Interview de Luca Di Fulvio (Le Gang des rêves, Les Enfants de Venise et Le Soleil des rebelles chez Slatkine & Cie) : "La littérature nous fait le cadeau de ne pas avoir recours à la logique"

Luca Di Fulvio revient, après Le Gang des rêves et Les Enfants de Venise, avec Le Soleil des rebelles publié chez Slatkine & Cie
Luca Di Fulvio revient, après Le Gang des rêves et Les Enfants de Venise, avec Le Soleil des rebelles publié chez Slatkine & Cie

 

Depuis deux ans maintenant, Luca Di Fulvio nous propose des aventures palpitantes, à travers les âges et les époques. Après Le Gang des rêves et Les Enfants de Venise, l'auteur italien revient avec Le Soleil des rebelles publié chez Slatkine & Cie. Lettres it be est allé lui poser quelques questions pour en savoir plus sur son travail d'auteur et sur la genèse de ses trois derniers romans à l'incroyable succès.

 

Bonjour et merci de prendre part à cette interview pour Lettres it be. Tout d’abord, une question terriblement basique mais indispensable : qui êtes-vous Luca Di Fulvio ? Que faisiez-vous avant de vous lancer vers l’écriture ?

 

Qui est Luca Di Fulvio ? J'essaie encore de le comprendre avec mon analyste. Je peux dire qui je voudrais être : une personne qui continuera à changer jusqu'au jour où il dira au-revoir à tout le monde. Une personne qui ne s'arrête pas. Qu'ai-je fait avant? Les biographies disent que j'étais basketteur puis acteur de théâtre. Mais la vérité c’est que j'étais une personne à la recherche d’elle-même. C'est la réponse la plus honnête. Et, je me suis trouvé, en partie, grâce à l'écriture.

 

 

Vous avez œuvré dans de nombreux domaines pour forger votre plume : théâtre, histoire de vampire, polar et thriller, littérature jeunesse etc. Pourquoi cette envie de vous essayer un peu à tout ?

 

Parce que c'est un peu comme escalader une montagne quand il n'y a aucun panneau le long du chemin. Faire des tentatives. Si vous êtes une personne curieuse comme moi, le chemin devient plus intéressant que le sommet lui-même et vous continuez donc à faire des détours. Et puis, pour comprendre si vous aimez quelque chose ou pas, vous devez le goûter personnellement, vous ne pouvez pas toujours faire confiance aux critiques du guide Michelin.

 


Le Gang des rêves a véritablement été l’ouvrage de la consécration pour vous. Comment avez-vous vécu ce succès à travers les pays ?

 

Avec une grande surprise. Et une grande joie. Tant de questions sur pourquoi et comment cela s'est passé n'ont pas encore de réponses. Par hasard, par coïncidence je pense, parce qu’il s’est trouvé que beaucoup de Français, d'Allemands et d'Européens voulaient entendre une histoire qui raconte la puissance des rêves.

 

 

Déjà dans ce livre, vous révéliez une écriture extrêmement visuelle, qui rappelait les plus grandes heures des films de Scorsese, Coppola, de Palma et d’autres, dans un Little Italy parfaitement retranscrit. Une question inévitable : à quand l’adaptation au cinéma du Gang des rêves, et par quel réalisateur/quelle réalisatrice ?

 

Enfin je peux vous répondre : bientôt ! Fabio Conversi (qui vient de finir l’adaptation télévisée du livre de Joel Dicker) produira la série télévisée adaptée du Gang. Pour l'instant, j'ai la chance de participer à la rédaction de la « bible », comme on appelle la préparation d’un scénario. Ce sera un projet très coûteux, évidemment. L’action se passe à New York dans les années 1920. J'adore que l'idée de ce film vienne d'un Italien et d’un Français.

 

 

Vous revenez avec Le Soleil des rebelles, troisième volet après Le Gang des rêves et Les Enfants de Venise. Pourquoi ce choix d’avoir étalé votre histoire cette fois au beau milieu du Moyen-âge ?

 

 

En réalité, elle se passe à la naissance de l'humanisme. Entre le Moyen Age (où Dieu est au-dessus de tout) et la Renaissance (où l'homme devient le centre de l'univers). Dans Le Soleil des rebelles, ce passage de Dieu à l'homme est personnifié par un petit dieu, un prince, qui perd tout et doit repartir de tout en bas pour devenir un homme. Un vrai homme (pas un macho, je le précise).

Découvrez la chronique Lettres it be pour Le Soleil des rebelles de Luca Di Fulvio publié chez Slatkine & Cie
Découvrez la chronique Lettres it be pour Le Soleil des rebelles de Luca Di Fulvio publié chez Slatkine & Cie

Concernant le cadre géographique de votre histoire, difficile de savoir avec précision où nous sommes (on imagine être non loin du lac de Constance, à cheval entre plusieurs frontières). Une volonté de votre part de laisser un flou à ce sujet pour ne pas avoir à trop contextualiser historiquement votre roman et les différentes péripéties ?

 

Nous sommes à l'extrême est des Alpes, aujourd’hui à la frontière de l'Italie, de l'Autriche et de la Slovénie. Certains endroits sont réels. Si vous tapez Ugovizza sur Google Maps, vous trouverez. C'est l'endroit où j'ai passé tous mes étés et d'où vient une partie de ma famille. C'est ma petite patrie, dont je connais les plantes, les animaux, les odeurs et où j'ai toujours une cabane. J’y vais tous les étés. Il n’y a pas l’électricité !

 

 

 

On sent par moment une ambiance qui se rapprocherait de la série Game of Thrones, entre lutte des clans, combats sans pitié et fantastique à petite dose. Faut-il y voir là l’une de vos inspirations lors de l’écriture de ce roman ?

 

Pour être honnête, l'influence fut nulle. Mais cela me flatte de ressembler à une œuvre qui a eu tant de succès. Merci bien !

 

 

Existe-t-il un lien entre vos trois livres (Le Gang des rêves, Les Enfants de Venise, Le Soleil des rebelles) ? On ne peut s’empêcher de chercher dans les petits détails ce qui pourrait nous éclairer à ce sujet mais, hélas, rien n’est trop apparent. Avez-vous une piste pour nous ?

 

La vérité ? Je crois que c'est un grand malentendu initial. Ce n'est pas une trilogie. Je sais qu’on l’a dit. Mais ces trois livres sont simplement trois contes de fées. Il n'y a aucun lien entre eux. À part peut être les thèmes chers à l'auteur. L’éducation d'un jeune homme, l’amour pur et absolu, les rêves ou les idéaux, la recherche d'un père, d'une mère. Mais c'est tout. Ce sont des thèmes, ils ne forment pas une trilogie.

 

 

Quel que soit le livre que l’on choisit vous soulevez toujours des problématiques graves, importantes. L’immigration, les luttes de pouvoir, les luttes de classes, l’amour impossible etc. Même si vous utilisez certaines figures assez classiques (le jeune homme qui va grimper les échelons de sa société et tomber amoureux d’une inatteignable jeune fille par exemple), vous montrez avec brio que, finalement, tout n’est pas si simple et que chaque situation, chaque problème mérite une attention particulière. Est-ce l’une de vos volontés de mettre en avant cette complexité de nos existences, loin du manichéisme trop courant ?

 

J'ai eu la chance d'être jeune à une époque à la fois terrible et merveilleuse. C’était un moment de l’histoire où un jeune homme a cru (il s'est trompé, je dois le dire) qu'il pourrait changer le monde. Et cela m'a marqué. J'espère toujours changer le monde avec mes idées. Ou peut-être que je me contente de croire que « penser » est déjà un cadeau. Que pouvons-nous donner à nos enfants ? Leurs avons-nous laissé un monde meilleur ? Malheureusement non. Donnez-leur au moins l'espoir que nous pouvons nous battre et rêver au-delà de toute logique. La littérature nous fait le cadeau de ne pas avoir recours à la logique. Pourquoi le gaspiller ?

 

 

Déjà une idée pour votre prochain livre ?

 

 

J'ai déjà écrit mon prochain livre. Il paraît en octobre prochaine en Allemagne. Et Henri et Louis Bovet, qui font un travail exceptionnel, humainement et professionnellement, l'ont déjà acquis pour Slatkine & Compagnie, et je n'ai eu aucun doute à le leur confier. Il est entre d'excellentes mains. Ils sont déjà en train de le faire traduire. L’action se passe à Buenos Aires en 1913. Mon éditeur allemand m'a écrit il y a quelques jours pour me dire qu'il n’était pas arrivé à refermer ce livre. Selon lui, c'est mon meilleur livre. J’espère que mes lecteurs européens lui donneront raison. Car lorsque j’écris, je suis chacun de mes lecteurs. Je suis cet enfant qui écoutait les histoires que sa grand-mère lui racontait.


Questions bonus

 

Passons maintenant à des questions un peu plus légères pour en savoir plus sur Luca Di Fulvio l’homme et Luca Di Fulvio l’auteur :

 

Le livre à emporter sur une île un peu déserte ?

Un seul livre? J'ai aussi droit à une bouteille de whisky et une saucisse ? Alors, je les troque contre dix autres livres. C'est méchant de vouloir me laisser avec un seul livre.

 

Le film que vous pourriez regarder tous les jours ?

Ici aussi, un seul film ? Quel sadisme! Je dirais Certains l'aiment chaud parce que, lorsque je l’ai rencontrée, ma femme m'a posé la question et que c'était aussi son préféré. C’est un peu grâce à ce film que je l’ai charmée. Combien de fois ça arrive dans une vie ?

 

Le livre que vous aimez en secret ?

Je n'ai pas d'amours secrets. Mais il y a un livre que beaucoup de gens oublient, c’est Leviathan de Julien Green.

 

L’auteur avec qui vous voudriez discuter autour d’une bière ?

William Shakespeare. Mais avec de la bière irlandaise.

 

L’auteur que vous n’auriez pas aimé être ?

Aucun. Tous les auteurs, même les mauvais, offrent leur cœur. Parfois, ils n'en ont pas assez, c'est vrai. Mais ce n'est pas leur faute. Si vous insistiez, je vous dirais que ne serais pas l'homme Céline, par exemple, le collaborateur, ou D'Annunzio, le fasciste. Et pourtant Céline est aussi un écrivain qui m'a beaucoup appris. Alors comment choisir ? L'auteur ou l'homme?

 

Vous ne devez écouter plus qu’une seule musique. Laquelle ?

C'est aussi difficile que de ne choisir qu’un seul livre. Le Requiem de Mozart ? Diamond Dogs par David Bowie? La prière de François Villon par Regina Spektor ? Puis-je vous donner au moins une centaine de titres ? Un jour, j'ai rencontré Noureev sur un pont à Venise. Il portait des bottes au-dessus du genou, une fourrure. Il m'a souri. C’était magnifique. Je lui ai dit qu’il avait eu de la chance de connaître Freddy Mercury (il avait été amoureux du chanteur de Queen). Saviez-vous que Freddie Mercury avait composé la musique de Highlanders, Who wants to live forever quand il se savait condamné par le sida? La musique est magique. Choisir un seul morceau est impossible et en oublier un serait un péché mortel.

 

Votre passion un peu honteuse ?.

Je n'ai pas de passion honteuse. J'aime escalader les montagnes, j’aime les chiens j’aime les moineaux que je nourris sur mon balcon, j’aime construire des meubles et j’aime aussi coudre. Un homme devrait avoir honte de coudre ?

 

Le livre que vous auriez aimé écrire ?

L'amour aux temps du choléra de Gabriel Garcia Marquez. L'étranger de Camus ... Encore un millier ?

 

Le livre que vous offririez à une inconnue ?

Je ferais comme font les vrais libraires, j’essaierais d’abord de comprendre cette inconnue avant de lui recommander un livre. Chaque livre a un lecteur. Et chaque lecteur a un livre. C'est pourquoi les libraires indépendants sont tellement importants. Parce que dans leurs librairies, personne n’est inconnu.

 

La première mesure du Président Di Fulvio ?

 

Vous voulez vraiment que je prenne la grosse tête, c’est cela ? 

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