Ma vie avec Contumace est le dernier livre de Jean-Pierre Brouillaud publié chez Buchet-Chastel. Lettres it be avait vraiment apprécié ce court roman plein de burlesque et de poésie. Nous en avons profité pour poser quelques questions à son auteur.
Bonjour et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Jean-Pierre Brouillaud ? Que faisiez-vous avant de vous lancer dans l’écriture ?
J’ai en permanence exercé deux activités parallèles. Dans le civil, si je puis dire, je suis enseignant à l’université. Mais, par ailleurs, j’ai toujours écrit. D’abord de la poésie et des chansons, pendant un certain nombre d’années, tout en ayant dans un coin de la tête l’idée d’écrire un jour un roman. C’est finalement un peu avant d’avoir quarante ans que je me suis lancé dans ce projet, et j’ai eu l’immense chance que ce premier roman « Jeu, set et match », soit publié. L’aventure se poursuit avec mon éditeur Buchet-Chastel puisque « Ma vie avec Contumace » est mon quatrième roman. Par ailleurs, grand amateur de théâtre, je me suis récemment plongé dans l’écriture théâtrale, et ma première pièce, intitulée « J’admire l’aisance avec laquelle tu prends des décisions catastrophiques », a été créée lors du dernier festival d’Avignon, et est actuellement en tournée, avec les (formidables) comédiens Mathilde Lebrequier et Renaud Danner, dans une mise en scène de Eric Verdin (qui est non moins formidable).
Vous êtes donc maître de conférences en droit et auteur d’une thèse pour soutenir votre doctorat en droit privé. Vous êtes aussi grand amateur de tennis et pratiquant assidu. Et par-dessus le marché, auteur-compositeur-interprète. Un profil atypique et original ! Comment réussissez-vous à concilier tout cela pour aussi avoir le temps d’écrire ?
J’ai été en effet auteur-compositeur-interprète, et lorsque j’étais plus jeune je donnais même pas mal de petits concerts dans des cabarets parisiens, mais ça fait une bonne dizaine d’années que j’ai complètement arrêté. Je ne me concentre donc aujourd’hui que sur les romans et le théâtre, tout en jonglant avec mon activité universitaire (et en jouant en effet au tennis dès que possible !). Finalement, seule une petite minorité d’écrivains vit de sa plume, nous sommes donc très nombreux à cumuler un métier « sérieux » avec notre activité d’auteur. C’est une question d’organisation. Et la profession d’universitaire est de ce point de vue assez idéale : je ne vais pas dire qu’on travaille peu, car ce serait faux et je me fâcherais avec tous mes collègues, mais on bénéficie d’une très grande liberté d’organisation et de gestion de son temps.
En-dehors de vos romans, vous êtes également l’auteur de livres juridiques. N’est-ce pas un exercice d’écriture trop complexe que de passer de l’un à l’autre ?
Ce n’est pas du tout le même exercice en effet. Mais j’avoue que, si j’ai effectivement écrit quelques manuels de droit, c’était plutôt au début de ma « carrière » universitaire. Depuis pas mal d’années maintenant, je me consacre, sur le plan de l’écriture, uniquement à la fiction. On peut donc dire que je suis chronologiquement passé de l’un à l’autre, mais que je ne suis jamais passé de l’un à l’autre dans le même espace-temps …
Quelles similarités peut-on voir entre l’écriture d’un roman et l’application du droit ? Existe-t-il une « règle de droit » du roman parfait ?
Très honnêtement, je ne vois guère de similitude. Je dirais même que ce sont deux univers radicalement opposés. Le droit, c’est surtout la rigueur, la contrainte, un certain formalisme, la connaissance et l’utilisation de références précises, le bannissement de l’à-peu-près, même si le raisonnement juridique ouvre parfois très grand le champ des possibles et peut laisser une vraie part à l’imagination -mais une imagination très encadrée. Il y a dans la matière juridique un aspect presque scientifique. L’écriture de romans ou de pièces de théâtre, c’est, à l’inverse, la liberté absolue. Le lien que l’on peut tout de même tisser, c’est que le droit est une discipline dans laquelle l’expression, écrite ou orale, est fondamentale ; et en règle générale, les juristes sont des gens qui s’expriment bien, certains professeurs de droit en particulier ont un réel talent de plume. Mais le droit c’est le réel et le sérieux ; la littérature c’est l’invention et la fantaisie.
D’ailleurs, on peut retrouver dans vos livres un condensé de vos centres d’intérêt (le tennis dans Jeu, set et match par exemple). Est-ce important pour vous de mettre un peu de Jean-Pierre Brouillaud dans vos romans ?
Comme c’est souvent le cas, mon premier roman était en effet largement autobiographique (même si je pense et espère être un peu moins fou que ne l’est le narrateur …). Dans les trois suivants, il n’y a plus grand-chose, dans les évènements qui se déroulent, qui soit directement autobiographique. Malgré tout, mes romans sont truffés d’éléments qui me sont personnels, dans les émotions, les traits de caractère de tel ou tel personnage, les questionnements ou les doutes de ceux-ci … Je m’inspire aussi beaucoup de choses que je connais à titre privé : à l’exception du dernier, « Ma vie avec Contumace », il y a toujours dans mes romans un personnage de juriste (généralement dépressif d’ailleurs …), comme du reste dans ma pièce de théâtre. Dans « Les petites rébellions », il y a aussi Franck Milena, un personnage de chanteur, ce qui n’est pas un hasard, car j’aime beaucoup la chanson, et je l’ai pratiquée. Je pars finalement presque toujours de sentiments ou de références très intimes, mais pour bâtir de véritables fictions (je n’écris pas du tout d’auto-fiction, même si c’est un genre que j’apprécie par ailleurs -j’aime beaucoup Annie Ernaux par exemple).
Vos livres se distinguent par un intérêt marqué pour le burlesque et le décalage qui naissent dans la vie de tous les jours, dans le quotidien de ces Monsieur-Tout-le-monde. Comment est venue cette envie de vous pencher sur ces thèmes, ces situations plus qu’originales ?
Pour être honnête, je crois qu’on ne choisit pas vraiment ce qu’on écrit. Il n’y a pas de préméditation, et on ne contrôle pas grand-chose … Les idées viennent d’elles-mêmes (lorsqu’elles viennent …), les personnages se construisent peu à peu, et on ne maîtrise rien. Il est vrai que je suis spontanément attiré par un registre que l’on pourrait qualifier de tragico-comique. C’est tout simplement le reflet de ma personnalité, je pense. Mes histoires sont assez dramatiques sur le fond, et les personnages de mes romans, qui sont en effet souvent des petits personnages modestes, un peu perdus, ayant du mal à trouver leur place, vivent des aventures qui les dépassent. J’essaie toujours de traiter ces récits avec humour et légèreté, en les saupoudrant d’une petite dose d’absurde, qui permet d’apporter une touche humoristique et poétique à la fois.
C’est encore le cas dans votre dernier livre, Ma vie avec Contumace. La Joconde qui apparaît, presque comme par magie, dans un appartement. Mais d’où a pu vous venir cette idée folle ?
Je ne sais pas. Peut-être dois-je m’inquiéter pour ma santé mentale … J’ai eu cette idée un jour : un homme se réveille un matin, et il trouve la Joconde dans son salon … Mais les idées, ce n’est pas un problème. On peut en avoir beaucoup, et se dire à chaque fois que c’est un bon point de départ d’un roman ou d’une pièce de théâtre. La plupart du temps, c’est faux : on se rend compte très vite que derrière, il n’y a rien de sérieux ou d’exploitable. En l’occurrence, cette idée là a continué à trotter dans ma tête, et me plaisait par son caractère totalement saugrenu. Peu à peu, j’ai tiré les fils pour imaginer une histoire, presque une fable. Cela étant, plus j’écris plus je pense que ce qui se passe dans le roman, les péripéties, les aventures, ne sont pas l’essentiel : elles ne sont là que pour permettre de créer des personnages, qui se nourrissent de ces évènements ou sont révélés par eux. « Ma vie avec Contumace » commence en effet avec l’apparition de la Joconde dans le salon du narrateur : mais il aurait pu se passer autre chose. Ce qui m’intéressait, c’était de savoir comment ce fait imprévu et surréaliste allait dévoiler, ou transformer, mon personnage, et non de savoir pourquoi la Joconde était là. Ce n’est pas du tout une comédie policière, contrairement à ce que le point de départ pourrait laisser penser.
Vous vous livrez dans ce roman à un récit de pure invention (sauf fait inconnu de notre part ?). Quelque chose qui se fait rare si l’on regarde du côté des dernières rentrées littéraires et des livres primés. Que pensez-vous de cette situation rencontrée par la littérature française qui préfère aujourd’hui s’immiscer dans les pages de notre Histoire plutôt que de s’adonner à la fiction pleine et entière ?
Pure invention en effet (même si par certains côtés je me sens assez proche du narrateur, voire de Contumace lui-même …). Je ne crois pas que les écrivains aient une quelconque mission, qu’ils aient pour rôle de mettre en avant tel ou tel genre d’écriture. Encore une fois, je crois qu’on ne choisit pas ce qu’on écrit. D’une certaine façon, on le subit. Ce qui est important, c’est sans doute de trouver sa voie, de tracer sa route dans un style de récit où on a le sentiment d’être soi-même et de pouvoir écrire quelque chose qui ne soit pas trop mauvais. C’est vrai qu’il y a parfois des tendances générales, avec, certaines années, une vague d’auto-fictions, ou une vague de romans historiques, ce qui peut plaire ou agacer. Mais finalement les écrivains ne sont pas responsables de cela, ils écrivent ce qu’ils veulent, ou ce qu’ils peuvent, et la suite (la publication ou la non-publication, le succès ou l’insuccès) ne leur appartient plus …
Déjà une idée pour votre prochain ouvrage ?
Une idée, oui. J’ai déjà pris pas mal de notes, mais la rédaction n’est pas commencée. Si tout se passe bien, j’espère qu’il pourrait sortir en 2020. J’ai aussi d’autres projets théâtraux en cours. Il est plaisant d’avoir plusieurs casseroles sur le feu, car les créations littéraires ou artistiques sont toujours longues et incertaines …
Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Jean-Pierre Brouillaud l’homme et Jean-Pierre Brouillaud l’auteur :
- Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?
Sans doute un recueil de poèmes, de Mallarmé ou Prévert. Ou, dans un autre registre, l’intégrale de Achille Talon !
- Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?
Je n’ai pas de film culte, je suis d’ailleurs beaucoup plus transporté par le théâtre que par le cinéma. Mais je choisirais sans doute un grand classique, soit dans le pur comique (La grande vadrouille, on ne peut pas s’en lasser) soit dans la poésie (Les enfants du paradis, par exemple, ou un Charlot, ou un Tati).
- Le livre que vous aimez en secret ?
125, le recueil de poèmes écrit par Guillermo Vilas … Ceux qui ont lu Jeu, set et match comprendront … !
- L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?
S’il pouvait revivre quelques heures, j’aimerais discuter avec un auteur que j’ai découvert très récemment avec une certaine fascination : Robert Pinget. J’aurais aimé lui demander comment il concevait ces romans si étrangement construits.
- L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?
Difficile question. Il y a des auteurs que je n’aurais pas aimé être parce que je n’aime pas leurs livres, mais je ne vous donnerai pas de nom ! Cela étant, si j’avais été eux, le problème ne se serait pas posé car j’aurais aimé mes livres ... Pardon pour cette réponse à la fois lâche et absurde.
- Ecrire en écoutant une musique. Laquelle ?
Je n’écoute jamais de musique en écrivant, du moins pas volontairement. Comme j’écris très souvent dans les cafés, il y a parfois une petite musique de fond. Si elle n’est pas trop envahissante, ça ne me gêne pas. Mais je ne suis pas demandeur.
- Votre passion un peu honteuse ?
Le mot « passion » est un peu fort mais j’adore la variété française des années 70 … et en particulier Dave !
- Le livre que vous auriez aimé écrire ?
L’art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation, de Perec. Hilarant et vertigineux.
- Le livre que vous offririez à un inconnu ?
Un des livres de René Fallet, que j’adore, parce que c’est simple, drôle, tout en étant profond, et ça peut plaire aussi bien à un grand intellectuel qu’à quelqu’un qui cherche à se détendre. Pour un inconnu c’est donc l’idéal, on prend peu de risques. Par exemple Paris au mois d’août ou Un idiot à Paris.
- La première mesure du Président Brouillaud ?
Tout citoyen doit acheter au moins un de mes livres sous peine de voir ses impôts multipliés par 3.
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