Lettres it be s'était extasié pour le dernier album de Jacques Terpant, réalisé avec Jean Dufaux. Le chien de Dieu retraçait la vie de Louis-Ferdinand Céline de façon remarquable. Nous en avons profité pour poser quelques questions au dessinateur de ce superbe ouvrage et en savoir davantage sur sa démarche, ses envies d'artiste etc.
Bonjour et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Jacques Terpant ? Que faisiez-vous avant de vous lancer dans le dessin ?
Il n'y a pas d'avant en fait... ma génération est celle de la bande dessinée, nous avons grandi avec.
Par rapport à l'art de cette époque, les années 60-70, Art qui avait abandonné le dessin, la BD fut son refuge et c'est pour cela qu'elle fut grande au 20ème siècle. Pour un enfant qui dessinait, ce qui était mon cas, le dessin c'était donc de la BD, la ligne fut droite, après le bac, les Beaux-Arts, et en dernière année d'études, avec deux camarades nous étions dans Métal Hurlant. Le parcours après fut plus sinueux, la pub nous a happés parfois pour des périodes un peu longues. Je me suis d'abord vu comme dessinateur et rien d'autre, puis tardivement j'ai vu que ce travail d'exécutant ne me satisfaisait plus, et j'ai écrit mes propres scénarii.
En 2011, vous avez reçu le prix Saint-Michel du meilleur dessin pour votre ouvrage Sept cavaliers. Comment avez-vous vécu cette reconnaissance ? N’est-ce pas une pression supplémentaire dans l’élaboration de vos nouveaux ouvrages ?
Sept cavaliers c'est justement cette période où je décide de travailler seul et où j'adapte ce livre de Jean Raspail. Le succès de ces trois titres m'encourage bien sûr, mais dans le dessin il n'y a pas de satisfaction à avoir fait, un livre qui sort, pour moi, ce n'est pas un plaisir, c'est le brouillon décevant de ce qui a été rêvé, le miracle de la création, c'est que la déception chronique n'altère pas, le plaisir de faire, c'est faire qui est important, avoir fait est décevant, donc les prix et autres ne sont guère crédibles, nous savons au fond de nous que nous sommes des imposteurs.
Par le passé, vous avez déjà été amené à illustrer des textes littéraires et aussi certains romans de Jean Raspail. Qu’est-ce qui vous intéresse dans la construction de ce pont entre la littérature et la bande dessinée ?
Je lis davantage de la littérature que de la BD, donc ma source d'inspiration peut-être là, ou (comme dans Capitaine perdu Editions Glénat) par un fait historique que je croise , dans ce cas là un fait qui s'est passé dans la 2ème moitié du 18ème siècle sur les bords du Mississippi, me fait prendre conscience que deux Amériques ont cohabité, la française, la plus grande, et l'anglaise, et que surtout, la première était le contraire de l'autre...ensuite l'histoire vient.
Pendant de longues décennies la BD contrairement au cinéma, qui a fait appel à la littérature dès l'origine, la BD a tourné sur elle-même. Quand j'adapte Sept cavaliers de Raspail, il y a eu quelques cas, Tardi et Leo Mallet, Druillet et Salambo de Flaubert, mais c'est rare. Aujourd'hui c'est l'inverse, les romans à peine sortis se retrouvent en cases.
Venons-en à votre album Le chien de Dieu, réalisé avec Jean Dufaux. Vous retracez certains épisodes de la vie de Louis-Ferdinand Céline, l’auteur d’une œuvre sublime, dont le Voyage au bout de la nuit. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans la vie de cet auteur pour vous lancer dans ce projet ?
La complexité du personnage bien sûr...l'ermite de Meudon que je dessine, n'a pas été que ce clochard céleste bouclé dans son pavillon, il a couru le monde, l'Afrique, les USA, l'Europe, l'URSS, il a été mêlé aux deux grandes guerres, il a traversé l'Allemagne en feu avec l'admirable Lucette et son chat...et c'est le génie de la littérature d'avant-guerre, un caractère épouvantable, sans doute fou, un monument de détestation, il y avait de quoi faire non ?
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’origine de l’ouvrage Le chien de Dieu que vous avez réalisé en compagnie de Jean Dufaux. Comment est né ce projet ? Comment s’est passée votre collaboration ?
C'est un accident, j'avais sorti un Artbook, comme on dit, c'est-à-dire un recueil de mon travail d'illustrateur : « l'imagier de Jacques Terpant ». Là-dedans il y avait un petit portrait de Céline fait pour le libraire parisien Eric Fosse. Dufaux et Futuropolis avaient ce scénario depuis un an je crois, sans trouver de dessinateur pour oser se lancer sur ce sujet.
Dufaux en voyant ce petit dessin, me l'a proposé à lire, j'ai accepté, j'avoue par simple politesse, mais la lecture m'a séduit vraiment, j'ai vu l'admirable travail de Jean sur la langue, et j'ai été conquis. Ils ont attendu que je termine un autre livre que j'avais en cours et j'ai commencé.
Votre dessin dans cet ouvrage est particulièrement intéressant. Les couleurs choisies en fonction des différentes époques, les tons utilisés, l’incroyable réalisme etc… Comment avez-vous fait ces différents choix ? Quelles ont été vos idées de départ avant de vous lancer dans l’illustration de cet album ?
Je suis d'ordinaire un barbouilleur de couleurs. J'ai vu dans cette histoire l'occasion de tenter autre chose. Cette période est celle du noir et blanc et d'un cinéma, celui de Carné etc... le réalisme romantique, j'ai donc opté pour un travail au lavis, un noir au blanc, une lumière dans cet esprit. La difficulté était que j'avais différentes époques, le temps présent ( le noir et blanc du lavis seul) celui de Céline à Meudon et les souvenirs, bons ou mauvais. J'ai rajouté un code couleur, avec un jus rouge pour la guerre, de 14/18 ou de 40, un ocre jaune pour les souvenirs plus heureux, et un vert bronze pour les hallucinations, car comme le dit l' historien de la couleur Michel Pastoureau : « le vert est la couleur du fol » ainsi apparaît donc Céline en cuirassier de 1914, qui hante ce livre et l'auteur.
Question inévitable sur l’actualité : par rapport à la compréhension de la vie et de l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline, que pensez-vous de la polémique autour de la réédition des pamphlets, un temps évoquée du côté de Gallimard ?
Je la trouve assez disproportionnée et franchouillarde, non pas sur le contenu, qui n'est pas revendicable bien sûr, mais sur l'interdit. C'est édité ailleurs, c'est trouvable en deux clics sur internet, il y a une édition canadienne assez bien faite avec glossaire, mise en contexte, etc... Ce pays qui se drape dans la liberté d'expression en permanence est le premier à traiter les lecteurs comme incapables de discernement et à vouloir des interdits. Je crois aussi que Céline, dont l'antisémistisme forcené est une évidence, sert à masquer à quel point cette perversion fut celle de toute une époque et de toute une intelligentsia, les plus connus pour cela, mais aussi tous les autres, Giraudoux... Gide, qui le trouvaient très drôle ce « Bagatelles pour un massacre »... Mais aussi et... c'est plus grave, cette furie anti-réédition cache l'angoisse du retour de l'antisémitisme qui à nouveau est très présent sur notre territoire, l'hyper casher, les meurtres des deux Halimi, les assassinats de Mohamed Mérah, etc.. on hurle donc aussi contre cet effrayant renouveau, mais comme ce nouvel antisémitisme est différent, et que ce n'est pas permis de le dire trop franchement, on se sert de Céline, le bouc émissaire à la René Girard .
Une idée pour votre prochain ouvrage ?
Pendant que nous faisions le chien de Dieu, lors d'un déjeuner avec l'éditeur et Jean Dufaux, nous parlions de projets futurs et je disais mon désir ensuite d'adapter Giono. Jean Dufaux, à ce moment-là nous dit qu'il rêvait d'adapter un vieux roman de Jean de La Varende « Nez de cuir » qui autrefois fut un film avec Jean Marais. Là j'ai compris qu'une boucle du temps allait se fermer car depuis que j'avais adapté Sept cavaliers, la famille de La Varende régulièrement me priait de bien vouloir m'intéresser à l'oeuvre de cet écrivain... Voilà le prochain album « Nez de cuir » d'après Jean de la Varende chez Futuropolis... et au vu du début de ma réponse à votre question, vous avez même une idée de celui qui suivra...
Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Jacques Terpant l’homme et Jacques Terpant l’artiste :
- Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
Lîle au trésor sans doute.
- Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?
Donc il y a un cinéma sur cette île et il ne passe qu'un seul film, il faut que ce soit Un jour sans fin avec Bill Muray un jour éternellement recommencé c'est parfait.
- Le livre que vous aimez en secret ?
Les années d'Annie Ernaux, sa littérature me fascine, alors que je la trouve dans ses actions... horripilante...
- L’artiste avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
Aucun ! Quand on nous dit ce désir de nous rencontrer de la part de lecteurs, je cite souvent cette phrase attribuée à Arthur Koestler : « Vous avez aimé le foie gras, pourquoi vouloir connaître l'oie ? »
- L’artiste que vous n’auriez pas aimé être ?
Un acteur genre Mathieu Kassovitz, c'est-à-dire un concentré de politiquement correct.
Dessiner en écoutant une musique. Laquelle ?
Les Indes galantes de Rameau .
Votre passion un peu honteuse ?
Ma collection de cartonnage Bonet
Le livre que vous auriez aimé dessiner ?
« Un roi sans divertissement » de Giono
Le livre que vous offririez à un inconnu ?
Qui se souvient des hommes de Jean Raspail
La première mesure du Président Terpant ?
Devenir Roi !
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