internationale, car ils traitent de sujets qui nous concernent tous. Un exemple : « Bébés sur mesure », qui parle de procréation et de la révolution technologique de la procréation médicale (thème qu’on trouve aussi dans mon roman). Ce long documentaire de 90 minutes, que j’ai co-écrit, a été diffusé sur ARTE à 20h30 un mardi soir, mais aussi sur la NHK (la grande chaine nationale du Japon). Il a même fait la meilleure audience de l’année à cet horaire.

 

 

Alors que vous avez exercé plusieurs professions différentes et que vous avez un profil résolument scientifique grâce auquel vous avez pu écrire et participer à la rédaction de plusieurs essais du genre, qu’est-ce qui a pu vous pousser vers l’écriture et la fiction ?

 

En fait je suis un hybride, presque schizophrène ! Mais je me soigne… Je suis un vrai littéraire de formation (classes préparatoires littéraires, études d’histoire et de philo) et j’ai débuté comme journaliste « classique » à la rédaction d’Europe 1. Mais rapidement, j’ai rencontré celui qui est devenu mon mentor, le généticien Axel Kahn, avec qui j’ai écrit plusieurs livres sur la génétique, la bioéthique etc. L’approche philosophique et les racines historiques des grands bouleversements scientifiques m’ont progressivement guidé vers la science « dure ». Et là, j’ai dû apprendre, beaucoup ! Surtout pour écrire des essais documentés sur le sujet ou des films scientifiques de longue haleine. Donc cette double identité, ce métissage intellectuel, m’a toujours porté à voir la science de manière décalée. Et comme je suis un gros lecteur – notamment de polars, thrillers, après une longue période classique – j’ai voulu m’amuser un peu. Et surtout divertir les lecteurs ! Leur faire profiter de 20 ans d’enquêtes dans le milieu scientifique, mais aussi mon expérience d’historien, pour imaginer une histoire hybride (encore !) entre science – polar – histoire. Je me suis vraiment bien amusé. Et j’avoue que j’ai voulu aussi distiller de nombreuses connaissances au lecteur, pour qu’il se cultive tout en se divertissant.


Dans votre livre Le Dernier Hyver, vous mêlez dans votre intrigue des éléments scientifiques, sociaux, des éléments historiques etc. Comment s’est passée l’écriture de votre livre ? Quelle a été votre méthode pour réussir à ne pas vous perdre dans cette somme de références et d’éléments à imbriquer les uns aux autres ?

 

Cela n’a pas été simple. Mais j’ai une rigueur intellectuelle qui remonte à mes études supérieures. Et aussi à la pratique du métier de journaliste qui doit traiter une grande quantité d’informations en souvent peu de temps, pour en faire une synthèse exacte et honnête. J’ai donc utilisé mon gros appétit de lecteur pour me plonger dans de nombreux ouvrages, dossiers, archives historiques etc. J’ai aussi enquêté longuement auprès des vrais acteurs du présent qui sont évoqués dans le livre (police scientifique, ingénieurs, médecins etc.). Et puis j’avais au fond de moi l’intrigue, qui se tissait tranquillement depuis de longs mois, inconsciemment. Jusqu’à ce qu’elle se révèle comme une évidence. Ensuite j’ai assemblé les pièces du puzzle, et j’ai mis mes connaissances, enquêtes, lectures, au service de l’intrigue.

 

 

A la lecture de votre ouvrage, on pense évidemment à de nombreux auteurs qui s’amusent aussi à jouer avec les époques, les contextes et les références (Dan Brown évidemment mais aussi Glenn Cooper et bien d’autres). Pourquoi avoir voulu en faire de même pour votre premier roman ? Pourquoi une telle prise de risque ?

 

Je ne voulais pas paraître « banal », classique. Même les auteurs que vous citez (des géants adulés par le public) ne sont pas allés jusqu’à proposer formellement de vrais chapitres 100% historiques logés au cœur d’une intrigue 100% au présent (et même parfois légèrement dans le futur). Comme autant d’indices livrés aux lecteurs que les enquêteurs, eux, ne peuvent pas connaître. Je voulais créer l’effet du puzzle en montrant comment les événements tragiques du présent puisaient leurs racines à travers de nombreux épisodes qui avaient traversé l’histoire. Et j’ai voulu jouer avec des styles radicalement différents : résolument modernes (parfois très familiers) au présent ; et beaucoup plus classique au passé. Quitte à recourir au subjonctif imparfait, c’était classique à l’époque ! Donc la plupart des auteurs utilisent des connaissances historiques et scientifiques, mais les distillent dans un seul temps (le présent). Ou alors il existe (d’excellents) polars purement historiques, comme ceux de Jean d’Aillon. Je voulais vraiment créer quelque chose de nouveau. Que cela marque ma différence. Alors bien sûr, cela a demandé énormément de travail, de recherches.

Découvrez la chronique Lettres it be pour Le Dernier Hyver de Fabrice Papillon publié chez Belfond
Découvrez la chronique Lettres it be pour Le Dernier Hyver de Fabrice Papillon publié chez Belfond

Dans votre livre, les lieux que vous décrivez sont très parlants, le lecteur sait tout de suite où il se trouve (dans le métro, un hôpital etc.) Avez-vous tenu à découvrir ses différents endroits au plus près pour écrire votre livre et offrir un tel rendu ?

 

Oui absolument : j’ai été accueilli par les professionnels de la police scientifique, des galeries souterraines de Paris, de la médecine légale, de la médecine d’urgence, de la police judiciaire etc. J’ai visité de nombreux lieux secrets ou interdits au public. Cela a constitué une expérience fabuleuse. J’étais plongé au cœur de leur pratique, de leur jargon, ce qui m’a permis, je crois, de conférer une impression très réaliste aux chapitres du présent.

 

 

 

 

L’une des grandes forces de votre livre est la façon avec laquelle vous abordez la question du féminisme, par le moyen détourné de la fiction évidemment, mais en ne plaçant jamais vraiment le curseur entre le rôle de victime et celui de coupable. Parce que ce sujet est plus que jamais d’actualité, comment Le Dernier Hyver peut-il être lu pour éclairer les problématiques récentes ?

 

Absolument, le féminisme traverse mon roman, même si le lecteur ne le découvre que très progressivement. On ne se refait pas : écrire simplement pour distraire ne m’aurait pas satisfait. J’ai voulu partager des connaissances, et aussi, en effet, partager des convictions. J’ai écrit bien avant l’affaire Weinstein, mais mon roman a paru en plein scandale. Et il a d’ailleurs été parfois remarqué du fait de ce contexte, comme une sorte de « solution radicale » aux problèmes du moment. Je voulais rendre hommage aux femmes, leur offrir en quelque sorte une revanche après 2500 ans de joug masculin. Mais comme rien n’est simple, et que les apparences sont souvent trompeuses, les femmes ne sont pas toujours les victimes… Elles ont aussi leur part d’ombre, voire leur noirceur profonde. J’ai donc voulu susciter une réflexion sur cette dualité, cette ambiguïté. Et proposer une fin, disons, définitive, et radicale. J’ai voulu respecter la tradition de la tragédie grecque, qu’on sent planer souvent sur le livre.

 

 

Déjà une idée pour votre prochain ouvrage ? Toujours dans la même veine ou faut-il attendre de nombreux changements à l’horizon dans votre écriture ?

 

Je suis déjà plongé dans mon second roman (en pleine élaboration du plan et de l’enquête). Je pense conserver les mêmes ressorts, alternance de chapitres historiques et d’enquête bien présente. Je pense que l’histoire va nous embarquer plus loin encore (dans l’espace et dans le temps). Avec des conséquences pour toute l’humanité, comme dans le dernier hYver. On ne se refait pas !


Questions bonus

 

Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Fabrice Papillon l'auteur et Fabrice Papillon l'homme :

 

- Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?

Robinson Crusoé de Daniel Defoe, histoire d’avoir le mode d’emploi pour m’en sortir ! Bon, pour être honnête, j’habite déjà une île presque déserte (sauf l’été) : je vis en Corse.

 

- Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?

Le Magnifique avec Jean-Paul Belmondo. Je comprends ô combien cet écrivain qui fulmine de son présent médiocre, et qui se réfugie dans son personnage à la James Bond pour vivre, par procuration, des scènes d’action et d’amour incroyables… Et qui n’hésite pas à exécuter son plombier sur une plage (dans son livre), quand celui-ci ne répare pas sa baignoire (dans la vraie vie) !

 

- Le livre que vous aimez en secret ?

Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline. Ce livre a changé ma vie, ma perception de la littérature. Je l’ai lu adolescent, et j’ai compris que j’allais sans doute écrire, plus tard. Que ce serait vital.

 

- L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?

Pierre Lemaitre. Maître du polar, et en même temps, écrivain brillantissime lauréat du Goncourt… What else ?

 

- L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?

Sans hésiter Charles Maurras. Quand je lis ses écrits antisémites, j’ai envie de vomir. Vous allez me dire que Céline ne valait pas beaucoup mieux pendant la guerre. Mais il y avait eu un « avant ». Et c’est pour cela que Voyage au bout de la nuit est un livre que je ne puis aimer qu’en secret… La dualité, toujours…

 

- Ecrire en écoutant une musique. Laquelle ?

Miles Davis. Le maître incontesté du jazz. Mon modèle, mon idole.

 

- Votre passion un peu honteuse ?

Regarder des séries en rafale, sur Canal ou Netflix.

 

- Le livre que vous auriez aimé écrire ?

Le nom de la rose d’Umberto Eco. J’ai voulu distiller une atmosphère semblable à celle de cet immense ouvrage dans mon roman – dans lequel on retrouve d’ailleurs des moines copistes affairés en leur abbaye.

 

- Le livre que vous offririez à un inconnu ?
Le Dernier Hyver bien sûr ! Et si je n’ai pas le droit, Quattrocento de Stephen Greenblatt, récompensé par le Prix Pulitzer. C’est ce livre qui a provoqué le vrai déclic et m’a permis le passage à l’acte de l’écriture de mon premier roman.

 

- La première mesure du Président Papillon ?

Créer une sorte de « service citoyen littéraire ». Pendant 1 an, vers l’âge de 18 ans, vous êtes obligé de lire, toutes sortes de livres, toutes les littératures, toutes les nationalités. C’est plus sexy que le service militaire, non ? Et cela suscitera sans doute des milliers de vocations, loin des tablettes et des smartphones.

 

 

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