Il y a eu Territoires, il y a eu Surtensions ou encore Code 93, mais un petit nouveau fait son entrée dans la bibliographie d’Olivier Norek : Entre deux mondes. Toujours chez Michel Lafon, Norek fait son retour dans les librairies en empruntant un virage à 180° : exit le capitaine Coste (pour l’instant), exit le 93, exit les banlieusards et la schnouf. Entre deux mondes choisit pour scène la Jungle de Calais et le destin de ces migrants devenus, au-delà de leur humanité bafouée, de fantomatiques personnages audiovisuels que l’on ne regarde plus. Un changement radical bienvenu ? Lettres it be vous en dit plus !
# La bande-annonce
Fuyant un régime sanguinaire et un pays en guerre, Adam a envoyé sa femme Nora et sa fille Maya à six mille kilomètres de là, dans un endroit où elles devraient l'attendre en sécurité. Il les rejoindra bientôt, et ils organiseront leur avenir. Mais arrivé là-bas, il ne les trouve pas. Ce qu'il découvre, en revanche, c'est un monde entre deux mondes pour damnés de la Terre entre deux vies. Dans cet univers sans loi, aucune police n'ose mettre les pieds. Un assassin va profiter de cette situation. Dès le premier crime, Adam décide d'intervenir. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il est flic, et que face à l'espoir qui s'amenuise de revoir un jour Nora et Maya, cette enquête est le seul moyen pour lui de ne pas devenir fou.
Bastien est un policier français. Il connaît cette zone de non-droit et les terreurs qu'elle engendre. Mais lorsque Adam, ce flic étranger, lui demande son aide, le temps est venu pour lui d'ouvrir les yeux sur la réalité et de faire un choix, quitte à se mettre en danger.
# L’avis de Lettres it be
On pourrait presque ne plus présenter Olivier Norek. Lieutenant à la Police Judiciaire troquant occasionnellement son pistolet pour une plume, lauréat du prix du polar européen du journal Le Point en 2016, Grand Prix des lectrices Elle (catégorie Policiers) en 2017, Norek continue sa ronde, et le succès est en astreinte avec lui. Dans Entre deux mondes, le pari est pris d’abandonner temporairement le capitaine Coste pour se diriger vers Bastien, policier aussi, mais jusqu’alors personnage inconnu dans les bouquins de Norek. Autre changement radical, cette fois, l’action prend place dans la Jungle de Calais au côté de ces damnés de la Terre, ces migrants qui conservent toujours à portée de vue la Perfide Albion.
Le pari est risqué. Olivier Norek s’empare d’une thématique sociale forte, marquée, résolument orientée. Chez Lettres it be, nous craignions même ce revirement de bord avant d’entamer la lecture. Et pourtant, il n’en est rien … La plume de l’auteur toulousain est un bon vin, elle gagne en qualité et se bonifie année après année. Norek ne verse jamais dans l’humanisme blafard ou dans l’indifférence aveugle. Rarement une telle description de la Jungle de Calais n’avait été aussi évocatrice. Rarement ces migrants, cette masse difforme souvent décrite comme telle à regret, n’avaient été saisis dans toute leur humanité et leur état de nature, leur honneur et leurs travers. Le lieutenant à la PJ du 9-3 n’hésite pas à narrer les faits, à raconter tel quel. Entre barrages sauvages sur les routes et passeurs inhumains, le destin d’Adam, personnage principal de ce roman, est une lente descente aux abîmes. La plume d’Olivier Norek enveloppe tout ça, habille ce récit de la plus belle des manières, malgré le désespoir qui s’invite à chaque page.
Il est rare dans un polar de se focaliser sur autre chose que le fil narratif, mais plutôt sur le style, sur le sentiment. L’intrigue demeure souvent au cœur de tout l’intérêt porté au genre. Et pourtant, Olivier Norek réussit l’incroyable exercice de transformer le lecteur en piano et d’y jouer sur différentes cordes. Sensibilité, humanisme, dégoût, apriori, angoisse, introspection. On oublie l’intrigue, elle devient secondaire, on vibre à la lecture et on épaule Bastien, Adam, Nora, Maya et consorts. Deux pages sont nécessaires pour entrer dans la danse macabre. Deux secondes sont nécessaires pour regretter d’avoir fini le livre.
Ce livre n’est pas qu’un polar, c’est un miroir de l’époque, sale et fêlé mais terriblement réflectif. On applaudit vigoureusement le virage pris par Olivier Norek, un virage qui confirme que cet auteur est entre deux mondes : celui de la littérature et celui au-dessus.
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